Avec la promesse que le capitaine de la milice ne m’oubliera pas, au vu de ma bonne volonté pour accomplir sa demande spéciale sur un territoire encore vierge – mais plus pour longtemps – je quitte le couloir de son bureau. Fort de la destination toute proche, et après avoir salué mon supérieur hiérarchique, je grimpe les escaliers pour me rendre à l’étage, dans la salle indiquée. En passant par la pièce principale, près de l’entrée, je croise un milicien en poste, l’air un peu benêt, auquel je ne prête pas la moindre attention. Encore un qui a la tronche à manger ses crottes de nez.

Je grimpe les escaliers quatre à quatre, et me retrouve sur le seuil de la pièce en question. Mais lorsque je pousse la porte pour y pénétrer, une pensée fugitive se force à mon esprit…

(Hey mais… Il ne m’a pas dit du tout où j’allais me rendre, en fait !)

À moins que « la pièce au-dessus de celle-ci » soit le nom de ce monde extérieur et troublé. Ce dont je doute…un peu. Je verrai bien, au pire. Passant une main rapide dans mes cheveux pour qu’ils ne paraissent pas trop décoiffés par mon récent voyage en atmos puis en fluide spatial, j’entre…

Milice de Tulorim - Salle de l’état-major

La pièce est relativement grande, toute de bois et de pierres, aux murs nus et éclairée à l’aide de bougeoirs et d’une grande fenêtre au fond, sur laquelle les rideaux son rabattus. Des bancs se situent de part et d’autre de la salle et une grande table dépourvue de chaises trône au milieu, sur laquelle se trouvent divers papiers en désordre ainsi qu’un grand parchemin enroulé, des plumes et des pots d’encre. Il s’agit clairement là d’une table visant d’appui à un état major. Deux portes, fermées, se trouvent de part et d’autre de la pièce.

A côté des bancs, sur la gauche, s’élève une petite table d’appoint sur laquelle reposent un flacon emplit d'un alcool fort et ambré et plusieurs verres, vides et propres.

Il ne semble pas y avoir âme qui vive à l’intérieur, pas un bruit, à part ceux provenant de l’étage du dessous.

[Cromax : 0,5 xp (post)]

Personne pour admirer ma superbe coiffure ainsi savamment réalisée, mélange de sophistication et de laisser-aller volontaire. Personne. Juste une pièce sobrement meublée, et éclairée par des bougeoirs disparates et une grande et unique fenêtre. Des bancs, le long des murs, et une table, massive et encombrée de plusieurs objets qui dénotent le manque d’ordre typé des miliciens. Une habitude que j’ai appris, avec le temps, à ne plus le relever. Le nombre de péquenaud à l’entrée donnant la mission après l’avoir dégottée sous un tas de vieux parchemins pas classés était monnaie courante dans toutes les milices qui m’aient été donné de visiter. Même si là, un parchemin, plus gros que les autres, et roulé, attire tout de même mon attention. La pièce elle-même est cernée de deux portes fermées.

Je suis pris d’un doute : suis-je bien au bon endroit ? Il n’y a personne pour m’accueillir, ni-même un ordre clair de mission, un prisonnier à torturer, une jouvencelle à b… interroger, ou un monstre terrible à décapiter.

Haussant les épaules devant ce calme tout relatif, je m’avance vers la table pour saisir le parchemin roulé, sans l’ouvrir pour l’instant. Autant prendre mes aises, après tout. Et il m’a semblé voir quelque chose qui pourrait m’y aider. Après la sécheresse du désert, le liquide ambré dans sa fiole de verre me tente sacrément. Je m’approche du petit guéridon où il trône, entouré de verres désespérément vide, et je pose le parchemin à côté de la flasque pour ouvrir celle-ci et m’en servir un godet. Je ne fais qu’humer son nectar puissant, avant de poser le verre et, finalement, me pencher sur ce manuscrit, que je délace comme la robe d’une pucelle : avec moult précautions pour ne pas l’abimer.

Et je m’apprête, sirotant ce verre, à en découvrir le contenu.

Je franchis la porte d'entrée avec un sentiment étrange de déjà vu, non que je connaisse le lieu, mais l'atmosphère m'évoque quelque chose. Quoi, je ne parviens pas à le déterminer, ce qui n'a au final aucune importance. J'examine la pièce d'un bref regard, mais il n'y a pas grand chose à voir à part l'homme attablé devant un fouillis de parchemins, ce qui ne semble pas particulièrement le réjouir. Il a l'air d'un combattant bien plus que d'un scribe, et je ne peux m'empêcher de penser que la milice doit sévèrement manquer d'effectifs pour gaspiller ainsi les talents de ses hommes. Enfin, ceci ne me regarde pas, du moment qu'ils ne s'avisent pas d'essayer de me coller une tâche du genre par la suite...

Je m'avance vers lui et m'arrête à trois pas de son bureau, adoptant inconsciemment une posture toute militaire et attendant son bon vouloir pour une raison qui m'échappe. L'humain lève les yeux de ses papiers pour me scruter, visiblement ma venue lui offre une distraction bienvenue car il ne semble pas le moins du monde dérangé d'abandonner ses griffonnages. Il me demande d'un ton neutre:

"C’est à quel sujet ?"

Je le fixe droit dans les yeux, un infime sourire qui n'a rien de chaleureux aux lèvres, avant de lui répondre laconiquement:

"J'ai appris que vous cherchiez des aventuriers pour mener une mission dangereuse sur un autre monde. On m'a parlé de guerre, de situation désespérée, de gains potentiellement élevés pour ceux capables de s'en emparer. Je suis votre Sindel, si ces informations sont exactes."

Il est chanceux, ce petit humain méprisable, que je sois fatigué et que j'aie eu ma dose d'hémoglobine du jour. Sans quoi je lui aurais appris à ma façon la plus élémentaire courtoisie, à savoir se lever et saluer dignement un Sindel qui lui fait l'insigne honneur de lui parler...Enfin, je me contente de le toiser, gravant ses traits dans ma mémoire quasiment vierge, puis je me dirige vers l'escalier indiqué, songeant que s'il est risqué de se mettre à dos un gang puissant ou la milice d'une cité, se mettre les deux sur le râble est une pure stupidité.

Je gravis les quelques marches et atteins un couloir comportant plusieurs portes, je me rends à la deuxième à gauche comme indiqué, frappe un coup sec puis entre sans façon.

Je découvre une salle de taille moyenne, simplement meublée des bancs ainsi que d'une table. Il y fait assez sombre, l'éclairage n'étant constitué que de quelques bougeoirs, mais cela ne m'empêche pas de constater que quelqu'un est déjà présent dans la pièce. Un Sindel...et pas n'importe quel Sindel, au vu de ce que je distingue de son incroyable équipement. Il se tient debout à côté d'un petit guéridon où siègent verres et bouteilles, et semblait en train de déguster un breuvage quelconque tout en étudiant un parchemin avant que j'entre.

Quelque chose dans sa prestance me fait froid dans le dos, voilà un être que je n'aimerais pas affronter...une chance pour moi que ce ne soit pas un Shaakt! Certaines paroles prononcées par la Magicienne Rouge me reviennent à l'esprit, ce qui ouvre dans ma mémoire une minuscule porte. Rien de plus qu'un fugace souvenir imprécis, mais mon instinct me hurle que je connais de nom ce personnage. Et comme mon instinct est mon meilleur guide depuis aussi loin que je m'en souvienne, je lui fais confiance et dis à mi-voix:

"Seigneur Cromax...si je ne m'abuse?"

Le parchemin se déroule sans peine ni bruissement, habitué qu’il est à se faire toucher par toutes les mains, mais sans en être usé cependant. Un vélin de qualité pour un usage prolongé ! Comme ça ne m’a jamais dérangé de passer après d’autres, en même temps même, parfois, je lorgne les courbes qui se dessinent devant mes yeux. Il s’agit d’une carte, aux noms exotiques totalement inconnus au bataillon. Deux continents reliés par un détroit étroit, et quelques îles clairsemées. Une carte de qualité, finement travaillée, et en couleur, encore bien. Les vieillards coloristes ont dû passer un temps fou à appliquer soigneusement et sans bavure ces teintes indiquant, sans doute, la nature des paysages. Le monde sur lequel on va m’envoyer ? Sans aucun doute. Et en bas de la carte, son nom. Ou en tout cas le nom de la région ainsi représentée.

(Elysian…)

Ce qui me frappe le plus, dans ce que j’observe, alors que je porte à mes lèvres le verre d’alcool ambré au goût laissant une amertume agréable sur la langue et dans la gorge, est la normalité que m’inspirent ces paysages. Des monts, des lacs, des rivières, forêts et désert. Il n’est pas question ici d’un monde totalement désertique, ou totalement sous-marin. Ça change ! C’en est presque perturbant.

Je n’ai guère le temps de me concentrer plus longtemps sur ma découverte que des coups sont donnés à la porte. Sans attendre de réponse, elle s’ouvre sur un elfe gris à l’allure… peu engageante. Plus grand et basé que moi, tout vêtu de noir, une balafre monstrueuse barre son visage gris pierre plus qu’argent. Des cheveux gris délavé par les années, un regard dur. Quelqu’un de tout à fait recommandable, en somme !

(Et c’est toi qui dis ça. Ne disais-tu pas, il y a peu, qu’il ne fallait se fier aux apparences ?)

Je ne relève pas la remarque de Lysis, puisque l’inconnu la confirme de lui-même en s’adressant à moi avec déférence et… par mon nom. Je ne m’habituerai jamais au fait d’être si populaire. C’est assez perturbant, même si c’est loin d’être dérangeant. Ça fait bizarre d’être connu et reconnu et de ne pas connaître les personnes qui s’adressent à moi.

Conscient que ma position dans cette salle couplée à ma solitude préalable donne de moi l’image du responsable qu’il cherche sûrement, je décide de jouer le jeu et de lui répondre. C’est peut-être ce que le capitaine attendait de moi, après tout. Et ça me permettra de tester un peu à qui j’ai à faire.

« Vous ne vous abusez pas. Je suis Cromax, sergent de la milice de Tulorim. Mais je crains n’avoir tant de connaissances que vous : il ne me semble pas vous connaître. »

Ce disant, je m’approche de la table avec mon verre, laissant la carte dépliée sur le guéridon. Je porte une nouvelle fois le liquide ambré à mes lèvres, avant de farfouiller les papiers éparpillés afin de découvrir leur nature. Ou en tout cas ce qu’ils contiennent, globalement. On ne sait jamais, que je puisse glaner quelque information sur Elysian, me permettant de compléter le rôle que je me suis fixé. Je poursuis sur ma lancée.

« Je peux faire quelque chose pour vous ? »

Le regard de celui que je suppose être le légendaire Sindel se pose sur moi, brièvement. Il est froid, dur, indifférent en apparence, mais c'est son intensité qui me perturbe, et manque me faire détourner les yeux. Je serre lentement les dents, puisant dans ma volonté la force de le soutenir. Je refuse de baisser les yeux devant qui que ce soit, le fait qu'il soit sans doute capable de m'étriper avec les deux mains attachées dans le dos si la moitié de ce qui se raconte sur lui est vraie n'y change rien. Mais est-il seulement ce mythe vivant comme me le souffle mon instinct?

Sa réponse vient à point nommé. Ainsi me voilà bel et bien dans une salle de la milice de Tulorim en compagnie de Cromax...le hasard a parfois des caprices tout à fait étonnants. Cette pensée me fait sourire légèrement, tandis que je réponds à sa question implicite:

"Kerenn est mon nom, Sergent. J'ignore si nous nous sommes déjà croisés, mais vu ce qu'il reste de mes souvenirs...rien n'est impossible. Peu importe, c'est un honneur de vous rencontrer."

Il s'écarte du guéridon en y laissant le parchemin ouvert, un bref coup d'oeil m'apprend qu'il s'agit d'une carte, mais dans l'immédiat, après la soirée mouvementée que je viens de vivre, ce sont surtout les verres et les bouteilles qui m'intéressent. Mais un petit je ne sais quoi me retient d'aller me servir un verre sans y être invité, ce qui me semble étrange car en toute autre circonstance je n'aurais pas hésité. Les lieux me mettent légèrement mal à l'aise, et pourtant j'ai l'impression diffuse d'être accoutumé à ce type d'endroit, persuadé aussi que je devrais savoir comment me comporter. Mais la porte de mon esprit reste obstinément close.

Lorsque Cromax me demande s'il peut faire quelque chose pour moi, la réponse jaillit d'elle-même:

"M'offrir un verre serait un bon début. Et puis, vous pourrez peut-être me dire si je suis au bon endroit. J'ai appris que Tulorim recherchait des audacieux pour aller sur un autre monde. La rumeur évoquait des dangers insondables, une guerre sans grand espoir, des récompenses à la hauteur des capacités de ceux qui y prendraient part. Toutes choses qui me donnent une féroce envie d'aller voir de quoi il retourne. Alors dites-moi, Cromax, est-ce que je m'adresse à la bonne personne?"

Dans la milice, à un petit bureau, se tenait un homme. Pas très vieux, les cheveux chatains, le regard vif, il portait les couleurs de Tulorim. Il avait plus l'air d'un soldat que d'un fonctionnaire. Ainsi, sa présence ici était comme étrangère. Malgré tout cela, il fallait se montrer gentil et conforme aux exigences de la quête. C'était une première fois pour Baratume, alors autant faire en sorte que tout se passe bien.

Relevant les yeux à son entrée, le milicien lui demanda d'un air neutre ce qu'il voulait.

Le jeune homme s'avança jusqu'à se trouver à un mètre du bureau, ni trop proche, ni trop loin.

« Bien le bonjour Messire. C'est à propos de l'annonce concernant des péripéties et aventures dans un nouveau monde découvert il y a peu. Je viens proposer mon aide en tant qu'aventurier, et guerrier. »

C'était un bon début. Une présentation peut-être un peu banale, il faut voir ce qu'en pense l'homme assis à son bureau.

Milice de Tulorim – Salle de l’État-major

Lorsque Cromax fouille dans les papiers, il peut apercevoir différentes feuilles placées les unes sur les autres, sans réellement d’ordre. Celle-ci se trouve sur le dessus et celle-là juste en-dessous d’elle. Tandis qu’éparpillé un peu partout se trouvent celle-ci, ainsi que ce bout de papier ou encore ce parchemin.

Milice de Tulorim - Entrée

- Parfait ! Vous êtes le second. Montez, c’est la porte à gauche ! répond le milicien à Baratume sans même lever les yeux de sa paperasse.

[Cromax, Kerenn, pouvez discuter ensemble jusqu’à ma nouvelle màj.]

[Cromax : xp – 1 (post)
Kerenn : xp – 1 (posts)
Baratume : xp – 0,5 (post)]


(Mes excuses pour la qualité des trois manuscrits, j'ai pas réussi à les mettre en meilleure format durant le temps qui m'était imparti...)

L’elfe gris se présente sous le pseudonyme de Kerenn, avec autant de déférence que lors de sa première intervention. Il met en avant, étrangement, une défaillance mnésique qui semble lui arracher ses souvenirs lointains. Je réponds à ses politesses d’un simple signe de la tête, perdant mon regard sur les notes diverses qui peuplent ce bureau mal rangé. Des listes de course, de vieilles légendes propres à Yuimen, au vu des noms que j’y lis d’un coup d’œil rapide. Rien qui ne saurait m’aider pour la mission à venir. A moins qu’il ne s’agisse de sauver de la famine une planète en manque de cuisiniers. Mais je ne serais, dès lors, pas la personne la plus indiquée. A part manger des lapins à la broche, à peine assaisonnés, ou profiter de la science culinaire d’hôtes accueillants, il ne m’a jamais été donné de cuisiner plus que ça.

A ma question, le sindel délavé me répond qu’il prendrait bien un verre, poursuivant en me demandant s’il est bien au bon endroit pour régler les affaires d’une guerre sans espoir sur un autre monde, suite à un appel de Tulorim, pleine de dangers insondables et de récompenses fastueuses. Avec un sourire, je lui réponds.

« Je gage que vous êtes au bon endroit. Quant à savoir si je suis la bonne personne… Hé bien j’imagine que oui, puisque je suis seul ici. »

Je lui désigne d’un geste vague la flasque de verre remplie de ce liquide ambré.

« Servez-vous, et abusez-en ! C’est la milice qui régale, alors mieux vaut en profiter ! »

Prenant un air plus sérieux, content toutefois intérieurement de n’avoir pas tout de suite révélé ma position quant à cette quête, sans avoir eu à lui mentir, je poursuis :

« En quelle qualité vous présentez-vous ? Possédez-vous quelque capacité martiale ou stratégique ? Sans vous offenser, vous semblez bien plus âgé que moi. Auriez-vous assisté à de grandes batailles ? »

S’il vient du Naora, normal que je ne connaisse ni son visage, ni son nom. Je n’y ai jamais mis les pieds, hormis peut-être mes premières années. Peut-être est-ce dans l’une de ses batailles qu’il a perdu la mémoire. La guerre peut changer son homme. Je le sais mieux que quiconque.

J'observe attentivement Cromax tandis qu'il farfouille dans les papiers disposés sur la table dans un ordre plus que discutable. Mes instincts de combattant sont comme attisés par cette vision, je ne peux m'empêcher d'admirer sa manière de se mouvoir, la fluidité assurée du moindre de ses gestes, c'est un spectacle tout simplement...époustouflant. Un guerrier né, sans le moindre doute, qui en a vu des vertes et des pas mûres en pagaille si j'en juge par la dureté quelque peu indifférente mais somme toute aimable qui se dégage de lui. Il me rappelle un peu...

Un éclair pourpre de souffrance me vrille l'esprit. Je vois une image...des images...inconnues:

Une Sindel, plus tranchante et dangereuse que ses poignards, qui semble me juger, assurée et glaciale, assise derrière un bureau dans une pièce similaire à celle où nous nous trouvons. Puis cette même Elfe qui m'inflige une raclée qui dut être mémorable, tandis qu'un petit groupe de Sindel nous observe un peu narquoisement, disposés en rang dans une cour entourée de bâtiments d'aspect rébarbatif. Une caserne, certainement, et cette femme...Maerhin...oui, Maerhin est son nom! Et ce lieu...Raynna. Raynna la maudite.

Je frissonne, au moment ou Cromax m'assure que je suis au bon endroit et que je m'adresse à la bonne personne. Sa réponse pénètre lentement les brumes soudaines qui ont envahi mon crâne, suivie de questions auxquelles je vais avoir du mal à répondre. Il m'invite à aller me servir un verre, ô bonheur, je vais commence par ça!

Une fois la première gorgée du liquide avalée, j'examine quelques instants la carte posée sur le guéridon, fronçant les sourcils lorsque je réalise que ces lieux ne me disent strictement rien, aucun nom ne m'est familier. Serait-ce une carte de cet autre monde? Il y a bien un désert, mais rien de commun avec le Dragomélyn du Nao...

Le Dragomélyn... les Shaakts, les traques impitoyables, ordonnées par...Maerhin. C'est comme si une source torrentueuse s'était soudain frayé un chemin en mon âme, inondant mes pensées d'un flot d'images, de sensations dans un ordre décousu dont le sens exact m'échappe. Je voudrais y réfléchir posément, mais le légendaire Sindel me dévisage, et je me souviens brutalement qu'il m'a posé des questions et qu'il attend sans doute des réponses! Je vide mon verre d'une traite et le remplit aussitôt, cherchant dans le fatras de mon esprit les quelques éléments qui pourraient satisfaire sa curiosité, et je lui réponds d'une voix pensive:

"J'ignore mon âge. Quelques siècles, vraisemblablement. Je suis...j'étais un Fils du Dragomélyn."

(J'étais...bordel...un foutu militaire...suis-je considéré comme un déserteur?! Va falloir que je creuse la question, mais...plus tard.)

J'enchaîne rapidement:

"Je faisais partie des troupes stationnées en permanence à Raynna. Nous...menions des raids contre les tribus Shaakt...au coeur du désert de Sarnissa."

Je lui désigne la balafre qui me défigure:

"Un mauvais coup a mis fin à ma carrière. Ma mémoire...est restée dans les sables. En partie. Elle me revient, peu à peu."

Pourquoi lui dis-je cela par Meno le Flamboyant?! Je ferais mieux de tenir ma langue! D'un autre côté...le mal étant fait...je poursuis, décidant pour je ne sais trop quelle raison de lui faire confiance:

"Je dois être considéré comme un déserteur, je suppose. Bien involontaire, mais tout de même...il faudra que je règle ça. Pour l'heure, c'est à peine si je me souviens de bribes de mon passé. Mais quoi que j'aie oublié, je suis capable de survivre dans les conditions les plus extrêmes, mon instinct n'a pas disparu."

Je le fixe avec dans le regard une volonté sauvage et inflexible en achevant ma tirade:

"Je réapprendrai ce qui me fait défaut. Rapidement. En attendant, je reste capable de garder la tête froide dans les pires circonstances, et d'analyser une situation pour en tirer le meilleur parti, pour moi comme pour le groupe auquel j'appartiendrai. Cela répond-il à vos questions?"

Si je sirote tranquillement l’amertume du liquide ambré qui orne mon verre, le dénommé Kerenn ne fait aucun cas de sa forte teneur en alcool et en ingurgite le contenu d’une traite. Il semble un peu perdu dans ses pensées, comme perturbé par mes paroles pourtant peu profondes en sens. Pense-t-il aux nombreuses batailles qu’il a menées ? Sans doute. Il ne doit pas en être à sa première guerre, quand on voit son physique. Quand enfin il daigne me répondre, c’est pour me dire qu’il ne se souvient plus de son âge. Décidément, ses problèmes de mémoire sont sérieux. Il me les confirme d’ailleurs sans pudeur, terminant de se présenter comme un soldat combattant les shaakts dans le désert de Sarnissa, non loin de Raynna. Des noms qui n’évoquent que bien peu, pour moi. J’ai beau être Sindel, je ne connais rien du Naora. Et quelle ironie pour moi, qui côtoie depuis quelques temps bien d’autres rivages que ceux de Yuimen, de ne pas connaître tous ceux de ma terre d’origine !


Je le laisse poursuivre sans répliquer de suite. Il ne semble pas en avoir fini. Et je ne me trompe pas : il me révèle alors qu’il doit à présent être considéré par ses pairs comme un déserteur, qu’il n’est sans doute plus admis dans leurs rangs ou à leur côté. Il souligne une propension certaine à la survie dans un milieu hostile. Sa vie, quoique bien couturée, en témoigne par ailleurs assez bien. C’est un elfe plein de volonté qui me fait face, méconnaissant de son passé, mais refusant de se laisser plier face à lui. Mais il reste un exclu. Un paria. Un peu comme moi à ma manière. Finissant à mon tour mon verre, je m’approche de lui lentement.

« ça y répond plus qu’amplement. Vous serez un allié fiable, dans cette mission, si j’en crois vos dires. »

Et j’ai envie de les croire. Je finis de m’approcher du guéridon, et me ressers un second verre d’alcool orangé au pur goût de malt. Mes yeux dérivent sur la carte, qu’il observe lui aussi.

« Elysian. C’est là que nous serons envoyés pour régler la situation, apparemment délicate, sur place. Un monde qui m’était resté inconnu jusqu’ici. Il n’a été rallié à Tulorim que depuis peu. »

Comprendre : le fluide n’a été découvert et ramené ici que depuis peu de temps. Ou en tout cas exploité depuis une période trop courte pour que quiconque ici n’ait eu le temps de dresser des ouvrages complets sur sa géographie et son histoire. La milice se paie un luxe en ayant une carte si précise. Curieux, et histoire de ne pas passer pour un olibrius aux paroles insensées, je le questionne sur ses expériences, une fois de plus.

« Êtes-vous familier aux voyages entre les mondes ? Ces secrets de fluides sont bien gardés, et souvent inaccessibles au plus grand nombre. »

J’ai appris à les connaître, même si j’ignore toujours comment ils fonctionnent. Comme les aynore, finalement. Ou les Atmos. Je les emprunte, et laisse à d’autres le soin de s’appesantir sur leur science. Alors que je hume le breuvage en le faisant tourner dans mon verre, je reviens sur sa posture personnelle.

« Ne laissez jamais personne vous traiter de déserteur ou d’exclu. Chacun est libre de ses choix, fussent-ils forcés. Et de mener la vie qu’il entend. »

Cromax m'écoute sans m'interrompre, et je lui en sais gré car il ne m'est pas facile d'ordonner les bribes décousues de ma mémoire. Il s'approche de moi sans hâte, et je sens sa puissante aura avec une acuité presque surnaturelle, par les Dieux je ne me souviens pas d'avoir jamais côtoyé un tel être! En voilà un que je pourrais suivre, à qui je pourrais vouer une confiance absolue, que ce soit dans la lumière ou dans les ténèbres! Je ne m'explique pas ce sentiment, encore une fois c'est mon instinct qui me dicte la conduite à tenir, bien plus que la réflexion. Il semble m'avoir jugé, provisoirement au moins, digne de confiance pour mener cette mission, et cette déclaration fait naître une étincelle de fierté sauvage dans mes prunelles de même teinte que le liquide fortement alcoolisé dont il se ressert d'ailleurs un verre.

Côte à côte, nous observons la carte, et je l'écoute attentivement alors qu'il me donne quelques explications. Déjà mon esprit échafaude quelques hypothèses, listant certaines tâches qui me semblent nécessaires à l'accomplissement d'une telle mission en terre inconnue. Sa question me prend un peu de court, mais après un bref examen de mes souvenirs disparates, je secoue négativement la tête:

"Je ne crois pas avoir jamais voyagé plus loin que le Naora. J'ignore tout, ou presque, des fluides. J'imagine que l'essentiel est de s'adapter, une terre reste une terre. Il suffit d'en déterminer les particularités, et de ne pas supposer bêtement qu'elles seront identiques à celles que nous connaissons, à mon sens. Si ce monde est inconnu, une première étape serait d'obtenir rapidement un "état des lieux" le plus complet possible: royaumes, races, leurs forces et faiblesses, leurs politiques, leur manière de combattre, leur magie, divinités, ce genre de chose. Enfin, c'est par là que je commencerais, la connaissance est la clé du succès d'après moi."

Je me laisse aller à un sourire légèrement sardonique, réalisant que je viens sans doute d'enfoncer une porte ouverte, il doit être largement plus expérimenté que moi en la matière, pour être devenu ce qu'il est. Sa remarque suivante me fait hausser les épaules, je lui rétorque calmement:

"Les jacasseries des abrutis m'indiffèrent. L'orgueil est un mauvais conseiller, seul le but importe, le reste n'est que foutaises. Sans vouloir vous offenser. A propos, quel est le but exact de cette mission?"