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La dernière réponse de la sereine souveraine fut aussi directe que concise. La clarté incarnée, cette Aaria’Weïla. Pour qui a appris à lire entre ses lignes, bien sûr. Elle m’indique donc, sans détour, cette fois, que si je veux changer mes yus, il me faudra m’adresser à la dénommée Amu, trésorière d’Ilmatar de son état. Je n’ai fichtre aucune idée de qui ça peut bien être, n’ayant jusqu’ici pas eu la chance de la rencontrer en ces blancs murs de la cité. Elle passe rapidement sur cette assertion, répondant à mon autre question concernant la douce ondine. J’en conclus que cette trésorière, je la rencontrerai prochainement, quoique j’en dise. Aussi compté-je me laisser porter par les pas de la Reine, et préféré-je pour l’heure l’écouter me répondre plutôt que de l’interrompre.
Elle m’apprend qu’Ixtli a pris le chemin de la douche… Un instrument d’une technologie inconnue qui sert sans doute, comme les bains automatisés des chambres, à se laver la couenne, se tremper sous une pluie aqueuse et agréable tout en observant les stricts rituels d’ablution nécessaire à l’hygiène de base de tout individu normalement constitué. Bon sang, qu’est-ce que je dois moi-même puer, après ces aventures aussi mouvementées que mon réveil charnel avec l’aigail de mes pensées. L’idée de la voir se laver mêlée à celle de notre éveil commun raffermit mon envie de l’étreindre une dernière fois avant de m’aventurer plus loin dans les sombres détours de ce monde. Même si je ne peux réfréner un ricanement pouffé à la mention de crevette grillée. Je n’ose cependant relever davantage qu’elle ne l’a déjà fait, ne fut-ce que pour en évoquer la raison éventuelle en un habile sous-entendu. Aaria, pour sa part, s’en abstient également, l’attention soudain troublée par une attitude qui me laisse à penser qu’elle possède des pouvoirs cachés de lecture de l’esprit, une ouïe particulièrement fine ou une compréhension des mots portés par les vents, comme l’esprit vivant dans ces jardins, un peu plus loin. Après avoir penché la tête sur le côté pendant quelques secondes, elle m’affirme qu’une source d’intérêt vient d’arriver, et s’en va rejoindre le palais, me faisant signe de l’y suivre.
Eternel curieux, je ne peux m’en empêcher, et j’obtempère sans plus répondre à sa majesté. Ixtli, toute mouillée qu’elle soit, attendra bien un peu. Après tout, une élémentaire d’eau se doit de prendre de longues douches et bains, pour être pleinement satisfaite.
(Ouais, c’est ça. Puis moi j’m’immole trois fois par jour, sinon je déprime.)
Moui. Un préjugé de ma part, sans doute. Mais je me plais à penser que je la retrouverai de ses habits déparée, attendant que je me glisse contre elle pour lui savonner le bas du dos, lâchant innocemment la savonnette pour la laisser, ingénue, la ramasser. Haem. Bref.
Après un rapide passage par la salle de réception où nous avons été reçus la veille, aux tables nettoyées de leurs victuailles d’alors pour en arborer de nouvelles, pour qui aurait un petit creux sucré en passant par-là, nous nous dirigeons tous deux vers l’entrée de la cité. Je ne peux m’empêcher, au passage, de me saisir d’une pêche mure, que j’engouffre tout en marchant, ne me souciant que peu de son jus sucré qui me coule entre les doigts, et lapant ceux-ci tout en empochant le noyau pour l’heure où je trouverai un endroit plus satisfaisant pour l’y loger. Arrivés dans l’escalier, je suis surpris de n’y retrouver que si peu de visage familier. Un seul, en vérité, en la personne lumineuse, mais plus contenue, cette fois, de Faëlis le mignon de cour. Le jeune elfe blond à forte propension à l’auto-admiration semble pris entre les feux conjoints de deux demoiselles. L’une est sylphe, et rapidement présentée par Aaria comme étant Aamu, trésorière du palais. Elle semble assez jeune, insouciante, avec sa peau pâle, ses cheveux sombres en nattes attachés, et ses yeux en amande. Le sourire plaqué sur ses lèvres contrastait étonnamment avec la tronche hargneuse de la seconde jeune femme, humaine, à ce qu’elle laisse paraître, et pourtant non dénuée d’une franche beauté. Des cheveux châtains, des yeux noisettes en amande, eux aussi. De quoi donner envie à tout rongeur passant dans le coin, en somme. Un teint bien plus hâlé que la sylphe, quoique clair malgré tout, et des traits tout en finesse. Bien trop fins, pour une humaine. Mais il en est parfois, d’une rare beauté, que la nature a jugé bon de gratifier d’une grâce toute elfique bien inconnue à nombre de gueux patauds de ce peuple aussi hétéroclite que commun. La colère amère lui va autant que la joie candide sied à la première, bien que le nobliau maniéré semble préférer la plus souriante des deux. Raison, peut-être, du courroux de la seconde, né d’une jalousie bien surprenante. Quoiqu’il en soit, celle qu’Aaria présente comme s’appelant Pureté n’a rien d’une élémentaire : c’est de Yuimen, qu’elle vient. Tout comme nous. Et je suis surpris de ne pas me rappeler son visage, ni son existence tout court.
Pureté. Quel nom étrange pour une demoiselle dont le regard crie bra… baguette ! Baguette de pain. Oui, parce que bon, elle a l’air affamée, la petite.
(Moui.)
Quoiqu’il en soit, notre arrivée lui fait abandonner sa mine courroucée, et elle jette vers nous un regard plein d’admiration. J’ai l’habitude de faire cet effet aux jeunettes, ce qui la classe presque directement dans la catégorie des bouseuses de base, et lui adresse un clin d’œil lointain, qu’elle gardera sans doute comme son meilleur souvenir de moi, à l’instant où la plaisante Aaria me présente par mon renommé patronyme. Mais très vite, je déchante : elle ouvre aussitôt la bouche pour reprendre la régente sylphe, et préciser qu’elle se nomme en vérité… heu… Héla-Lèche-Ka. Ou un truc du genre, qu’elle simplifie – soi-disant - en Leykhsa. Ouais. On va dire que Pureté, ça va être plus simple à retenir. Je ne l’appellerai autrement que lorsqu’elle aura prouvé que de Pureté, elle n’en a que le pseudonyme. S’il lui va comme un gant, autant la nommer telle qu’elle semble s’être initialement présentée à la Dame du Vent. Et de bouseuse de base, elle passe vite fait dans la catégorie « opportuniste vénale », lorsque la première chose qu’elle trouve à faire à notre apparition est de réclamer à sa majesté un arc plus performant que le sien, purement décoratif. Quelle idée, aussi, de partir en quête sur un monde inconnu avec une décoration murale, hein ?
Quoiqu’il en soit, je n’ai guère vraiment d’intérêt à l’aborder, et la trésorière semble accaparer toute l’attention du minaud. J’ai tout le loisir, du coup, de me tourner vers deux autres silhouettes qui découpent de leur sombre prestance le blanc immaculé des marches montant jusqu’à nous. Un guerrier, une sorte de parodie exagérée de ce bon vieux Jillian, en plus rustre (en moins fiotte, diraient les mauvaises langues), escorte une demoiselle dont le teint grisâtre ne laisse pas l’ombre d’un doute sur son appartenance ethnique. Une consœur sindel. Et pas n’importe laquelle, à juger son accoutrement recherché, mêlant élégance et praticité de terrain. Enfin, si tant est qu’il soit pratique de porter une robe sur le terrain. Elle ne semble pas combattante, d’autant qu’elle ne possède pas d’arme. Une noble, peut-être. Ou une magicienne cachant ses pouvoirs. Des cheveux d’onyx encadrent son visage jeune, mais empreint d’une sévérité, d’une dureté quasiment effrayante. Un regard violacé sûr de lui se pose sur chacun des êtres présents, effaçant instantanément son escorte virile aux airs de brute gradée. Elle a l’air dangereuse, sans sembler vouloir le paraître pourtant. Son nom, qui n’est par nul autre prononcé, m’en apprendra peut-être davantage sur son identité. Son muutos, venteux tout comme le mien, ne semble pas encore maîtrisé : elle vient d’arriver. Pour l’heure, je me concentre donc sur un point curieux, n’hésitant pas à interrompre les badinages de la tapette de service pour m’enquérir de nouvelles plus pressantes que ses libidineuses envies de procréation inter-espèces.
(Tu peux parler, mon vieux.)
Car en effet, dans la caravane de ceux qui partirent pour Nyix, il en manque un que j’ai appris à connaître plus que n’importe lequel des autres. D’une voix claire, m’adressant surtout à l’hinion, mais sans exclure quiconque de ma lancée orale, je quémande l’information :
« J’ai failli vous attendre ! Vous avez traîné, à Nyix. Encore que vous soyez les premiers rentrés, de tous ceux partis. Dites-moi, Faëlis, où avez-vous donc laissé traîner Kerenn ? »
Puis, me tournant sans attendre sa réponse vers la nouvelle arrivante, préférant poursuivre sur ma lancée pour tout dire d’un coup, je poursuis :
« Soyez la bienvenue à Ilmatar, consœur. Je vous enjoins à vous presser, si vous voulez vous joindre à la première vague de départ vers Illyria. Je pensais partir aujourd’hui même, pour ma part. »
J’ai beau m’adresser à la sindel, l’information regarde tout le monde ici. Qui m’aime me suive, comme ils disent. Encore que là, il s’agirait plutôt d’opportunisme. Voyons lesquels sauteront sur l’occasion. Je poursuis ma descente des marches jusqu’à arriver à hauteur de Faëlis, Aamu et Pureté. Je m’incline sommairement, mais élégamment, devant les deux demoiselles, avant de me tourner vers la trésorière.
« Ravi de faire votre connaissance, demoiselles. Trésorière Aamu, auriez-vous quelques instants à m’accorder. Aaria m’a signifié que vous seriez la plus indiquée pour toute question d’argent… »
De quoi attirer son intérêt, sans en douter. D’autant que ma bourse est bien pleine. Enfin… Celle contenant mes yus, en tout cas. Je les sens déjà frétiller d’impatience à l’idée de se faire changer en Lys. Les coquins.
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