| 
					
						 Finalement, en sus de Maud, la plus âgée des mioches, c’est le séduisant Aliéron qui m’accompagne pour aller chercher les silnogures manquants. La réserve est telle que nous l’avons laissée, remplie de matériel, mais vide de toute âme. Même le shaakt qui était resté en arrière lors de notre transfert vers la salle du rituel n’est plus là, sans doute parti aider les siens pour régler le combat qui faisait rage. Puissent-ils être tous crevés, ces foutus paltoquets, ces enflures de goujats aux réactions surévaluées et excessives. Je ne vois aucun mal à ce que leurs tripes soient répandues par les carnivores sous influence de Karsinar, si ça leur permet de se satisfaire d’un bon repas de chair de shaakt. Ils ne méritent en rien la vie et la soi-disant force qu’ils ont osé utiliser sur moi et les deux mômes, alors que nous ne voulions que les aider. Qu’ils puissent être pris dans la tempête de sang de leur propre chair arrachée par les canines avides des silnogures enragés. 
  La petite Maude, proactive pour une fois, changeant considérablement de l’attitude passiviste et effrayée de ses frères et amis, prend l’initiative de tracer une nouvelle porte pour préparer notre retour alerte dans la salle du rituel. Elle demande alors qu’on la prévienne quand on sera prêts à partir, se cachant ensuite derrière une caisse de bois. Je ne peux lui en vouloir : le courage d’un enfant a ses limites, et il est plutôt question ici de clairvoyance : elle ne peut rien faire contre un silnogure, alors autant qu’elle reste en retrait, élément indispensable pour notre retour là-bas. Cette peur se lit dans ses yeux, malgré une forte volonté pressentie dans son acte. Je lui réponds d’un sourire franc et rassurant, ainsi que d’un signe de tête acquiesçant ses propos et la remerciant implicitement de sa présence. Je ne suis pas du genre à effectuer plus avant ce genre d’effusion, mais… elle le mérite, après tout. Pour son courage, pour sa présence.
  Aliéron et moi ne perdons cependant pas de temps. Nous savons mieux que quiconque qu’il nous est compté. Plus les silnogures auront assis leur suprématie sur la région, moins aisé il nous sera de leur venir en aide et de trouver la solution à cette malédiction qui pèse sur leurs épaules velues. Nous allons donc voir nos cibles via la petite porte menant vers le couloir, et apercevons sans se faire voir nous-même lesdites cibles. Un brun et un gris, ceux-là même qui se disputaient le corps décharné de l’aigle du désert, lors de notre précédent départ. Cette fois, pourtant, c’est du corps du shaakt nous ayant montré la réserve qu’ils arrachent des lambeaux de chair. Un vrai festin, pour deux carnivores affamés. Je n’en ressens aucun dégoût. De la chair pour des mangeurs de viande. C’est une loi de la nature qu’on apprend à adopter pour soi, quand on l’observe de près. Qu’importe l’aspect initial de la viande. Loin de trouver ça dérangeant, j’y trouve même un avantage : si les bêtes sont rassasiées, si elles viennent de manger, elles seront moins enclines à combattre aveuglément. Leur soif de sang, tout maudits qu’ils soient, sera moins grande.
  Aliéron, moins habitué au monde sauvage, peut-être, au vu de ses riches habits, rehaussant la superbe de son regard singulier, ferme la porte, visiblement apeuré. Il clame discrètement à Maude de partir immédiatement chercher du renfort. Un ou deux autres adultes, prétextant que le combat à deux contre trois est inéquitable. Il est vrai que, dans l’ombre du couloir, un troisième silnogure semblait approcher. Un de trop, qui est déjà dans notre collection. Je regarde en biais mon compagnon, et la petite s’exécuter directement. Je ne cautionne pas vraiment, en vérité. Notre action demandait plus de la discrétion et de la rapidité d’action qu’une réelle force de frappe. Nous ne devons pas vaincre ces animaux, mais juste les attirer dans la salle finale, où nous pourrons alors les maîtriser à loisir sans prendre le risque de rencontrer d’autres bêtes. Je ne peux cependant lui en vouloir : je me sais solitaire. Et lui doit avoir été élevé à la couenne, habitué à avoir du soutien presque maternel dans toutes ses actions. Aussi ne répliqué-je rien, hormis une petite remarque murmurée resituant le problème.
  « Nous n’en aurons peut-être pas besoin. Ces animaux sont territoriaux. Avec un peu de chance, l’arrivée du troisième va perturber les deux premiers dans leur repas, et ils pourraient se battre pour la carcasse. À nous de veiller que les deux bons survivent, le brun et le gris mouillé, et de les attirer dans la porte. Il ne nous faut même pas les vaincre, pourvu qu’ils passent le seuil. »
  Subtilement, doucement, afin de ne faire aucun bruit, j’entrouvre la porte pour observer l’évolution de la situation. Selon ce qui se passe, je devrai ou non intervenir. L’idéal serait que le troisième arrivant chasse ceux qui ont le ventre déjà plein dans notre direction, et que nous les enfermions ici avec nous pour les mener vers la porte ouverte par Maude. En espérant qu’elle revienne vite, désormais. Je trouverais fort déplaisante l’idée d’être coincée ici avec des silnogures n’ayant qu’une envie : nous bouffer tous crus. 
  Dans l’interstice de la porte, donc, intimant mon allié séduisant au silence, je glisse mon regard émeraude pour m’assurer du bon déroulement de la situation. Selon ce que je vois, il sera toujours loisible d’improviser une autre solution. En espérant surtout qu’aucun autre ne débarque… Sans quoi ils seront vite des dizaines à affluer, et nous aurons échoué.
  (929 mots) 
											 _________________ Asterie
					
  
						
					 |