J’entendais les pas du milicien et de l’elfe derrière moi mais ne ralentissais pas l’allure pour autant. Une brèche dans le mur me laissa passer sans encombrement, enjambant d’un pas confiant la petite rambarde de pierre. Le paysage qui s’offrit à moi me laissa sans voix, béat d’admiration devant les miracles de la nature. J’étais donc arrivé dans une chaîne de montagne, une rivière, ou était-ce un fleuve, à cette distance je ne saurais le dire, sinuait en contrebas, luisant d’un éclat saphir. Les parois des monts étaient recouvertes d’un pelage uniformément vert.
Le vent le faisait onduler telle la crinière d’un immense animal qui somnolait au soleil. Des formes mouvantes s’élançaient à l’horizon, elles m’évoquaient les aigles majestueux. Ces animaux qui mués par le désir de liberté ne pouvaient s’empêcher de parcourir le territoire divin, de tutoyer l’horizon. J’avais envie de pouvoir moi aussi voler, de les rejoindre dans leur danse endiablé. Ils jouissaient de ce droit divin de parcourir depuis le domaine de Rana les terres et les mers, que ne donnerais-je pour faire de même…
Tout autour s’étendait, sous ce ciel parcouru par quelques nuages, les ruines d’anciennes bâtisses. Cette zone, délaissée depuis ce qui semblait des siècles au vu de la domination quasi omniprésente de la faune et de la flore devait être devenue obsolète. Mais quelle était son but à l’origine… ?
J’avais bien envie de demander au milicien mais le pauvre semblait très peu informé et j’avais peur de le mettre dans l’embarras. Et puis-là n’était pas l’essentiel ! Je m’agenouillais et psalmodiais ma prière quotidienne.
« Ô Rana, détentrice de la sagesse, pourvoyeuse du vent salutaire, toi qui me permets de fouler cette terre, soit bénie pour ta noblesse. »Je n'avais pas terminé qu'une présence se fit sentir, projetant une ombre devant moi. C'est en me relevant doucement que je pu apercevoir un individu élancé. Je fus obligé de me reculer de quelques pas afin de mieux l’appréhender, mon nez se trouvant à hauteur de son ventre.
Cet homme n’était pas commun, avec sa grande tunique brune et sa peau rougeoyante comme des braises. Son bouc était bien lissé à l’instar de ses cheveux noirs entremêlés. Pour parfaire le tableau venait dépasser deux petites cornes laiteuses qui ornaient son front, surplombant deux grenats encastrés. Cet homme avait un air méphistophélique, un peu malicieux également. Rien qui inspirait confiance pourtant je savais qu’il ne fallait se fier uniquement à la bure du pèlerin.
Il me toisa, haussant un de ses sourcils au passage avant de m’apostropher avec un qualificatif déplacé. Il m’appelait homme miniature, moi un honorable Sinari. Il ne m’accorda pas plus de temps, comme si ma réponse ne pouvait être que futile et alla parler au milicien posté derrière moi.
Ce dernier, apparemment appelé Vernon, ne semblait guère jouasse d’être en compagnie de cet inconnu qu’il qualifia d’altesse. Mais ce mot avait-il la même signification ici ? Je n’osais demander pour l’heure, la tension était palpable et à couper au coutelas.
Vernon singea une rapide révérence, je m’empressais de faire de même, me plaçant judicieusement à droite du milicien de sorte d’être vu. Mais cela ne fit, en toute apparence du moins, ni chaud ni froid à notre chère Altesse.
Ce dernier ne s’embarrassa pas du fait d’être courtois et avec une désinvolture blessante congédia le milicien. Vernon ne fit pas mine de bouger, campant sur sa position, le regard haut., défiant celui de l’inconnu qui s’approcha de quelques pas avant de reprendre la parole, perdant toute chaleur dans sa voix. Il semblait étonné de ne pas voir ses ordres aussitôt exécutés. Ce à quoi le milicien répondit, qu’il n’avait aucun ordre à recevoir de lui sans ajouter qu’il était partant pour continuer.
Le nouveau venu s’arrêta à quelques centimètres du milicien, il le dépassait d’une bonne tête. Cela ne dura qu’un instant mais j’eus l’impression que Vernon retroussa le nez, sans doute sentait-il l’haleine de l’homme en face.
Le lord s’expliqua avec froideur, sa demande n’était en aucun cas une sollicitation mais bel et bien un ordre… Il parla également d’un Telam et d’une interdiction d’être ici pour ce milicien. Vernon semblait se liquéfier telle la bougie devant le brasier. Il était certain qu’il allait ployer comme un fétu de paille.
Il bafouilla quelques mots d’excuses avant de se carapater vers l’étrange portail. Sa fuite fut accompagnée du rire cristallin de l’inconnu qui rompit avec cette impression de puissance et de dangerosité qu’il dégageait il y a quelques secondes à peine. Je n’osais esquisser un mouvement, mes genoux s’entrechoquaient, mon palpitant battait la chamade.
(Ah Rana... La route ne sera pas de tout repos n'est-ce pas... Enfin ! Ne mettons pas la morue avant les œufs.)Cet homme, quelle que soit sa nature devait être important au sein de sa hiérarchie. N'importe qui n'était pas envoyé en tant qu'émissaire. Il fallait des qualités inhérentes à cette fonction, comme la gestion des émotions, la compréhension de l'autre. Alors pourquoi cet homme-là avait-il été envoyé... Non décidément il ne me plaisait guère. D’instinct j’agrippais ma flûte pour me rassurer, cet objet me venait d’un troubadour qui lui aussi révérait Rana. Ah son sobriquet était lui-même évocateur au possible, se faisant appeler Anar.
Il parcourait le monde, propageant la bonne parole, se servant de ses divers instruments afin d’égayer les rudes soirées d’hiver. C’est lui-même qui m’avait incité à jouer de la flûte, lui encore qui m’avait intrigué avec cette Rana qui à ce moment-là m’était parfaitement inconnue. Pourtant que ne fut la joie quand je me fus penché sur ses préceptes. Depuis lors je vouais ma vie à Rana, tâchant d’agir au mieux, de répandre moi aussi la joie et ses précieux enseignements.
L’homme se retourna vers l’elfe et moi, nous souriant tour à tour. S’excusant pour sa perte de manière. Il se présenta sous le nom de Malakbêl, un élémentaire de feu. Malgré sa gentillesse apparente je ne me laissais pas duper. Je savais, j’avais ressenti l’aura dégénérée de cette homme, il n’était pas juste dangereux, il était pire…
Dangereux et inconstant. Comme à l’instant avec le milicien, cette facilité de briser ce rythme imposé par la colère pour revenir tout sourire. C’était le genre d’homme capable de massacrer un village entier, le faire brûler avant de revenir tout guilleret comme si de rien n’était. Je voulu avertir l’elfe mais j’eus peur que Malakbêl ne le remarque et préféra ne rien tenter de dangereux.
Il sermonna Vernon, bien que ce dernier n’était plus là pour se défendre, et nous expliqua que nous étions en route pour Ilmatar, la cité des Sylphes, villégiature des élémentaire d’air. Il se mit aussitôt en route, empruntant le petit sentier qui reliait les ruines à notre prochaine escale.
Il termina en nous souhaitant la bienvenue, nous félicitant au passage de notre judicieux choix, pour finir par nous inciter à lui poser des questions. La première qui me vint m’apparût comme toute naturelle en vue de notre future destination.
« Messire, vous avez évoqué Ilmatar, résidence des élémentaire d’air. Je suppose qu’un temple est consacré là-bas à Rana ? J’aimerais le visiter, y prier également… Ma précédente prière a été… Ecourtée. J’aimerais également savoir ce que l’on attend de nous, le milicien Vernon n’a que succinctement parlé d’un problème de drainage.»
------------------------
1214 mots