La petite ayant parlé de Dems et Naya, et des shaakts, et des silnogures, semble interloquée de voir que la porte par laquelle elle consent vite de me laisser passer, tel que je l’ai demandé, n’est qu’un dessin habile de mes mains sur le mur. Une idée de génie qui m’a valu la reconnaissance de mes pairs… ou pas. Enfin bref, au moins Fabiolo lui indique que ça fonctionne d’un signe de tête, et je le confirme oralement, mi impatiente, mi rassurante.
« Pas d’inquiétude, on est déjà passé par là. »
Encore rassurer un môme. À part torcher les petits, j’ai l’impression de ne rien faire de bien utile, dans cet endroit aux milles dangers. Et voilà qu’encore, je m’aventure avec l’une d’elle dans une aventure dont je ne sais rien, fiant ma vie et ma confiance à une gamine que je ne connais même pas. Même moi je trouve ça inconscient et imprudent. Pas demander ce que Sihlaar en pense. Peut-être est-il rentré à Tulorim, préférant courir la gueuse que se préoccuper d’une espèce animale en voie de disparition. Il était là pour la récompense pécuniaire, à la base, bien entendu. Pas pour les animaux. Pour honorer la demande de notre paternel d’apprendre à nous autogérer. Peut-être a-t-il trouvé que le jeu n’en valait pas la chandelle. Que le risque était trop grand pour lui ici. J’ai du mal à penser qu’il m’ait abandonnée là, dans l’inconnu d’une terre lointaine et hostile, mais… il semble que je doive m’y résoudre, irrémédiablement. Peut-être a-t-il eu raison, de déserter. Ai-je moi-même ma place ici ?
Qu’ai-je fait, finalement, en voulant sauver cette espèce animale rare et inconnue jusqu’alors : risqué de me faire tuer et fui un gigantesque élémentaire de feu. Tué un être hybride lézardeux, tué des serpents, gardé des chiards pleurnicheurs et traversé des portes magiques dessinées à même les murs. Ah, et attaché contre leur volonté des animaux rendus fou par une étrange prophétie rituelle. Combien d’affronts à mes valeurs devrai-je encore faire jusqu’à la résolution de tout ceci. Tuer pour le plaisir, ou pour se défendre de n’être pas restée à ma place, et d’avoir pénétré le territoire de créatures qui n’avaient rien demandé ? Me sociabiliser auprès de gosses dont les parents sont apparemment incapables de s’occuper correctement ? Prendre des risques immenses alors que mon père m’invective de rester prudente et maîtresse de moi-même et de mon destin.
Je passe la porte, songeuse de tout ceci, tenant la main de la petite sans même faire attention à l’évolution de la situation de combat de ces alliés que je quitte déjà. J’arrive, directement, dans une galerie souterraine. Une autre galerie souterraine. À croire que le ciel, en ce pays, n’existe pas, et qu’il n’y a que couloirs perçant le roc infini de ces contrées inhospitalières. La gosse m’intime le silence. Je ne comptais de toute façon pas gueuler inutilement, ni même lui adresser la parole. Nous avançons dans le couloir, grimpant quelques marches en silence. Arrivées au bout, elle me pointe une porte, dont je m’approche doucement, y plaquant l’oreille pour écouter, impoliment, mais je n’en ai cure, ce qui se passe derrière. Plusieurs voix me viennent à l’oreille, certaines dont je reconnais la langue, d’autres non.
La petite me précise que les dénommés Dems et Naya sont là-dedans, et qu’une gamine dénommée Maude aurait disparu de l’endroit où elle s’était cachée. Autre information : des silnogures auraient attaqués des shaakts. Si ce sont les tortionnaires de mes deux soi-disant alliés, ça ne fera que faciliter mon boulot de libération.
Me concentrant sur la porte, je prends note de plusieurs informations, dans celles que je comprends. Une voix masculine tente de tempérer une situation apparemment tendue en attendrissant un possible ennemi. Lui répondant, une voix féminine, nerveuse, supplie le même tourmenteur de les laisser en paix. Une troisième voix, plus mure, plus vieille que les deux précédentes, celle d’un homme d’un certain âge, sûrement, résonne alors pour signifier qu’ils ont autre chose que se soucier d’eux pour le moment, car les silnogures posent problème. Il donne ensuite des ordres à ses subalternes, sans doute, pour relâcher les deux prisonniers. Ils sont donc plusieurs. Il va falloir la jouer fine, pour les aider. Et paraître sûre de moi. Dégainant mon arc, j’y encoche une flèche et fais un signe de tête à la petite qui m’accompagne, lui désignant la porte du menton.
« Ouvre. » , murmuré-je à son attention.
Quand la porte s’ouvre, j’entre et menace de mon arc celui qui ressemble le plus à un chef et m’adresse à lui sans m’en approcher, ne tournant le dos à personne, restant proche de la porte sans pénétrer plus avant dans la pièce qui s’ouvre à moi.
« Ils vous aideront, et moi avec, si vous dites à vos hommes de s’écarter d’eux. Nous allons vous débarrasser des silnogures défectueux et dangereux. Je suis experte es Silnogures, envoyée par le collège des sciences naturelles de Tulorim pour vous épauler dans cette affaire. Mais je ne cautionnerai aucune menace envers mes apprentis, messieurs. »
Un coup de bluff… J’espère qu’ils rentreront dans mon jeu. Je m’adresse alors à eux.
« Tombez le masque, jeunes gens. Vous pouvez leur dire que vous travaillez pour moi. »
Ils sont tous deux plus jeunes que moi. C’est indéniable. Mon affirmation est plus que plausible. Reste à savoir si les détenteurs mordront à l’hameçon.
(903 mots)
_________________ Asterie
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