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Hrist écoutait d'une oreille attentive les racontars qui allaient bon train mais elle comprit rapidement que la sûreté des informations qu'on lui jetait à la figure de chaque côté n'était pas des plus pertinente. Le petit groupe qu'elle venait de rejoindre ne semblait pas d'accord et là où certains préféraient émettre des réserves quant à l'objectif de la mission, d'autres s'enhardissaient déjà de mettre la main sur le précieux artefact. Le but semblait clair, le détruire, mettre fin à ce mal afin qu'il ne puisse recommencer à nuire ce monde ou un autre dans quelques décennies. Mais que se passerait-il si Hrist détenait cet artefact et que vint alors le choix de le détruire ou de tenter de le contrôler ? Un tel objet devait détenir un pouvoir immense pour mettre à bas les Dieux eux même. Bien qu'elle soit très douteuse sur ses capacités à employer un tel artefact magique, elle décida quand même de garder cette idée dans un coin de sa mémoire pour le moment venu.
Ignorant les blagues épaisses des deux hommes qui se jetaient des clins d'œil appuyés à chacune de leur grossièreté, Hrist répondit d'un sourire au geste avenant et gracieux de la Reine qui l'invitait à la suivre au sein du Palais pour rencontrer cet esprit. Elle quitta les aventuriers qui quant à eux, se dirigeaient avec Aamu dans un endroit différent afin d'échanger leurs Yus en une autre monnaie. Hrist soupesa sa bourse d'un geste du doigt et grimaça sous sa légèreté.
Si ses richesses étaient mise à mal, il n'en était rien du palais d'Ilmatar. La clarté de la pierre et l'architecture aérienne ornée de colonnes majestueuses et de dorures raffinées illuminait le hall du palace tandis que chacun de ses pas lui évoquait Keresztur.
(« Et bien... C'est pas déjà moins lugubre que ton château. ») (« Ancien domaine. ») (« Oui, c'est vrai que désormais, tu squattes les caves d'une taverne à Omyre. AHAHA ! »)
Hrist poussa un léger soupir et s'empressa de se reprendre afin de saluer deux Sylphes qui firent respectueusement un salut de tête à la Reine.
(« C'est... Loin de ce que je m'imaginais. Une Reine je veux dire. Je la voyais mieux... ») (« Gardée par un contingent de gardes en armure lustrée et qui marchent au pas ? C'est pour les défilés ça. Un gars tout carapacé avec une arme de vingt livres c'est pour impressionner. Tu aurais le temps de tuer le roi, le dépecer, lui couper la tête et te faire un masque avec son visage mort le temps que sa garde ne soulève son coupe-lard. ») (« ... ») (« Et il n'y a que toi pour imaginer qu'on puisse vivre avec une escorte armée qui t'escorte jusqu'aux latrines. »)
Hrist détourna l'attention sur une teinture de velours aux motifs dorés. Certes, ce n'était pas la première fois qu'elle voyait ce genre de chose. Elle savait qu'il était nécessaire pour les peuples d'illustrer les hauts-faits par divers moyens. Elle n'avait jamais apprécié les ménestrels, pour la femme, c'était un métier indigne, être destiné à crapahuter le long des chemins armés d'un oud pour conter des exploits antiques, selon Hrist, ce genre de métier était destiné aux vagabonds qui ne pouvant payer une nuit à l'auberge, tentaient d'échanger une paillasse sèche en échange de chanson et de danse. D'ailleurs, le Roi lui même avait ses propres valets d'amusement. Ce qui devrait dissuader les autres d'en avoir.
Il y avait aussi l'écriture, les gravures magnifiques à l'encre d'Oranan et à la plume d'oie. Elle n'imaginait pas le temps que mettait un scribe pour réaliser un parchemin, mais Hrist avait conscience de la beauté de la chose. Un scribe était difficile à trouver, les bons surtout, ceux qui savent faire chanter des mots et piquer l'imagination de chacun pour faire rêver des éveillés. C'était déjà différent de dégoiser des chansons grotesques en tripotant un crin-crin mal accordé et hors d'âge. - Elle détestait les ménestrels. -
Venait ensuite le tour des peintres et des tisseurs. L'un manipulait les couleurs et l'autre les textures. Là où le peintre colorait une image éternelle, le tisseur de ses mains parvenait à donner un relief, un petit monde de velours, de soie et de chanvre tiré à l'aiguille pour embellir une scène de guerre, de chasse ou le portrait d'un Roi et de sa famille. Ici, les Sylphes qui avaient érigé cette œuvre avaient fait preuve d'une dextérité époustouflante. La scène représentait un monde de vivants surplombés d'immenses créatures aux couleurs riches et prenantes. Il s'agissait d'une scène divine à en juger la différence de taille des personnages. Les gens ont souvent l'habitude d'imaginer leurs Dieux grands et magnifiques. L'amertume monta dans la gorge de la Sindel qui continua la marche, adressant à la teinture un dernier regard. On jugerai que les dessins bougeaient tant le tisseur avait fait preuve d'application.
La bonne Reine faisait une explication plus que bienvenue après le charivari d'informations qu'elle venait d'ingurgiter. La situation semblait assez claire, le monde perdait son sang comme l'avait souligné Cèles et l'illustration était très parlante. Aaria avait fait appel à des mercenaires, des aventuriers de tout bord afin d'enquêter en son nom. C'était donc elle, la Reine d'Ilmatar la commanditaire de sa venue ici. Probablement la seule à avoir suggéré l'initiative de faire appel à un monde extérieur et cela probablement soufflé par le général, frère de Telam qui était sans doute ici depuis plus longtemps à en juger à son titre. N'est pas général qui veut du jour au lendemain, surtout si la ville de Tulorim ne souhaite pas s'y impliquer, il n'avait donc pas une présence ici politique et diplomate. Si les fragments de l'histoire de rassemblaient doucement, Hrist émettait un doute sérieux sur la présence des humains en ce monde.
(« Si je me souviens bien, il y a de nombreux dictons de sagesse populaire Elfe, Nain, Garzok qui traitent des humains. ») (« Comme quoi ? ») (« Et bien que ça peut faire tout et n'importe quoi pour se désennuyer. Ou pour le pouvoir. Que ça peut réinventer la méchanceté en y ajoutant des fioritures maladroites et... Qu'ils sont mauvais joueurs ? ») Conclua Cèles. Hrist, amusée se prit au jeu de la conversation le temps de quelques secondes. (« Oui, je me souviens un peu. Ils sont sujets à une nombre considérable d'expressions perdues et désabusées, comme '' Un humain, c'est pas très patient et ça a un sens très propre de la culpabilité. ») (« Et ils donnent à leurs Faeras des noms à coucher dehors. Je connaissais une Faera de glace que son humain, un jeune garçon avait renommé Fleur de printemps. FLEUR DE PRINTEMPS ! Et pourquoi pas... J'en sais rien moi. Lierre grimpant. Petite rosée matinale ! Petit matin brumeux ? ») (« C'est totalement imbécile. ») (« Nooon mais je dis ça hein. Elle s'en remet hein. Mais c'est humain. Presque laid. D'ailleurs, elle tombera bien du même avis, cette fameuse sagesse populaire de dire que les humains, c'est bête et méchant. Dans chaque monde ou presque, ce sont les premiers à se montrer irresponsables, bornés, haineux tout ça doté d'un sens très propre de l'intérêt. Un humain, dans le fond du fond, c'est un peu comme... Une grenouille. ») (« … Une grenouille ? ») (« Parfaitement ! ») Conclait Cèles avec un entrain animé. (« Quand un humain devient vraiment méchant et entreprenant c'est qu'il y a dans l'air une brusque variation, un changement soudain, aussi bien le drainage de fluide que la future mort de feu le roi d'Ilyria. L'humain est un... Attention, les oreilles, une sorte d'indicateur météorologi... Enfin, du temps qu'il fait quoi. Et là, nos petits humains d'Elysian si on en suit ce que disent les trois compères, sont en train de passer en Tempête. ») Hrist poussa un soupir intérieur, légèrement distraite par une odeur sucrée qui planait dans l'air avec la légèreté d'une crème fleurette.
(« Si je comprends bien, il faudra se dépêcher pour endiguer ce problème avant que le monde ne soit trop fragile et que nous soyons obligées de le fuir en retournant dans notre monde et condamner l'accès au Fluide avec de grosses planches et des chiens de garde ? ») (« Voilà ! ») piailla Cèles d'un ton enjoué. (« Mais... Une chose que je ne comprends pas. Un humain, aussi bête que ça puisse être, c'est forcément obligé un jour de comprendre qu'il faut vivre en bonne intelligence avec les autres et d'y trouver un moyen ? ») (« Oui. Enfin, oui oui, plus tu es mortel, plus tu peux oui. C'est pour les Elfes qui vivent looongtemps que pour vivre agréablement, il faut avoir un sens pointu et développé de la futilité. Un peu comme ces teintures. Parce que pour qu'un type passe des nuits et des nuits à se ruiner la prunelle à la lueur d'une bougie pour faire un tel chef d’œuvre, c'est qu'il a à un moment donné oublié de comploter contre quelqu'un. Toute espèce douée de raison agit de même, à moins d'être suicidaire ou profondément abruti. Donc, prenons en exemple du concret, Elysian. Un humain qui ferait son possible pour déclencher une guerre dans un monde déjà en péril d’annihilation c'est plutôt du suicide, ou débile ? ») (« C'est humain »). Ponctua Hrist décidément distraite par cette odeur de four chaud et de sucre cuit.
Aaria venait de conduire Hrist jusqu'aux cuisines. Il y travaillait de nombreuses personnes coiffées de toques ridicules et peu enviables qui s'essuyaient dans des tabliers raides de sauces et de gras. Il y avait dans des paniers d'osier des fruits intrigants et des odeurs inconnues. Quelques marmites crapotaient des volutes de fumée qui s'élevait au plafond un peu comme un écosystème dans le palais. Les gâtes-sauce saluèrent la Majesté d'un signe de tête emprunt d'un profond respect qu'elle rendit à chacun d'eux.
Hrist était impressionnée de perdre ses illusions ainsi forgées. Une Reine pour peu qu'elle impose le respect n'a pas forcément besoin de craindre les assassinats de couloir ou les tentatives de putsch. Au contraire, émanait d'elle un curieux ressentiment qui soufflait à Hrist que si quelqu'un devait mourir pour protéger ce monde, Aaria se sacrifierait la première. La tueuse chassa cette idée saugrenue de sa tête et se vit inviter par la Reine à prendre une petite pâtisserie. Affamée par son voyage, Hrist ne résista pas longtemps à l'appel de cette petite chose qui lui évoquait une tartelette ronde qui renfermait une crème jaune et épaisse qui lui évoquait vaguement une pâtisserie de Tulorim confectionnée à partir de jaune d'oeuf et de sucre.
Hrist croqua maladroitement dedans faisant tomber quelques miettes et jura qu'il n'y avait rien de plus agréable après un long voyage que de mordre dans quelque chose de chaud et de bon. On était déjà bien loin de ses rations que survie et des bandes de viande que son passeur, Fiori, faisait cuire en s'asseyant dessus toute la journée. La Reine offrit alors de s'installer et les jambes engourdies de Hrist ne résistèrent pas à la petite table et au tabouret qui s'offrait à elle. Cette Reine avait un profond sens des convenances et lui offrit même un breuvage jusqu'alors inconnu. Lorsque ses doigts se refermèrent sur le calice glacé et que son petit nez venait humer les premières odeurs, elle remarqua assez vite que la boisson était alcoolisée et qu'en dépit de l'envie, la sobriété en mission était une chose très importante. Mais elle trempa tout de même les lèvres pour irriguer un peu sa gorge sèche.
« C'est un excellent repas. » Dit-elle avec beaucoup de sobriété. « C'est.. On dirait du Shu-Shen. Un alcool de miel qui vient de mon monde. Oranan. Une jolie citée protégée par des Samouraïs. De puissants guerriers qui suivent une doctrine et un mode de vie très strict. J'ai été formée à l'art martial par ces hommes... Mais ils ont un sens des convenances moins poussé que le votre. » Puis, remarquant son erreur, elle essaya de se rattraper. « Bien que, c'est tout à fait normal. Vous êtes Reine. Enfin je ne voulais pas vous comparer aux... Bref. » Elle se cacha le nez en buvant une gorgée supplémentaire de cet alcool et croqua dans le reste du gâteau tout en attendant que la Reine ne s'assoie avant de l'imiter.
La Reine Aaria lui dressa alors un tableau historique de ce monde, mentionnant encore le Crépuscule des Dieux et les deux divinités majeures de cette époque à en croire la façon dont la femme appuyait son récit sur eux. Le Dieu de la magie et sa Déesse Caèles (« C'pas moi, juré ! »). La dernière Déesse de ce monde, déchue après le Crépuscule laissant derrière elle un monde en proie au désastre. Les élémentaires étaient donc fut un temps des exilés. Chassés des terres humaines à cause de la rancœur et condamnés à vivre dans ce qui fut des ruines, aujourd'hui, la Reine d'Ilmatar pouvait si elle le voulait, dire que le vent avait tourné. Elle aurait pu, si elle même n'était pas en danger de mort.
« Je vous en prie, Aaria. Je suis justement avide de ces informations et sachez que vos mots ne sont pas vains. Toutefois, je dois vous poser effectivement quelques questions. Combien de villes sont dirigées par les humains à Elysian ? Et concernant Ilyria, que préconisez-vous ? Qui selon vous conviendrait mieux pour conserver une paix entre vous et les humains ? Et cette jeune femme... Pureté, elle a mentionné une armée plus tôt. Vous avez déjà dû vous défendre contre quelque chose ? »
Hrist poussa un peu son verre et s'approcha de la Sylphide pour parler plus bas, après avoir jeté un coup d’œil afin de détecter une éventuelle oreille indiscrète. « Aaria... Suspectez-vous quelqu'un, quelque chose, un élémentaire ? Un humain ? Et cette menace serait-elle venue d'un autre monde comme nous l'avons fait naguère ? Et... Vous avez également dit que je devais rencontrer un esprit afin de.. Maîtriser mon muutos. Qu'est-ce qu'un esprit ? Est-ce une sorte de rémanence de fluide latent qui date du Crépuscule ? » (« Pfuah. Vl'a qu'elle se met à causer comme un bouquin. Tralalala, que vous eussiez, Ô Majesté la bienséance d'éclairer ma lanterne d'ignorance afin que de part votre lumineuse sagesse, les insectes de la connaissance viennent faire danser leurs petites membranes ailées dans une parade nuptiale de connaissance autour de moiiii. ») Ricana la Faera devenue très expressive depuis son arrivée sur ce monde.
Hrist étouffa un sourire et ajouta, plus sérieuse : « Aaria, je ne voudrais pas m'avancer ni vous mettre mal à l'aise... Enfin, quand je demandais si un élémentaire pouvait être lié à ce genre de catastrophe. Je veux juste m'assurer de ne pas mettre de côté la moindre piste afin d'éviter d’aggraver les choses. A quoi dois-je m'attendre à Ilyria ? Puis-je me rapprocher de quelqu'un qui a votre confiance ? »
Hrist se redressa doucement sur le tabouret et termina son verre d'un trait, prête à boire les paroles de la Reine.
Cèles quant à elle, était plutôt passionnée par la beauté imperturbable de la Sylphe. Il était vrai que la femme faisait une excellente impression. Non seulement, ses sujets semblaient l'adorer et la respecter mais en plus, elle se mettait à leur hauteur, loin de demander des interminables séances de doléances où elle ferait semblant de hocher la tête en écoutant les pleurs de tel ou tel manant qui viendrait la perturber entre deux activités moins ennuyeuses.
(« C'est vrai que ça change, par le passé, les Roi étaient plutôt dans leur coin. A entretenir une cour composée de maîtresses et de compagnons de chasse. D'ailleurs, ici ils ne risquent plus vraiment de vénérer qui que ce soit, si les Dieux sont morts. C'est déjà une bonne chose, un Roi qui ne croit pas ou qui n'aime pas la chasse par chez nous, c'est presque un crime de lèse-Majesté. Car quand il n'est pas en train d'écouter des sermons oniriques, il cavale après des bestioles. ») Commenta Cèles. (« Je ne pense pas que ça soit la mode, par ici. Ilmatar semble être un havre. Je n'ai pas vu le moindre mendiant, le moindre cadavre de caniveau, le moindre seau de merde jeté par la fenêtre qui retombe sur un état de fruits ou de légumes terreux qu'un traîne-misère à la mauvaise haleine viendra acheter pour nourrir ses chiards rachitiques. ») (« On sent que tu aimes la poésie, toi. Tu es assurément sensible des jolies choses. Les belles villes, les hautes tours blanches, les teintures dorées qui fêtent un événement resplendissant, les cadavres décomposés dans les caniveaux couverts de fiente... Non vraiment... Charmant. Fin. Très fin. »)
Malgré cette ville aux reflets merveilleux plantée là dans ce décor féerique, Hrist se rappela de l'amertume qu'elle ressentait aux Crocs du Monde. Il y avait beaucoup de sentiments en cette terre, quelque chose de triste et de colérique. Quelque chose de latent et d'indicible comme une hargne patiente qui se montrait prête à attraper la gorge de la première proie qui passerait à sa portée. Hrist était consciente que sa paranoïa lui porterait préjudice, mais Cèles confirma à sa façon le sentiment que sa maîtresse avait des Crocs du Monde.
(« Tu sais, quand ils ont été chassés par les humains, les élémentaires ne devaient pas être... Enfin, ils souffraient quoi. Et la douleur ce n'est pas soluble dans le temps et les âges. Tu te souviens du temple Elfe ? La douleur y a stagné, formé une grosse flaque triste et y croupit des années durant. Elle calcairise, se fossilise mais elle perdure tandis que les vestiges de tout ce qu'elle emportait de bon s'évaporait. Comme quand on récolte du sel dans l'eau saline évaporée. Sans doute pour ça que les revenants hantés et les morts vivants ne poussent pas des cris de plaisir en agitant joyeusement leur guenilles. Que ça soit des humains ou de quelqu'un d'autre, quelque chose hurle à la vengeance dans ce monde, j'en suis presque sûre ! »)
--------------- 3000 mots
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