Le monde jouait souvent de vilains tours à la jeune femme. L'Esprit du vent d'Ilmatar annonça la nouvelle qui avait aux oreilles de Hrist la portée d'une lourde sentence. Non loin d'elle, Silmeria qui quelques instants plus tôt avait tourné le dos à la Frémissante faisait de nouveau volte face et lui adressa un regard presque amical. L'avait-elle finalement pardonnée ? Qui détenait son âme désormais, perdue entre les mondes, capturée par l'Esprit de l'ombre et de la lumière, voguant au grès de celui du vent qui l'avait conduite ici pour l'exhiber comme un vulgaire ours de foire.
Hrist serra les poings, profondément déçue et triste de ne pouvoir accomplir sa promesse. Silmeria quant à elle, lui offrit un dernier sourire et déjà, elle se dissipait dans les volutes translucides d'une petite bise magique qui faisait disparaître le bas de son corps. Avant de fondre dans le néant, elle porta à ses lèvres les bracelets de l'Ombre noire pour les embrasser et disparu comme elle était venue.
Hrist tourna le dos à l'Esprit qui lui accordait sa bénédiction. Elle ne souhaitait pas lui répondre, trop d'amertume en bouche et son coeur, contaminé par le froid ambiant, semblait alors insensible aux encouragements et salutations amicales. Tout ce qu'elle voulait, c'était Silmeria. Le Genèse de sa promesse et de son existence.
De nouveau, ses pas la guidèrent le long de ce petit sentier couvert de neige. Les traces de ses précédents pas avaient déjà presque été ensevelis mais elle n'avait pas de doute quant à la direction. Sentant derrière elle le regard de cet Esprit méprisable, Hrist vit le décor changer, l'ambiance devenir plus tiède et la neige disparaître au profit d'une verdure plus manifeste. C'est à mi chemin qu'elle arrêta le pas. Massant doucement ses yeux du bout des doigts la tueuse faisait le deuil de sa jumelle, le deuil du Merveilleux.
Les Fantasmes étranglés
Et voués à disparaître ;
Le désir aveuglé
Dont on n'est point le maître
Se meurt dans la tristesse
D'un désarroi blasé.
Hrist retira la
Tueuse de Mage de son fourreau et s'inspecta sous le reflet de sa lame argentée. Elle avait encore les yeux un peu rouges mais ses paupières n'étaient plus gonflées. Pour tout changement, le bout du nez glacé, les oreilles dures de froid et les joues légèrement irritées par les assauts répétés du vent et de la neige. Se demandant pourquoi l'entité Divine s'acharnait même en ce monde, privé de Dieux, à lui donner tant de fil à retordre.
Reniflant et ravalant sa morve, elle lâcha d'un ton morne :
« Les morts ne reviennent pas. »Rangeant ainsi son arme, elle coiffa du bout des doigts quelques mèches de cheveux et continua le chemin voyant qu'au bout de celui-ci, elle était attendue. Aaria avait sans doute planté là une servante ou une intendante pour escorter la femme jusqu'aux autres aventuriers rencontrés plus tôt. Hrist n'était pas surprise même si sa paranoïa lui murmurait que si Aaria ne voulait pas qu'elle traine trop en chemin, c'est qu'elle avait peut-être quelque chose à cacher.
Hrist préférait mettre aucune probabilité de côté, Aaria était jusqu'à présent leur contact privilégié mais que savaient-ils d'elle ? Certes elle savait mettre à l'aise, avait de bonne dispositions et était plutôt aimable et avenante. De quoi fausser le jugement de beaucoup. Elle disposait aussi d'une armée et d'un humain à sa tête, qui lui servait de conseiller de surcroit. Faisait-elle partie de cette danse sinistre qui faisait valser de nombreux secrets avec ses danseurs tous aveugles ? La femme détestait les secrets. Se pliant cependant volontiers à l'invitation sympathique de la Sylphe pour la suivre, la femme garda un oeil sur les alentours. Toutes deux longèrent les jardins avant de suivre l'exact tracé qu'elle avait réalisé plus tôt avec Aaria. Les mêmes odeurs vinrent attaquer ses narines mais la rencontre avec l'Esprit lui avait définitivement coupé l'appétit, il ne restait plus qu'une lourde angoisse accompagnée de sérieuses envies de meurtre. Hrist ne décrispait pas la mâchoire, fort heureusement, la Sylphe qui l'accompagnait été muette comme une carpe, elle se contentait d'ouvrir la marche et Hrist de suivre en silence.
Le sang de la femme bouillait, il tambourinait sur les tempes et quelques bouffées de chaleur venaient titiller ses nerfs. Hrist aurait bien voulu passer ses nerfs dans un combat, elle observait la Sylphe face à elle qui de temps en temps tournait son visage vers le sien pour lui adresser un sourire poli et continuer d'ouvrir la voie. Hrist observait le cou et la nuque dénudés de la Sylphe, pas de bijou, juste une jolie broche d'argent à l'épaule qui maintenait fermé un drapé léger et aussi aérien que les mouvements des deux femmes. La tueuse rêvait de lui enfoncer sa lame au travers de la gorge, voir le métal brillant de la Tueuse de Mage ressortir de l'autre côté de cette jolie gorge fine et douce, la lame reluisante capable d'éplucher un Guerrier Lézard n'aurait eu aucun mal à tailler la chair fine de cette servante. Avait-elle le sang rouge ? Allait-elle crier dans un dernier souffle ? Et les gardes qui ne tarderaient pas à lui tomber dessus par douzaine pourraient-ils endiguer le carnage qu'elle ferait si d'aventure, après ce meurtre de sang froid, elle tomberait sur une pièce pleine de servante ? Toutes ces Sylphes qui n'avaient à présent pour seule crainte la disparition de leur espèce en avait sûrement oublier ce que c'était que de craindre quelque chose d'autre? Quelque chose qui n'avait pas de logique, pas plus que de morale ou d'envie. Telle une langue assoiffée de sang et nulle autre solution que d'assouvir sa soif, Hrist se fit violence et se contenta de déporter son attention sur autre chose pour calmer sa colère.
La douleur était souvent une excellente distraction pour l'esprit. Hrist avait compris ça lors de ses tortures sur les cibles que Xenair lui désignait. Un homme torturé perd vite l'esprit et finit toujours par avouer même l'inavouable. Un homme pieu avec une vie bien soignée et des vertus plein les poches pouvait facilement reconnaître avoir tué des enfants par plaisir après avoir enduré le fer. Et ce quant bien même ce soit totalement faux. La volonté de l'esprit est trop facilement malléable pour quiconque sachant manier l'art de la douleur et de la malice. En songeant à la douleur, Hrist observa son bras devenu soudainement douloureux lorsqu'elle recevait la bénédiction de l'Esprit. Quelle surprise lorsqu'elle vit que le long de son bras gauche était maintenant barré d'une Murène. Certes, la forme était très simple, la seule chose qui distinguait ce tatouage du premier, le Serpent Noir d'Oranan, c'est que celui-ci portait la gueule moqueuse et cruelle d'une Murène. Ses écailles semblaient avoir été dessinées comme le ferait n'importe quel artiste pour dépeindre le symbole du vent. Une Murène bénie par l'Esprit du vent. Voilà quelque chose qui lui collait à la peau. Cette histoire aurait très bien pu la faire sourire, mais elle n'avait pas encore avalé sa haine.
Hrist arriva enfin sur le parvis du Palais accompagné de la Sylphe. Devant eux, un charmant comité d'accueil où elle reconnu de suite les compagnons Yuiméniens avec qui elle irait à Ilyria. Il y avait aussi la Reine d'Ilmatar et sa trésorière, Aamu. Cèles ricana de nouveau en voyant la jeune femme, incapable de penser à son nom sans pouffer. Les deux éminentes Sylphes encadraient un homme de forte taille et de solide stature. Quelque chose de Telam dans le regard et dans le visage. Hrist comprit qu'il devait s'agir là de son frère avant même que celui-ci ne soit présenté.
Ce fut la Reine qui l'introduisit et comme il ne fut présenté qu'à Hrist, elle conclu être la dernière à avoir rencontré le Général. En d'autres circonstances, elle aurait volontiers discuté un peu avec l'homme, que ça soit pour glaner des informations supplémentaires ou simplement les usages, mais sa colère ne se dissipait pas. Encore une fois, ses doigts se mirent à trembler.
Cet homme à fière allure portait une armure joliment décorée, comme celle de Telam mais celle-ci semblait avoir connu la fièvre et le feu des combats. Il n'y avait que sa cape qui sentait le neuf, pour le reste, il était facile de comprendre qu'il ne quittait pas cette armure qui lui avait sauvé la vie par le passé, à moins qu'il ne s'agisse là d'une façon de montrer que ses combats d'autrefois ne l'ont pas tué. Là où certains préféraient exhiber une armure en lambeaux, Hrist préférait ses cicatrices. Certes, recevoir un coup de masse sur une armure de fer n'est pas toujours réjouissant mais se faire tailler les bras par un gobelin en colère ou recevoir en pleine poitrine une épine d'araignée géante, aussi longue et pointue qu'un stylet, c'était autre chose. Faisant un bref signe de la tête pour imiter le gorille, Hrist détourna le regard, esquissant un sourire en voyant les chevaux. Au moins, Cromax n'avait pas menti en mentionnant qu'ils chevaucheraient jusqu'à Ilyria et non qu'ils marcheraient.
De leur côté, Faelis et Pureté se virent offrir un présent de la part des Sylphes, quelques pièces d'équipement qui pourraient s'avérer utile s'ils venaient à rencontrer la moindre embûche sur la route. Hrist aurait préféré faire une traversée paisible et calme mais d'un autre côté, elle était aussi curieuse de voir quels talents possédaient ses nouveaux camarades de jeu. Et ce Cromax, celui qu'elle supposait être l'homme que Xenair avait ordonné qu'elle retrouve... Etait-ce bien lui ? C'est que... Il s'agissait tout de même de ne pas prêter ses services à n'importe qui.
Il était accompagné d'une créature que Hrist n'avait encore jamais croisé. Une forme bipède, humanoïde en tout point sauf peut-être pour la chevelure qui semblait... Singulière. Encore une fois, l'aspect amical et sympathique pouvait être trompeur. La Femme se déplaçait avec une aisance certaine et portait une tenue plus destinée au voyage qu'à la vie de château comme celle que portait Aamu et Aaria. De plus, l'épée fine qui pendait à sa ceinture indiquait qu'elle serait du voyage et ne réjouissait en rien Hrist.
(« On dirait que la Reine veut garder un oeil sur nous. »)(« C'est sûr que si elle avait voulu nous accorder une escorte elle aurait plutôt invité Grosseépée à nous joindre. »)Hrist observait en détail chacun des voyageurs, aussi silencieuse qu'une statue de sel et d'un mouvement de bras, elle sentit avec effroi que son arme, la
Tueuse de Mage était mal dissimulée et que la cape qui devait l'entourée était restée coincée dans l'attache de la garde. Certes, il ne s'agissait pas là d'un incident majeur mais elle n'avait pas souhaité que l'on voit quoique ce soit d'elle. Comme l'enfant qu'elle était encore quelque part, elle savait garder ses secrets et tenait ça de Silmeria.
Aaria parla aux aventuriers tous ici rassemblés et annonça qu'elle avait bien tenu compte des demandes de chacun. Hrist trouverait donc la liste des contacts d'Ilmatar, les personnes fiables et dignes de confiance, qui vivaient à Ilyria. Bonne chose, cela permettrait au moins d'établir un semblant de stratégie avant d'arriver comme des oeufs en gelée sur place, ne sachant quoi faire.
La Tueuse avait déjà songé à quelque chose et elle s'apprêterait à en parler aux compagnons une fois que la femme du nom d'Ixtli serait partie. Le Général annonça aussi un avertissement. Selon le dernier rapport des éclaireurs, un nombre conséquent de bêtes sauvages auraient quitté leurs terres pour se rendre là où ils passeraient en quête d'Ilyria. Hrist n'y voyait rien d'alarmant, si les bêtes sauvages sont comme celles de Yuimen, elles n'attaqueraient probablement pas un convoi de cinq chevaux. Souvent une bête affamée s'attaque aux proies malades et isolées du groupe auquel elles appartiennent. Là, les chevaux semblaient robustes et bien nourris, pas le genre d'animal à rester à la traîne et si un danger se présentait, la sagesse voudrait qu'ils se ruent au galop pour distancer la menace plutôt que de risquer de blesser une ou deux montures. Si la distance était conséquente, les montures seraient fatiguée de l'effort et si un des chevaux venait à périr lors d'une embuscade, il faudrait alors que l'une des montures supporte deux cavaliers au lieu d'un, ce qui la fatiguerait davantage.
De son côté, la Reine donna une autre information intéressante, elle indiquait qu'en cas de danger sur place, il serait alors possible de faire des colliers un moyen de s'échapper sans heurts où qu'ils soient emportant avec eux la monture ou une autre personne pour peu qu'elle soit en contact avec celle qui exercerait la magie. Ce qui pouvait avoir son intérêt si une bande d'humains venaient à la surpasser en nombre et en force ou s'ils devaient rapatrier rapidement un des responsables du drainage.
Cela dit, Hrist ne croyait pas vraiment qu'ils en trouveraient un sur place. Quelqu'un faisant ce genre de besogne irait plutôt choisir un endroit parfaitement en retrait de tout. De préférence non visible et difficile d'accès. Comme une ruine. Un volcan. Ou encore sous l'eau.
Un Sylphe tendit à la tueuse la bribe d'un d'entre eux, indiquant d'une inclinaison du menton un salut respectueux auquel Hrist ne répondit pas, se contentant de prendre les rennes et de monter immédiatement sur la monture au poil sombre qui lui évoquait vaguement son ancien cheval, Calpurnia.
Elle avait perdu la main et se sentait un peu mal à l'aise sur un cheval, peu habituée à ce genre de transport, elle se montrait malgré ça rassurée de ne pas avoir à couvrir une autre grande distance uniquement en marchant.
Cromax quant à lui, après avoir un temps ironisé sur le danger que représentait ces animaux sauvages, descendait les marches deux par deux pour s'enquérir à son tour de la monture qui serait la sienne tandis que Faëlis exerçait ses dernières courbettes au comité de départ.
Hrist se débarrassa de son petit sac en peau et l'enfourna dans la sacoche à l'arrière de son cheval. La bête était calme, disciplinée, elle ne bougeait pas malgré qu'elle soit montée par une illustre inconnue. Sous les salutations combinées des dirigeants d'Ilmatar, Hrist accorda un signe de tête et esquissa un semblant de sourire. Elle n'avait encore rien dit depuis la rencontre avec l'Esprit.
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