Tandis que suivant l'indication de la Reine, Hrist engageait ses premiers pas sur le sentier glacé, elle eut immédiatement la nette impression que tout autour d'elle semblait la dépasser totalement. Il y régnait une puissance imperceptible, grandiose et manifeste. Ce petit chemin sur lequel elle s'aventurait la menait à son insu à une véritable débauche de souvenirs.
Autour de la femme il n'y eut bientôt plus qu'un paisible manteau blanc qui faisait ployer sous sa robe vierge et pure les branchages les plus solides. Dans cet habit hivernal où le froid et la glace se faisaient maîtres, Hrist sentit alors sa tenue s'épaissir par magie pour la protéger des assauts répétés du vent mais ne fut d'aucun secours contre la neige épaisse qui lui montait jusqu'aux genoux et ralentissait considérablement son avancée.
« Hey... J'ai lu un poème un jour à ce sujet. »« Au sujet de ? La neige ? »« Oui, la neige. Dans un petit village. »« En même temps, c'est pas ça qui manque. Il y a toujours quelque part un péquenaud pour écrire un poème quand il voit de la neige, un coucher de soleil ou encore la pluie. Faut pas oublier que la poésie c'est quand même le dernier art visité par le type au plus profond de l'ennui. »
La tueuse continua son bout de chemin jusqu'à ce que le sentier ne débouche à l'orée d'une jolie clairière. Une fois l'orée franchie, le vent se faisait plus cinglant. Les mèches de cheveux lui collaient à la figure malgré ses gestes répétés pour se dégager la vue. A ses oreilles, il semblait y résonner un murmure, un son, une voix lointaine apportée par un écho indicible. Elle avait d'abord l'impression qu'il s'agissait d'une Sylphe mais l'idée quitta d'elle même son esprit lorsqu'elle vit que les alentours étaient vides. Il n'y avait rien d'autre que la neige lourde de diaphane.
Au carrefour de ce chemin tors,
Hrist était seule comme la mort.
Jusqu'à ce que. La clairière était dessinée autour d'un point d'eau gelée lui même couronné par un rocher devenu blanc et luisant de givre. La végétation elle aussi avait succombé au froid, il y avait quelques roseaux qui faisaient danser leur tige sous le vent, les pieds prisonniers dans l'eau glacée. Un murmure semblait l'appeler mais elle ne le comprit pas immédiatement. Pas tout de suite. Songeant d'abord à un coup de fatigue qui lui ferait monter à la tête des hallucinations, elle comprit cependant qu'il ne s'agissait plus d'un rêve. Non, il y avait bien quelqu'un ou quelque chose qui parlait mais elle ne vit la source de cette voix éthérée que lorsqu'une bourrasque plus puissante que ses semblables ne fit se lever alors le manteau de neige pour finalement la faire retomber comme une fine pluie étoilée. Elysian était magnifique, pure, sauvage, elle dévoilait à Hrist un monde riche de merveilles. Cependant, la femme n'était pas dupe, pour chaque merveille, elle savait qu'une horreur se terrait quelque part. Lorsque le dernier flocon de neige retomba sur son tapis blanc, une ombre se dressa au milieu de ce tableau fantastique.
Un frisson traversa son corps et vint secouer sa poitrine. Bien que le vent ne cessa un instant de la harceler en fouettant son visage de ses nombreuses rafales, Hrist avait vu quelque chose de familier. Cette ombre qui venait de se dresser, sortie du néant. Cette forme qui approchait, toute chassée des enfers auquel elle appartenait... Cette démarche gracile, langoureuse et délicate. Une Sindel.
Que ce monde cache quelque chose de terrible se voyait dans le ciel et à l'horizon, dissimulé sous mille dangers et autant de menaces, on le lisait dans ce paysage comme dans un livre. Cette Sindel était très belle, mais il y avait plus inquiétant. Elle avait un physique doux d'adolescente, un visage pâle que le froid semblait autoriser mais dans sa magnificence, il y avait quelque chose de chat. Quelque chose dans le nez peut-être, et dans les oreilles, et dans l'efflanqué mais dans le coup de patte et la démarche aussi. Mais avant tout, dans le regard.
Ce quelque chose, c'est la
férocité.
Hrist recula d'un pas, posant doucement une arme sur sa lame, prête à s'armer au moindre danger mais cette femme en face d'elle ne semblait pas vindicative. Elle approchait d'un pas léger, traversant la clairière sous une petite brume qui flottait là, légère, depuis que le vent cessa ses tourments.
La Sindel aux yeux verts tendit la main vers Hrist. Une petite main aux doigts fins, la nouvelle venue était haute comme elle, pas plus large, le même âge que Hrist, brune comme un monolithe avec un regard pur de parfaite salope et un éternel printemps sur toute la peau et ces yeux... Ces yeux d'un vert qui rappelait celui du lierre.
A son tour, la Frémissante tendit la main et leurs doigts s'effleurèrent.
« C'est comme se regarder dans un miroir... » Elle baissa le regard, les yeux flanqués sur la neige, visiblement gênée, Hrist ajouta un petit mot à voix basse, presque murmuré de peur qu'il ne soit vraiment entendu.
« Silmeria. »Le monde sembla alors se déformer, comme lorsque Hrist fut aspirée par le fluide magique à Tulorim. Quelque chose vibra dans l'air, quelque chose de puissant puisque tout semblait être capturé dans un immense kaléidoscope qui modifia ses sens. Devant elle, se tenait deux ombres à forme humaine. Il était impossible d'en décerner le moindre visage ni même déterminer s'il s'aissait là d'homme ou de femme. Puis les ombres parlèrent.
« Silmeria ! »
« Allons. Debout. Lève toi. Dépêche-toi, le garde vient de se lever. Il te faut partir, vite ! »Hrist comprit immédiatement. Ses débuts. Silmeria et elle, toutes deux dans le même corps à l'époque où elles vivaient encore en harmonie. S'en suivit un festival d'ombres et de mouvements si rapides qu'il devenait impossible de comprendre quoique ce soit et tout fut fini. Elles retournèrent dans ce paysage gelé un instant avant qu'une fois encore, tout recommença.
Le paysage se tordit et refléta alors une autre ombre, celle de Silmeria ou de son corps, car l'époque de ce souvenir ramenait Hrist à la prise du domaine de Keresztur, aux alentours de Bouhen. A cette époque, et elle s'en souvenait bien, elle avait reçu pour ordre de dresser une tour de garde à un endroit bien précis afin de prévenir les attaques de Garzoks menées à l'époque par les nombreuses troupes d'Oaxaca.
Les ombres qui apparaissaient prirent un peu de couleur bien qu'elles ne furent qu'en ton sépia triste comme un soleil morne.
A cette époque, la nuit tombait. Et Hrist s'en souvenait bien, d'ailleurs, ça valait mieux tant le climat était épouvantable et le spectacle déplaisant. Des trombes d'eau s'abattaient sur les restes piteux et fumants d'un monumental chantier. De toute évidence, on avait voulu construire une tour et de toute évidence encore, on avait pas réussi. Des corps étaient coincés sous les étais que les tonnes de pierre taillée, en basculant à cause de la pluie et de la terre humide, avait brisé comme des fétus de paille. De la boue, du sang, des morceaux de cadavres et des pierres brisées roulaient et coulaient jusqu'au cours d'eau qui bouillonnait plus loin.
La pluie cousait dans le ciel bas à la terre détrempée en points serrés et assise là, l'ombre de Hrist, assise avait l'air furieuse.
Assise, détrempée, elle avait la tête enfoncée dans les épaules, les bras croisés, elle contemplait l'étendue du désastre. Elle grattait son petit nez droit entre ses sourcils froncés qui couronnait des yeux fatigués. Si sa mémoire était bonne, l'image que l'Esprit lui envoyait remontait à quelques années. Silmeria avait hérité légalement d'un château aux alentours de Bouhen et de quelques terres. Certes, ce présent n'était pas tombé du ciel, il avait bien fallu que quelqu'un y passe, mais la pauvre Silmeria n'y était pour rien. Hrist non plus, du moins, cette fois.
Selon Hrist, ce souvenir du passé marquait la cinquième année de sa Baronnie, un peu avant sa chute. La femme avait passé ces cinq ans à lutter contre des Garzoks, des voleurs, des pirates, des barbares et même contre des complots de guilde. Et en récompense ? Elle trouvait encore plus de Garzoks, de voleurs, de pirates et de mignons des guildes marchandes prêt à se dresser contre elle, l'insulte à la bouche, le fiel au ventre et les armes au poing. Et pourquoi ? Pour un pays de paysans dégénérés et consanguins qui pataugeaient dans la bouse de jour comme de nuit, un pays si humide qu'il était impossible de ne pas croiser une grenouille à chaque mètre, un pays où il fallait essorer ses habits avant de les enfiler, un pays liquéfié, un nid à rhumatisme et à emmerde.
Et Hrist en avait par dessus la tête de cette mare surpeuplée de paysans malsains qui radotaient qu'elle n'était qu'une salope d'usurpatrice. Encore une fois, ni elle ni Silmeria n'y était pour quelque chose, sachant que la dernière Baronne avait constaté à ses dépends que ses gardes du corps n'étaient pas fiables. La guilde des marchands avait offert une coquette somme au premier garde venu qui lui mettrait de la ferraille dans le dos. De toutes façons, faire confiance à sa garde était un luxe que Hrist s'était refusé.
La débauche de souvenirs s'arrêta un instant. Silmeria lui murmura doucement :
« Te souviens-tu de ta promesse ? »Hrist se senti cuite et s'en mordit les lèvres.
Un autre scénario apparu. Il s'agissait là d'une scène de tous les jours, la femme était assise devant un feu en caressant la tête d'Hector, le molosse qu'elle avait pris d'affection à cette époque. C'était un des derniers soirs à Keresztur. L'armée de Kendra Kâr devait déjà être en marche. L'ombre éthérée pestait ce qu'elle avait de plus vulgaire à dire tout en jetant des bouts de viande fumée à son chien.
Hrist ne connaissait pas encore à cette époque le sens du « Botulisme » mais elle savait que les viandes mal fumées jouaient souvent le rôle de la Garde rapprochée dans les histoires douteuses de succession.
Enfoncée dans une grosse chaise aux coussins épais, le spectre de Hrist avait une mine confite devant un feu ronflant, d'un œil elle observait la garde à la porte tout en ruminant son fiel.
« J'ai quand même l'impression que le peuple à oublié que j'ai gagné ma place de façon légitime. Cette petite beuverie pour célébrer tout ça m'a coûté assez cher en viande et en vin pour que je n'oublie pas, moi. »Silmeria lui répondait d'une voix douce :
« Le peuple gronde. »« Foutaise ! Calomnie. Le peuple n'a pas à gronder. Le peuple à la protection, des gardes dans les villes pour les protéger. A quand remonte le dernier saccage orchestré par des voleurs ? A... Longtemps ! Non. Le peuple râle parce qu'il a faim. La pluie a noyé les récoltes. »Il était vrai qu'à cette époque, lorsque Hrist entendait
« Le peuple gronde » elle comprenait
« Le crétin de fil de ce connard de marchand affilié à cette guilde de merde est en âge de dire des conneries. » Ou de répéter celles de son père mais c'était du pareil au même.
« Pourtant tu t'es vue gratifier d'un nouveau surnom... »« Félonne... Félonne. Non mais écoutez moi ces traînes lattes. Tout ça parce que j'ai fait égorger douze de ces membres de la guilde des marchands. Bon... Certes... Ils étaient mes hôtes. Et endormis. Et avec leurs femmes et enfants. Un détail. Mais au moins c'était propre et rapide ! Et ce que le peuple ne dit pas, c'est combien de goûteurs sont restés sur le carreau pendant que les marchands me faisaient des courbettes. Six. Non, cinq, un a pu en réchapper. Aveugle, le pauvre. Que quelqu'un cherche à empoisonner sa maîtresse, pourquoi pas, c'est un genre. Mais le faire avec de l’élixir d'entrailles de furet engraissé à la ciguë... Un travail d'amateur, un poison minable qui te fait passer par tous les affres du monde avant de te rater. Au moins, moi, j'avais le sens du travail bien fait. » L'ombre, de rage jeta sa coupe dans les flammes, arrachant au chien un couinement de peur avant que le tableau, un fois encore, ne sombre dans le néant, laissant devant les yeux larmoyants de Hrist le reflet d'elle même. Silmeria.
Sa jumelle n'avait pas bougé, leurs doigts s'effleuraient toujours.
« En tout cas, moi, je m'en souviens, de cette promesse. »La clairière ressembla de nouveau à Bouhen. A la porte d'un chalet de bois, Hrist et sa garde firent entrer des dizaines de malades, d'infirmes et de mendiants. Tous se précipitaient pour se protéger du froid. La Baronne avait fait courir le bruit qu'un grand festin attendrait à l'intérieur et que pour la grandeur de Bouhen, elle s'arrangerait que plus jamais, ils ne manquent de rien. Ce qu'elle fit. Lorsque le dernier mendiant fut entré, elle ordonna que les portes soient fermées et le chalet incendié. Hrist avait accompli là son dernier méfait, là où la cruauté de son acte se heurtait à sa philosophie, comme quoi ils ne manquaient maintenant plus de rien.
A sa manière, la Frémissante avait libéré les infirmes et les malades de leur triste condition. A sa manière, elle avait aussi brisé l'admiration de sa bien aimée Silmeria.
Hrist quitta les alentours du chalet en flammes, phénomène contagieux en terrain boisé qui ne tarda pas à se répandre aux granges, fermes et maisons que les paysans du coin s'acharnaient désespérément à sauver. Lorsqu'ils y parvinrent, très logiquement, la vie reprit son cour et les paysans se mirent en quête de quelqu'un sur qui passer leurs nerfs. La fin, tout le monde la connaissait par cœur : les villageois allaient s'en prendre au premier étranger du coin, le flanquer sur un bûcher, le faire cramer, picoler pour fêter ça et lorsque le bûcher aura à son tour fait flamber la moitié du paysage, la garde viendrait pour châtier sévèrement les coupables et il y aurait un village de plus à l'abandon.
C'est là que le lien qui unissait Hrist et Silmeria fut brisé. Cette promesse, c'était un beau soir, au port de Tulorim lorsque Silmeria, épuisée des murmures de Hrist, avait préféré se laisser noyer dans l'onde opaline de la mer. Hrist sauva la Sindel in-extremis et lui adressa la promesse solennelle de la protéger de ses démons, même les plus noirs pour faire d'elle une des femmes les plus puissantes en ce monde.
A sa façon, Hrist tint parole, à sa façon aussi, son échec fut lamentable.
Alors que la Frémissante rentrait au domaine, elle et sa garde croisèrent une rixe. Il s'agissait du bossu du coin. Un homme qui vivait en autarcie, loin des villages dans une petite clairière peu prospère où il se nourrissait essentiellement de champignon et d'eau de pluie. Passait encore qu'il soit bossu, borgne, chauve petit et boiteux, mais en plus il était roux.
Ca, ça faisait des lustres que le village des alentours avait décider de le lui faire payer sitôt que la bonne occasion se présenterait. Plus tôt encore, le bossu essayait de lutter contre les flammes qui ravageaient sa tente et sa paillasse en martelant les braises ardentes avec un bouquet de fougères. C'est à ce moment qu'une quinzaine de paysans furieux lui tombèrent dessus en braillant des propos inconvenant et le martelaient à son tour à gourdin raccourcis.
De peur, il parvint à en renverser deux et à mordre la main d'un troisième mais rapidement, écrasé sous le nombre et la fureur de ses assaillants, il tomba dans un bruit de sanglier mal tué. Il fut ficelé et traîné jusqu'au vieil arbre dont les branches protégeaient sa cahute en peau de la pluie. C'est là que les paysans commencèrent à frapper le briquet pour brûler le bossu. C'est là aussi que le regard borgne du pauvre homme croisa celui de Hrist qui assistait à la scène de plus loin. L'oeil unique s'illumina et il afficha un sourire ahuri propre à celui qui voyait une aide venue du ciel. Il n'en était rien. Hrist observa, simplement. Certes, il aurait été facile d'ordonner à quelques gardes de disperser les enragés en leur faisant tâter de l'épée et du fer de lance, d'offrir à ce triste garçon quelques pièces pour qu'il puisse s'offrir un bon repas chaud et un abri plus confortable. Mais elle n'en fit rien.
Bientôt, il n'y avait plus que des flammes et le roux cessa de crier pour crépiter. Les villageois jetèrent quelques affaires du cadavre dans les flammes pour finir de ricaner et s'en allèrent vérifier que la taverne et que leurs bicoques n'étaient pas parties en fumée. Nulle colère de la Baronne, juste de l'indifférence.
« C'est ce jour là que j'ai vu à quel point la vie t'importait peu. Si peu. Et c'est ce jour là que j'ai cessé de craindre le mal de l'extérieur lorsque je compris qu'il résidait en moi. Le mal intérieur. Le mal qui existe...
Le mal existe. Le mal existe.
Il m'a donné le goût des choses tristes.
Pour le sang, la mort, les endroits sinistres. »
Ces vers se répétaient alors aux oreilles de la Sindel. Sans s'en rendre compte, totalement absorbée qu'elle était par les vestiges du passé, Silmeria s'était approché d'elle. Les yeux dans les yeux, les femmes n'étaient qu'à quelques centimètres l'une de l'autre.
« Il y a quelque chose d'autre que je veux te faire voir. »Son estomac se noua et son équilibre tenait de la banquise en plein cagnard. Hrist fut plongée dans un autre passé, un passé qu'elle s'était efforcée d'oublier. La dernière rencontre de la Frémissante et de la Douce, avec la fin qu'elle connaissait.
On y voyait Silmeria qui s'entraînait avec les Samouraïs et le murmure de l'Oracle d'Oranan qui mentionnait sans cesse un affrontement ultime. Silmeria se savait traquée à cette époque et cherchait un endroit où couler une vie tranquille, loin de toute menace. Mais elle avait ce triste héritage, une séparation brutale suite à sa mort où Hrist avait trouvé un autre hôte et avait décidé de ne pas lui pardonner cette trahison. Hrist, c'était elle, l'ombre qui alourdissait les couleurs sépias des reflets du passé.
Il y avait Ayria, Silmeria et les gens d'Oranan qui n'avaient la forme que d'ombre, pas de visage, ils n'étaient que des ombres, des formes spectrales à peine soignées qui erraient sans but. Ce jour là, Hrist empoisonna les pommes qu'Ayria vendait au marché. Ayria était la jeune femme qui avait offert à Silmeria une seconde chance, une nouvelle vie loin de tout pêché. Lorsque les Samouraïs découvrirent que des enfants venaient de mourir après avoir croqué dans les pommes qu'Ayria cultivait, la jeune femme fut exécutée sur le champ devant les yeux ahuris de Silmeria.
Hrist ne se souvenait plus comment sa Jumelle avait pu échapper aux Samouraïs, mais elle l'avait trouvée blessée et affaiblie abritée sous un vieux chêne dans la forêt d'Ynorie. C'est là que la Frémissante avait traqué la Douce sans pitié.
« Regardez donc qui gît dans la boue... »« Tu m'as manquée... Silmeria. »
Sa propre voix résonnait dans le néant. Sous ce déluge d'émotions appartenant au passé, Hrist commença à se sentir chancelante. Quelque chose agitait sa poitrine et sciait ses nerfs. Du bout de son bras, ses doigts se mirent à trembler.
Les ombres se chassèrent, se blessèrent et s'insultaient avec véhémence. Un combat acharné où Hrist avait sans pitié ni compassion profité de la faiblesse de Silmeria pour la torturer. Sous le ciel étoilé de la forêt, les deux femmes s'étaient vouée une haine sans égal. Un fiel épais et sombre, corrompu qui chassa l'amour qui liait les deux femmes pour le convertir en une aversion néfaste. Hrist ploya et un de ses genoux s'enfonça dans la neige. Silmeria n'avait pas lâché sa main. Aujourd'hui, face à ses souvenirs, la tueuse aux yeux de violette s'agenouillait devant la Douce Sindel. Son regard ne changeait pas, elle avait une expression indifférente encore plus violente que si elle avait affiché de la colère.
Hrist se mordit la lèvre et se dit :
(« Je l'ai connue râleuse, geignarde, ulcérée mais jamais aussi insaisissable. »)Les doigts de Silmeria se serrèrent un peu autour de ceux de Hrist et les souvenirs continuèrent d'affluer.
Le double éthéré de Silmeria prenait la fuite avant de tomber sur une patrouille de trois Garzoks. Trois solides soldats en armes qui s'amusèrent de voir une telle proie tomber sur eux. Hrist à des années du frisson de cette chasse se rendit compte à quel point Silmeria s'était sentie seule et impuissante. Comme le jour où elle avait voulu se laisser couler dans les flots, ce jour où elle voulait chasser le mal et où elle avait revécu, un peu comme une seconde naissance qui s'achevait cette nuit où elle était cette fois chassée par le mal qui fut un jour la sauva.
Le double de Hrist interpella les Garzoks en ordonnant qu'ils laissent la jeune femme partir, elle voulait sa proie pour elle seule et tandis qu'un des soldats hilares s'approchait de Hrist pour la découper, Silmeria prit de nouveau la fuite pour être suivie quelques secondes plus tard par Hrist qui laissa derrière elle trois cadavres ensanglantés et un sillage d'aura noir. Un aura d'un noir venu droit des enfers.
« Te souviens-tu enfin ? Quels ont été tes derniers mots ? »Apparu à côté des deux femmes le double respectif de celle-ci. Hrist était à genoux devant Silmeria et leurs doubles éthérés représentait l'exacte envers du miroir. Silmeria à genoux devant Hrist. La Douce blessée, prête à abandonner le combat alors que la voix cinglante de la Frémissante lançait, moqueur :
« La mort n'est jamais un hôte très bien venu. »
S'en suivit le dernier coup, Silmeria perdit la vie et Hrist la sienne, dans un hoquet surpris, la prédatrice se fit crever le cœur par l'aiguille d'argent de Silmeria au même moment que sa lame entaillait la gorge de la Douce.
Toutes deux moururent cette jolie nuit d'hiver, sous une lune ronde et pleine qui reflétait son éclat morne sur la flaque de sang des deux sœurs Jumelles.
« Tu avais juré de me protéger. »Hrist ravala un sanglot et sa morve en se relevant maladroitement, hésitant à croiser le regard de Silmeria.
« Je.. Je me sens coupable. Mais coupable... »« La culpabilité n'est elle pas pour toi qu'une responsabilité qui a mal tourné ? »« Quand même... » Murmura Hrist l'oeil humide et la bouche bilieuse.
« Je... Enfin ce n'est pas comme si ces... Vestiges du passé, cette reconstitution minutieuse de nos plus grands échecs... Ce n'est pas comme si ça pouvait te.. Faire revenir. » Lâcha-t-elle non sans mal.
« Je ne sais pas. » murmura Silmeria avec une voix inhabituellement douce.
« C'est comme si ma mort était une énigme que je cherchais sans fin à résoudre. »
Hrist fondit en larmes, la gorge gonflée de tristesse. Il faisait froid et humide dans cette clairière. Le soleil absent jetait sans enthousiasme ses rayons pâles qui traînaient à ras de terre. Les branches vernies par le gel portait un manteau luisant de neige fraiche et pure. C'était dans ce petit paradis, froid comme la solitude que Hrist faisait face à un douloureux souvenir. Elle en avait perdu ses mots, le plaisir de la traque s'était estompé, elle qui avait estimé que de s'opposer à Silmeria eut été là son plus grand combat, aujourd'hui n'en était plus si sûre.
(« Bon... Tu voulais savoir à quoi ressemblait l'esprit du vent ? Bin visiblement il a un sens de l'humour très approximatif.)(« L'important... Ce n'est pas la façon dont on tient... Mais de tenir. ») Hrist avait une notion très poussée de l'expression qui disait que la fin justifiait les moyens. Elle avait eu ses moments de nostalgie dans une vie bien remplie et les rares fois où elle repensait à Silmeria, il y avait quelque chose, un souvenir de ces propos naïf, quelque chose dans son regard d'andouille parfaite ; Dans sa démarche, ses mimiques.
Ce quelque chose, c'est la
tendresse.
(« J'ai parlé une fois de cette histoire... Un soir où j'avais bu un Shu-Shen particulièrement traître. On m'a dit plein de choses. Le genre de chose frappée de bon sens et qui sont horriblement irritantes. »)(« Je m'en souviens. »)(« Comme quoi... Par exemple, quand on perd quelqu'un, il ne faut pas pleurer de l'avoir perdu mais se réjouir de l'avoir connu. »)(« Fantastique ! ») Grinça Cèles.
(« J'imagine que les hululements de joie ne sont pas obligatoires ? »)(« Moui... ») Concéda Hrist la gorge tremblante.
(« J'imagine que ce lot de contradiction s'y retrouve bien quelque part, mais... J'ai trop de chagrin. »)(« Tu sais... Ma vieille. La mort c'est pas le problème. C'est qu'elle continue à être morte. Dans cent ans on pourra demander « Et comment va Sissi ? Ah, bin, toujours morte. » Faut dire que la mort, c'est long ! »)Selon Cèles, la condition mortelle ne semblait pas enviable mais elle trouvait que ses ressortissants s'y soumettaient d'ordinaire avec bonne grâce. Il n'y avait que les Faeras et les imbéciles pour ne pas s'en soucier. Hrist était rongée par la culpabilité.
Cette Clairière avait de plus en plus des allures de cimetière. Toutes les ombres qui appartenaient au passé avaient été retirée minutieusement de ses souvenirs éventrés et dispersés là, autour d'elle. Errante en mal d'horreur, Hrist avait accepté de tous les regardes naïvement là où autrefois, elle aurait détourné le regard. Retombant à genoux, elle ferma les poings et cogna la terre enneigée maudissant ce jour en mordant ses lèvres rougies par le froid. Ayant lâché la main de Silmeria, Hrist poussa son fardeau, Sisyphe du chagrin, sur la pente raide qui s'offrait à elle. « Ne pas lâcher... » murmura-t-elle pour se donner du courage.
Affronter son passé n'est pas chose facile, surtout lorsque l'image qu'il renvoi est celle de sa propre mort. Sans s'en rendre compte, Hrist était morte depuis que Silmeria n'était plus. Mais il ne s'agissait pas de Silmeria.
Le vent moqueur faisait danser ses cheveux et claquait ses vêtements et sa robe contre sa peau dure de froid.
« Tout à l'heure... Je parlais de poésie. » Dit-elle doucement tandis qu'elle se relevait. La mâchoire serrée, elle marmonnait un
« Comment oses-tu... » venimeux mais le ravala bien vite. Rien ne servait de se mesurer à un esprit élémentaire surtout lorsqu'on vient pour quémander quelque chose. Hrist ravala sa fierté et toute sa hargne et en frôla l'indigestion. Elle recommença, d'une voix plus ferme, les yeux rivés dans ceux de Silmeria :
« J'ai lu un poème, sur la mort il y a longtemps mais je crois me souvenir de quelques uns de ses vers. »Elle dit d'un ton un peu plus ferme :
« Notre belle amitié
A trouvé une fin,
Aujourd'hui enterrée
Dans ce somptueux jardin.
Les grandes funérailles,
Me laissent sans secours.
T'enfermant pour toujours,
Derrière ce grand portail. »
Elle s'approcha de Silmeria en se disant non sans un soupçon de honte.
(« Voilà que je me fais berner par un homoncule. »)Elle manqua de s'étouffer dans sa morve alors qu'elle voulait se redonner un peu d'assurance et lança d'un ton un rien caustique :
« Ta curiosité est-elle satisfaite, Esprit ? Tu as trouvé là un douloureux passé. Est-ce que d'avoir éclairé les geôles de mon esprit t'as apporté satisfaction ? Car tu y as trouvé là des choses qui ne devaient pas être éclairées... »Ses yeux ne décrochèrent pas de ceux de Silmeria, attendant de voir si de nouveau elle se déguiserait en courant d'air ou si l'Esprit joueur et malicieux garderait cette apparence troublante.
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