Mon entrée sur le troisième navire ne passa pas inaperçue. Tout d’abord Sirop, timidement, leva un doigt dans les airs comme pour indiquer sa présence et préciser qu’il était de mon côté.
Les hommes pâles, par contre, étaient mécontents de mon intervention, et j’aurais été assez naïf de penser qu’il en aurait pu être autrement, puisque j’exigeais d’eux qu’il change de navire pour tous ce confiner dans un plus petit. Ce fut le plus vieux d’entre eux qui intervint, me coupant littéralement le chemin, m’empêchant d’aller davantage en avant. Sa hache menaçante tenue fermement entre ses mains, il me faisait face, me fixant dessous ses gros sourcils gris broussailleux. Malgré ses cheveux blancs éclaircis, ses nombreuses rides, cet homme aux yeux rougis et enflés affichait une assurance plutôt déstabilisante. Son âge avancé ne semblait pas le désavantager. Avant que je n’eus le temps de lui prier de me céder le passage, il m’apostropha de sa vieille voix rauque et éteinte. D’une voix ferme qui m’intimidait sans que je le laisse paraître, il s’objecta à mon ordre, m’exposant ses raisons qui justifiaient son désir de ne pas m’écouter. L’assassin, celui-là même qui avait tué Chook, tenta d’intervenir à partir du deuxième navire. Malheureusement, son commentaire ne fit qu’empirer la situation. Groldur, nous rappela amèrement qu’il n’avait qu’un chef, et que seul lui se faisait écouter en distribuant le Thiir à ses hommes.
De mon côté, je n’avais point sourcillé. Ne quittant pas le vieil homme des yeux, je simulais une assurance que j’aurais bien aimé posséder réellement. L’homme âgé, en lui-même n’était pas trop inquiétant, il m’aurait été assez facile de le neutraliser, vu ma jeunesse, ma force et ma souplesse. Mais il n’était pas seul. Tous les brigands, la main sur la garde de leur arme, semblaient parés à attaquer au moindre signe de celui qui s’était imposé comme leur meneur.
Alors que le petit hobbit grandement impressionné, s’approchait du bastingage, et que le fils d’Astidenix, désormais sur le second navire s’époumonait à crier son mécontentement et son désir d’en découdre, j’intervins alors à mon tour. Sans quitter Groldur des yeux, je répondis d’abord à Seok :
« Il me révulse autant que vous de faire équipe avec ces hommes. Mais nous sommes en tant de guerre et nous devons prendre tous les hommes aptes à se battre. Et le combat ne semble pas leur handicap. »
J’ignorais les paroles du nécromant qui consistait à réprimander le fils d’Astidenix. Le jeune Azra, à bout de nerfs, perdit totalement son calme. Il apostropha tout d’abord, les récalcitrants du troisième navire, avant de crier le nom de Rendrak, ce liykor appartenant au royaume des morts.
Adoptant une voix calme, ferme et sûre, évitant la condescendance afin de ne pas provoquer davantage sa colère, je répondis enfin au vieil homme d’une voix assez forte pour être entendu de tous.
« Vos questions sont nombreuses, mais je vais m’appliquer à répondre à toutes, une par une. Tout d’abord, vous êtes nos prisonniers depuis que vous avez RATÉ votre attaque en traître dans notre campement, ce qui m’autorise à vous donner des ordres. Et si nous voulons vous entasser dans un seul navire, c’est pour s’assurer que si vous tuez encore, ce ne sera pas l’un des nôtres. Ensuite, ces trois navires appartiennent à la capitaine Charkere. Et puisque c’est nous et non vous qui avons défrayé la location, il nous est permis d’y circuler à notre guise. »
Je répondis même aux remarques qui étaient adressés à l’assassin.
« Chook, était votre chef, mais il n’est plus là pour vous donner du Thiir. Cette drogue, dont vous semblez tant convoiter, a été rassemblée avec le reste de notre butin suite à votre défaite. Par prudence, j’en ai gardé une pleine sacoche. Si vous obéissez à nos ordres, je consentirai à vous distribuer à petite dose. »
J’avais sorti tous les arguments que je possédais, il ne me restait à espérer avoir été assez convaincants. Et puis, si j’avais vraiment ramassé une sacoche de cuir contenant une substance qui m’était inconnu, je n’étais pas du tout certain qu’il s’agisse vraiment du Thiir.
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