Malakbêl me regarda d’un air amusé, haussant au passage l’un de ses sourcils avant de me rétorquer que j’éprouverais le plus grand mal à trouver un temple qui ne soit pas réduit à l’état de ruine… Déjà que ce monde m’apparaissait comme étrange… Voilà que j’apprenais que son peuple faisait fi des Dieux, préférant surement le conflit à la paix de l’âme… Il rajouta un petit mot à propos d’une reine des sylphes, communément appelé esprit du vent, mais ce n’était pas Rana…
Je n'éprouvais que de la peine pour ce monde qui comme le mien était déchiré par la guerre. Cette folie meurtrière touchait une majorité de peuple, bien que les hommes restent les plus prompt à guerroyer, le plus souvent pour des stupidités sans nom... Je me trouvais écœuré devant cette constatation morbide. Où que j'aille, et qu'elle que soit la forme revêtue, je rencontrais toujours le mal, la haine, la mort...
(Ah Rana quel gâchis… Combien de jeunes inconscients devront mourir avant d’apprendre ?)Malakbêl ne s’arrêta pas là, continuant de discourir sur des faits qui dans sa bouche sonnaient comme anodins… Ici les Dieux étaient…Morts ? Inconcevable… Pourtant il n’avait aucune raison de me mentir. Les Dieux pouvaient mourir ? N’étaient-ils pas nos bergers, ceux qui brillaient par leur sagesse, leur intelligence ? Ne devaient-ils pas arpenter sans fin les sentiers de la vie, nous offrant une main secourable au besoin… Il m'était intolérable de percevoir Rana et les autres déités comme des éléments mortels ou impuissants... Toute ma conception de la vie s'effondrerait céans, comme un vulgaire château de carte.
Je me sentais tout chose, mon corps était en proie à des tremblements incontrôlables. Dans ma tête se théâtralisait le conflit entre ma foi aveugle envers Rana, et l’autre penchant, celui de la méfiance, du doute et de la peur. J’étais écartelé entre ces deux pensées qui ne pouvaient réellement s’accommoder de leurs présences mutuelles. Ma foi me hélait de ne prêter attention aux inepties prononcé par ce malandrin qui devait se complaire dans sa bassesse. Mes doutes quant à eux me susurraient d’écouter, de comprendre…
J’étais déjà dans un état psychologique peu enviable que Malakbêl m’acheva littéralement en m’indiquant que Rana ainsi que les autres dieux n’avaient aucune emprise ici-bas… Non ce n’était pas possible… Cela ne pouvait être vrai… Il devait y avoir une explication. Il avait bien parlé d’un esprit du vent, surement Rana avait-elle été nommée ainsi par les habitants de ce monde. Cette idée me rassura, m’aida à reprendre un peu le contrôle. Une autre idée me parcourra succinctement… Si je pouvais rencontrer cet esprit, s’il était bien ma Rana…
Une joie sans pareille m’envahissait alors, j’étais le plus heureux des Sinaris ! Moi, humble croyant, avait l’opportunité d'approcher Rana en personne… Que d’honneur pour moi, un bonheur indescriptible était à ma portée… Il me suffisait de patienter. L’une des qualités que Rana avait cherché à m’enseigner lors de mon bref séjour en prison.
(Ah Rana ! Comment pourrais-je te remercier de m’avoir mené jusqu’à toi…)J'entendis alors l'elfe prononcer d'un ton désinvolte qu'il savait que la lumière de Gaïa les guiderait toujours. Ce petit être bouffi d'arrogance pensait sa foi plus pure que la mienne. Mais qu'était la foi sans le doute pour la remettre en question ? Ce n'était surement pas ce jeune elfe qui allait m'apprendre la vie, non ce serait le contraire ! Il était grand temps que ma sagesse défriche les mauvaises pensées qui le gangrenaient.
Sur ces entrefaites Malbabêl reporta son attention sur Meraxès, lui expliquant qu’il était le dauphin, fils de Baalshamin, roi des Ekhii. Il termina en précisant que selon le peuple, les titres n’avaient pas la même valeur et de ce fait, n’était guère utilisé, généralement remisé au placard.
Nous continuâmes d’avancer à travers le sentier, qui exempt d’arbres était violemment battu par le vent. L’herbe s’écrasait devant sa souveraineté, je le sentais me parcourir, m’envelopper d’une douce étreinte avant de continuer sa route infatigablement, rapidement succédé par d’autres bourrasques.
Avec ma récente métamorphose je me sentais en parfaite harmonie avec cet élément. Et qu’importe les dires de Malakbêl, Rana ne pouvait laisser un monde voguer sans qu’elle ne le guide, dusse être de loin. Je sentais sa présence partout autour de moi, son souffle qui permettait à la semence des plantes de se répandre, de faire naître la vie, de perpétuer ce cycle infini… J’en avais les larmes aux yeux. Par ma naissance je faisais partie de ce tout. Par ma naissance j’étais au même titre que tous les autres un élément de la vie. J’étais la vie, nous l’étions tous. Et si je l’incarnais, j’étais aussi l’infini. J'avais pleinement conscience de n'être qu'un grain de poussière dans un désert dantesque. Pourtant oh combien cette idée se révélait réconfortante... Je n'étais et ne serais jamais seul, nous, humbles grains formions un amas compact qui jamais ne se briserait. Des fragments de paysage pointaient à la surface de ma mémoire, ils m'apparaissaient comme autant de joie. Dans ma tête défilaient les montagnes bornant l'horizon, toujours majestueuses et intangibles. Les champs de blé revêtus d'une robe dorée, scintillant au soleil, les prairies à la toison verdoyante... J'étais ces paysages, je faisais partie de la naissance de ce monde. Cet aboutissement de pensée était réconfortant, je ne devais en aucun cas perdre courage, ni ma foi. Elle devait rester immuable, me protégeant comme le ferait le barrage. Les vagues furieuses auront beau s'échiner à s'abattre dessus avec violence, rien n'y fera. Le mur restera là, bienveillant.
Je ressentais les choses qui m’entouraient différemment, les percevaient avec plus de discernement. Ce pauvre Malakbêl n’était qu’un agneau égaré, et bien qu’en lui se cachait un loup capable de vous arracher la gorge d’un geste, je n’arrivais plus à éprouver pour lui que de la peine, voir de la pitié. Il ne comprenait même pas qu’il passait à côté de la vie, qu’il ne faisait que la survoler en dépit de tout bon sens… Mais je n’oubliais pas cette part animale qui l’habitait, s’il venait à mal prendre mes propos, j’avais plus de chance de finir dans un fossé, oublié de tous, qu’autre chose…
(Ah Rana, guide ton fervent serviteur, permet lui de trouver les mots justes.)J’allais parler quand Malakbêl reprit le fil de ses explications. Il nous déclama les différentes races peuplant Elysian, la plupart se retrouvait également dans mon monde, pour ne citer que les elfes, les lutins et les hommes. Mais il alla plus loin, évoquant les élémentaires, au nombre de cinq à travers ce monde. Chacun représentant un élément naturel : les Ekhii dominaient le feu , les Aigails en appelaient à l'eau, les heureux Sylphes et leurs maîtrises du vent, les Golems dotés du pouvoir lié à la terre et aux végétaux et pour finir les Ishtars maîtres de l'ombre et de la lumière.
Pour terminer il nous donna un os à ronger, nous expliquant les tenants et aboutissants de cette triste affaire de drainage. Une force tapie dans l’ombre pompait les précieux fluides, les élémentaires étant en grande partie constitué du dit fluide pouvait donc succomber.
Cela était un problème d’envergure, il devenait capital pour la sauvegarde de plusieurs peuplades de parvenir à démasquer et neutraliser le coupable, ou plus probablement les coupables. Peut-être était-ce des groupuscules mécontents du système de gouvernance actuelle, ou alors un châtiment divin… Il ne fallait aucunement écarter cette option, spécifiquement pour un monde perverti et aveugle devant la sainte lumière de Rana, de sa sagesse… Pourtant il n’y avait pas à tergiverser, d’après Malakbêl, c’était l’équilibre de tout Elysian qui se révélait être en péril, car les élémentaires jouaient un rôle indispensable à la stabilité de ce monde.
Mais là encore les sentiments venaient, défiant toute logique, entraver la survie d’un monde tout entier… Les différentes races ne se faisant pas suffisamment confiance ne collaboraient pas, et la confiance n’était pas de mise concernant les habitants de ces terres. Voilà pourquoi il avait fait appel à des intervenants extérieurs, nous ne susciterons pas autant de méfiance.
Tout ceci était dur à avaler, je sentais le poids des responsabilités peser sur mes épaules… Mais je n’étais pas seul ! Rana allait me guider, m’aider à y voir clair. Je ne devais en aucun cas être gagné par le découragement, même au vu de l’ampleur de la tâche.
Je regardais Malakbêl et lui annonça cérémonieusement :
« Altesse, mes oreilles et mes yeux sont à votre service. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider, peu me chaut l’or, la reconnaissance, ou la notoriété, il m’incombe de vous porter une main secourable. Voilà tout ce qui importe. »J’esquissais une rapide révérence pour finir, soit dit en passant parfaitement exécutée, aboutissement de nombreuses années d’entraînements dans des soirées nobles. Après quoi nous continuâmes de marcher le long du chemin. L'elfe se mit à chantonner un chant religieux de Gaïa, le plus connu de tous bien entendu. Je l'avais moi-même interprété avec ma troupe lors d'une fête religieuse organisée par des fidèles de Gaïa lors d'une chaude soirée d'été... Ces souvenirs m'emplissaient de joie, je revoyais les visages éclairés par le bonheur quand nous entamions la douce mélodie, rapidement agrémentée par des voix d'anges. Mes camarades qui s'unissait dans l'amour de l'art, de cette beauté qui transcendait les peuples, les religions. J'entendais distinctement la musique, le rythme me revenait peu à peu. Là ! Mon solo était arrivé, j'étais accompagné d'Imalia, celle dont la voix portait le plus, s'évadait presque dans les airs... Je sortis ma flûte forestière et commença à jouer de concert avec Meraxès.
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