À mon avalanche de questions le garde ne m’opposa qu’un regard dubitatif, fronçant ses broussailleux sourcils. Il marqua un temps de silence, semblant se triturer les méninges afin de me répondre. Finalement il rétorqua succinctement, éludant certaines de mes questions, en élucidant d’autres.
Un terme en particulier m’avait interpellé, drainage… Apparemment l’énergie vitale, l’essence même des habitants de ce monde nommé Elysian était drainé. Par quoi ? Là était la question et c’était à nous d’élucider ce mystère, d’y mettre un terme également, cela allait de soi. Son registre de langage s’était d’un coup d’un seul réduit.
Le malheureux avait surement malmené sa cervelle, qui, confuse, s’était contentée du strict minimum. J’avais éprouvé sa patience et les questions de l’elfe vinrent aggraver cet état de fait. Sa veine temporale gonflait, son teint virait au pourpre. Il nous signifia qu’il n’était pas l’heure de larmoyer et de le bassiner de questions. Qu’un monde entier se trouvait en proie à un danger incommensurable. Voilà tout ce qui comptait. Tout ce qu’il y avait à savoir.
Je me sentais insufflé d’une mission divine. Rana m’avait conduit jusqu’ici, bien que se fut par des chemins détournés. Il devenait logique à présent que je fusse passé par ce creuset des épreuves. Comment avais-je pu douter de Rana… Comment pouvais-je espérer devenir meilleur si je refusais d’écouter plus sage que moi.
Une voix interrompit le fil de mes pensées, le garde de toute à l’heure était devant moi. Il m’indiqua que la flûte était tout ce qu’il avait été en mesure de trouver. Quant à mes habits, mon sac et mon arme, il bafouilla comme quoi tout s’était perdu dans la nature. Je m’en saisi prestement et fixai le milicien d’un air incrédule.
Il haussa les épaules et sans demander son reste se retourna pour partir, tout penaud. Le gradé qui était resté silencieux me rassura en me disant que je trouverais bien quelque chose une fois sur place.
Je tournais mon regard vers l’elfe, essayant de le comprendre. Il avait usé de termes typiques pour les marins expérimentés qui me fis m’interroger sur sa condition. Était-il vraiment marin ? Lui qui était doté d’une peau d’albâtre, alors qu’à l’accoutumé ces derniers disposaient d’une peau cuivrée, basanée, dû à l’exposition prolongée au soleil. Ses mains étaient fines et il était quasiment certain que ses mains soient dépourvues de cals. Non cet elfe qui arborait un livre richement relié devait être un érudit.
Je ne pouvais m’empêcher de jubiler de joie à l’idée de trouver quelqu’un avec qui converser. Certes il semblait jeune, encore innocent, mais il me faudrait m’en contenter. Autant faire bonne entente avec l’un de ses futurs compagnons de route. Et puis, n’était-ce notre rôle, à nous, les anciens, détenteur du savoir que de le délivrer aux générations futures ? De les aider à grandir, s’élever spirituellement ? Rana nous a fait don de sa sagesse et il nous incombe donc de relayer son divin message ! Je me promis de l’aborder au moment opportun. En attendant le milicien en charge du recrutement avança jusque à une porte nichée dans le mur du fond et l’ouvrit d’un geste brusque. L’elfe et moi-même le suivirent à l’intérieur.
La pièce en question était sobre au possible. Des dalles jonchaient le sol, les parois semblaient en chêne, ou en orme, je m’interrogeais. En son centre trônait un meuble, sur lequel figurait un sceptre argenté. Je tournais alors la tête pour apercevoir un spectacle des plus déconcertant. Un halo de lumière parcouru de frissons, il semblait n’avoir ni début ni fin, s’étendant du sol au plafond sans discontinuer. Il était nimbé d’une brume phosphorescente qui semblait danser, virevolter tout autour.
Le garde nous demanda d’y aller d’abord, sans oublier de se saisir du sceptre. L’elfe le prit avec lui et s’approcha du phénomène, y plongeant légèrement ses doigts. J’avais beau scruté les réactions de son visage, aucune grimace de douleur ne vint perturber son calme apparent. Il s’engagea dedans et de lui ne resta rien. Juste une réminiscence de son parfum qui flottait encore dans l’air.
Je regardais le milicien, puis le portail, inspirant un grand coup et m’approchais du portail. Il ne s’en dégageait aucune chaleur, quand je passais ma main dedans j’étais pris d’une douce euphorie. Cette chose, quelle que soit son nom, était le pont entre deux mondes. Une passerelle immatérielle entre deux civilisations. Pourtant c’était ici comme là-bas la guerre, les êtres vivants étaient décidément tous pareil. Ah Rana… Que pourrais-tu faire quand la majorité fait la sourde oreille à tes enseignements.
Je me repris, sentant le regard noir du garde dans mon dos.
(Bon… C’est comme un pansement, faut y aller d’un coup.)Je pénétrais alors dans le portail. Tout devint blanc, c’en était aveuglant. Ce qui semblait être de l’énergie pure s’étiolait et se rassemblait, mon corps était parcouru de spasmes. Je me sentais porter par un courant, c’était….
Comme si j’avais pris la mer, j’ai sorti la grand’voile et j’ai glissé sous le vent. J’ai trouvé mon étoile, je l’ai suivie un instant, sous le vent. C’est comme si je quittais la terre, ma terre, mais ce n’était qu’une passade, je savais que ce n’était pas fini. C’était juste une pause, un répit, après les dangers passés et à venir ! J’attendais donc patiemment la fin du phénomène, les mains posées sur le ventre.
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