Le calme et la patience dont a fait preuve la jeune fille au cours de l’attente ravit Caabon, qui n’aurait pas aimé voir surgir une signe de faiblesse dans cette situation assez délicates. L’attention projetée vers la porte, il a guetté le signal de longues minutes, qui se sont allongées encore, et finalement des pas se font entendre, des voix s’éloignent. Précautionneusement, le wotongoh remonte les marches jusqu’à l’entrée de la pièce, à la recherche d’un signe qui pourrait lui faire rebrousser chemin, de l’annonce d’une menace ; rien ne vient. Aussi fait-il signe à l’enfant de le suivre, comptant sur la discrétion dont elle a jusque là fait preuve pour qu’elle ne se rue pas comme un taureau dans une boutique de porcelaine oranienne.
La pièce est effectivement vide, mais il convient de ne pas trainer, car il n’existe pas d’information sur le laps de temps durant lequel elle va le rester. La grande table au centre, le nombre de banc et les tabourets laissent à penser que peuvent s’assembler ici plusieurs individus, qu’il s’agit peut-être d’un lieu de rencontre, un havre : auberge, salle de garde, refuge ? Caabon n’en a aucune idée. Si les torches encore allumées sont une possible preuve d’une présence, les chandelles éteintes, elles, peuvent laisser penser que les précédents occupants de la pièce n’ont pas pour projet de revenir dans l’immédiat.
Une rapide inspection permet au jeune homme de définir les priorités. D’abord, survivre : les manteaux sont bien souvent conçus pour faciliter la vie de ceux qui les portent sous les climats où ils vivent ; un encombrement minimal, mais qui pourrait s’avérer utile à long terme. Sur la table des chandelles, et un peu plus loin, sur une tablette, ce qui ressemble à un briquet à amadou, car au jour succède la nuit, et n’était-il pas question sur le parchemin du cœur du roc, et donc peut-être d’endroits sombres ? Quant au tonneau, peut-être contient-il de l’eau, un liquide qui pourrait s’avérer précieux.
A grands et lents pas, pour réduire au plus le bruit de ses pas, Caabon s’approche des vêtements suspendus aux patères, et les tend à la fillette en lui chuchotant : « Donne moi ta gourde, et plie les, et roule les, pour qu’ils ne prennent pas trop de place. » Tandis qu’elle s’affaire, il se dirige vers le tonneau, tourne le robinet pour laisser couler un peu de liquide dans une timbale, et après s’être assuré qu’il s’agit bien d’eau en remplit les deux contenants à sa disposition, puis en bois deux pleines timbales. De retour vers la fillette, il récupère l’un des manteaux, lui conseille de conserver l’autre avant de lui remettre la gourde en lui conseillant de boire un peu au tonneau avant de s’en aller. Pendant ce temps, le wotongoh récupère le briquet et les chandelles, qu’il remise dans son sac, tout en y arrimant le manteau. Presque tout ce qui relève de la seule survie est prêt. Presque… Etre équipé est une bonne chose, encore faut-il savoir où aller.
Et la carte dessinée sur le mur pourra sans doute l’éclairer. Planté devant la paroi couverte de pigment, il découvre à la lueur vacillante des torches ce qui semble être leur position, si la croix désigne bien cette caverne où ils ont abouti. « Eh merde… » souffle-t-il tout bas entre les dents, pour ne pas que la gamine l’entendre ; pas la peine de l’inquiéter.
Caabon croit reconnaître la contrée où il a été envoyé, souvenirs des cartes qu’il a étudié du temps de sa réclusion à Oranan. L’histoire des lieux, en revanche, est plus floue dans sa mémoire, mais il en conserve une impression négative. De toute manière, comment se réjouir d’être perdu dans un désert ? A l’est, des montagnes, et des points rouges qui peuvent être des volcans, et à au sud un point bleu, quelque chose qui peut être un oasis. Pour ceux cernés par le sable, oasis veut parfois dire havre de paix, lieu de rencontre ; le wotongoh doute cependant d’y trouver un véritable refuge si ce sont des shaakts qui s’y rassemblent… Le tracé ancré au mieux dans sa mémoire compte tenu du peu de temps dont il dispose, il fait signe à l’enfant de le suivre jusqu’à la plus lourde porte, sans doute celle qui mène vers l’extérieur.
« Avant de nous aventurer dehors, je voudrais que tu tente d’utiliser à nouveau ton pouvoir » demande-t-il à voix basse pour n’être entendu que d’elle. « Je crois qu’il y a une ville, au nord-est d’ici, Nessima. Pourrais-tu nous y emmener ? »
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C'est par la sagesse qu'on bâtit une maison, par l'intelligence qu'on l'affermit ; par le savoir, on emplit ses greniers de tous les biens précieux et désirables. Proverbes, 24, 3-4
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