Inscription: Sam 21 Nov 2015 20:11 Messages: 234 Localisation: Dans les bras de Rana ( Quête 32 )
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Je regardais l’Esprit du vent quand, d’un ton malicieux, Il me demanda si j’étais certain d’avoir été envoyé ici par Rana, avant de rajouter que je serais probablement incapable de reconnaître une Déesse si j’en voyais une. Le filou essayait d’ébranler ma foi envers Rana, ou peut-être voulait-il juste me tester. Je voulais lui répondre quand il cabriola en l’air pour atterrir à quelques mètres de moi. Puis, troquant son attitude joueuse contre cette facette plus sérieuse, il déclama mon nom et proclama que n’importe qui pouvait accomplir de grandes choses du moment que la flamme de sa volonté était vivace. Je me sentais en osmose totale avec ses paroles, les buvaient avec allégresse. Je ne savais rien de cet esprit pourtant je ne pouvais m’empêcher de croire en Lui. Il émanait de lui cette sagesse inhérente aux grandes âmes, cela suffisait. Je pensais à Rana, le doute s’instaura dans mes pensées, s’immisça perfidement. Et si l’Esprit du Vent était bien une incarnation de ma Déesse ? Je ne savais plus que penser, mes idées, confuses, tournoyaient dans ma tête sans répit. J’étais comme la peluche que deux enfants se disputaient, en prise avec des pouvoirs qui me dépassaient. Je manqua de m’évanouir sous la pression, que je m’imposais malgré moi, quand l’Esprit se déplaça à mon niveau. Il effleura de son museau mon front dégarni et tout devint d’un blanc éblouissant. J’étais dans un monde qui n’en était pas un, je me doutais de son origine mais… les pouvoirs de l’Esprit était donc si grand ? Ce qui m’entourait était flou, je ne distinguais ni horizon, ni sol. Mes pieds foulaient une surface invisible que je ne pouvais que sentir. Je vis alors, tout autour de moi, fleurir des scènes, certaines fanaient et se désagrégeaient avant d’être totalement formées tandis que d’autres naissaient, me laissant médusé. Je me sentais comme aspiré par ces kaléidoscopes d’images tirées des tréfonds de ma mémoire. L’une m’attirait tout particulièrement, celle de mon apprentissage de la flûte forestière auprès de Maître Sorel. La seule évocation de ce nom suffisait à me plonger dans un abime de désespoir, de peur mais également d’une joie intense. Sorel n’était qu’un étalage de mépris et de concupiscence. Mes premières leçons furent marquées du sceau de la méchanceté. Je n’étais alors qu’un jeune Sinari effrayé et novice dans l’art subtil du maniement de la flûte. Cela n’empêchait pas Maître Sorel de me hurler dessus quand je me trompais, quand l’erreur survenait plusieurs fois de suite il n’hésitait pas à faire usage de sa redoutable baguette d’if. Souple et pourtant résistante, elle m’avait infligée bien des cicatrices douloureuses, que ce soit aux jambes ou sur le torse mais jamais au visage. Maître Sorel n’était pas fou, juste horriblement strict et exigeant.
Quelques séances plus tard, j’étais déterminé à annoncer à mes parents tout le mal que me faisait endurer Maître Sorel. Malencontreusement ils n’étaient pas dans leur chambre et quand je fus dehors, guettant un signe de leur présence, un son merveilleux résonna en moi, ou plutôt, tout proche de moi. Je cherchais la source de cet enchantement et tomba sur Maître Sorel.
La lune était pleine ce soir-là et dispensait une lumière blafarde, les cieux étaient tapissés d’une teinte bleue encre et quelques étoiles illuminaient le firmament. La silhouette de mon maître se détachait dans le clair-obscur, assis sur un rocher. Sa mélodie m’arrachait des larmes de joie, comment un être si vil pouvait posséder un tel talent ? Toute la haine que je nourrissais à son égard se mua en une admiration sans faille. Il était dur, ne me laissait aucun répit, mais quand je l’entendis jouer, tout ceci devenait des faits anodins… Son talent, je voulais en bénéficier, peut-être même pouvais-je en persévérant parvenir à son niveau.
A compter de ce jour, je me métamorphosa, ne prenant plus ses remontrances que comme des rappels à l’ordre nécessaire afin que je puisse progresser. Peu importait que son jugement fût sévère, il était juste. Je savais qu’il me faudrait encore fournir beaucoup d’efforts pour devenir si doué que lui.La scène devint subitement floue et je retournais dans ce monde étrange, entouré par des myriades d’images, ces fragments de souvenirs. Je voyais se former devant moi des ribambelles d’images illustrant des passages de mon humble vie. Un autre événement m’appela aussi soudainement que le précédent. C’était ce jour, mon jour, celui où j’exécutais devant toute la famille ma première prestation. Maître Sorel se tenait dans l’embrasure de la porte, les bras croisés, une expression sérieuse peinte sur le visage. Il ne prêtait attention qu’à moi, je le sentais. J’apercevais également les expressions amusées des enfants, celle encourageantes des plus grands. Ma mère et mon père se tenaient au premier rang. Elle me souriait, les yeux miroitants d’espoir, lui fumait sa pipe, je distinguais à travers les volutes de fumée son air enjoué que j’affectionnais tant.
Je ne voulais en aucun cas les décevoir, mais le trac me pris à la gorge et je ne fus qu’à quelques pas d’abandonner. Ma gorge était sèche, mes mains tremblantes, puis je sentis le regard de Maître Sorel et su ce qu’il me restait à faire. J’approchais la flûte de mes lèvres craquelées et leur simple contact fut le déclencheur, je me sentais vivant, entier.
Je jouais avec aisance et plaisir. Les notes s’enchaînaient et je me sentais comme l’orateur capable d’embraser les foules de par ses discours. J’utilisais les sons comme lui les mots, les transformant en des suites complexes mais ô combien magnifiques. De nouveau, la scène se dissipa et je fus propulsé dans un souvenir plus récent. J’étais un flûtiste accompli quand je fis la rencontre de Ser Anar, fervent disciple de Rana, son nom avait été adopté en l’honneur de la déesse de la sagesse. Je m’étais tout de suite senti proche d’Anar et ce devait être la même chose pour lui car nous passâmes bien des journées en compagnie l’un de l’autre.
Les premiers jours il m’inculqua les valeurs du culte de Rana, son rôle dans l’histoire de notre monde et son importance capitale. Je me sentais en adéquation avec cette déesse dont je n’avais jamais entendu parler et décida à mon tour de me vouer à ce culte. Anar à cette déclaration m’avait alors demandé de le suivre et il me mena jusqu’au versant d’une colline battue par le vent. C’est là qu’il me laissa, sans instruction ni indice.
Je le regardais s’éloigner et compris finalement ce qu’il me restait à faire. Je fis ma première prière à Rana, ma première communion avec son élément. L’air s’engouffrait à travers mes vêtements et je ressentais ce qui devenait à mon contact une caresse. Je ne vis plus jamais Anar, au début je n’étais qu’une boule de rage, déçu par celui que j’aimais comme un frère, puis le temps et les enseignements de Rana firent leurs œuvres. Mes cicatrices se refermèrent et je pus me détacher de cette haine encore enfantine pour devenir plus mature. Anar avait agi comme lui pensait qu’il devait le faire. Il avait forcement ses raisons et je ne pouvais le blâmer pour ça. Un nouveau flash m’arracha à se souvenir béni et m’emporta dans un tourbillon de lumière. Les frasques et les moments de bonheur papillonnent autour de moi et je me trouve plongé dans un autre moment marquant de ma vie. C’était quelques jours avant que ne s’organise le banquet en mon honneur. J’étais, depuis quelques années, embourbé dans une routine devenue oppressante. Elle m’empoisonnait, sapait mes forces. Je savais ce qu’il me restait à faire. La sagesse inculquée par Rana m’avait appris à vivre pleinement et c’est avec gravité que j’annonça à mes parents que je m’apprêtais à quitter la demeure familiale. L’annonce provoqua moult crise de larme mais voyant ma détermination, ils ne purent que s’incliner devant mon choix.
La seule chose qu’ils exigèrent de moi fut d’attendre quelques jours, qu’ils puissent organiser une somptueuse fête d’adieu. J’acceptais et les jours défilèrent rapidement, j’étais la plupart du temps sur le versant de cette colline où je fis ma première prière. Je consacrais mon temps à prier, à réfléchir sur la vie et ce que j’escomptais d’elle. Le banquet débuta finalement un soir où le vent était frais, les feux prodiguaient une chaleur bienvenue et la plupart des convives étaient légèrement vêtus. Cette fête était au-delà de mes attentes, la majeure partie de la communauté était présente ce soir-là, au bas mot une centaine de Sinaris.
Venait s’ajouter à cette foule une grande troupe. Elle était composée de musiciens et de jongleurs, de dompteurs et de magiciens. Une sorte de gros chat se pavanait au milieu. Il était doté d’une épaisse crinière et son pelage tirait vers le brun clair. J’étais fasciné par cette bête qui m’était inconnue et me fit la promesse d’en apprendre plus sur elle avant mon départ.
C’était probablement l’un des plus beaux jours de ma vie ! Il y avait de quoi festoyer et l’ambiance se voyait assurée par les joyeux drilles invités.
Toujours intrigué par cet animal, je m’étais saisi d’une épaisse cuisse de poulet et m’armant de courage m’étais faufilé jusqu’au dompteur qui se tenait à côté de la bête. Je saluais l’homme et lui demanda le nom de l’animal. Il m’annonça que c’était là un lion, un splendide spécimen et bien dressé se pressa-t-il d’ajouter.
Je le remerciais et regarda le lion dans les yeux avant de lui tendre ma pièce de viande. D’une bouchée il l’engloutissait, brisant l’os sans paraître embarrassé, sa mâchoire devait être puissante pour lui permettre pareil exploit. J’étais émerveillé par ce lion mais j’entendis alors ma mère me convier à la rejoindre. J’adressais un sourire gêné au dompteur et me dépêchais de rejoindre ma place d’honneur.
Les jongleurs officiaient, se lançant des couteaux sans que le doute ne les effleure un instant. J’admirais leurs courages et leurs dextérités, cette maîtrise qu’ils avaient acquise devaient avoir demandé un pénible apprentissage, comme moi. Les magiciens contribuèrent au spectacle en usant de sorts afin de projeter formes et effets lumineux dans le ciel sans nuage, l’effet était resplendissant.
Les chants commencèrent peu après, des voix s’élevaient, accompagnées par de multiples instruments, à cordes ou à percussions. Je déplorais l’absence de flûte, cet instrument pouvait se révéler magnifique une fois maîtrisé parfaitement.
Je devais bientôt faire un discours mais j’eus une meilleure idée et vérifia que j’avais bien en ma possession ma flûte. Mon père me signala finalement que c’était mon tour. C’était la première fois que j’allais jouer devant tant de personnes et j’eus une fulgurante montée de stress qui ne dura pas. Dès que je fus armé de ma flûte forestière, bravant le public dans les yeux, je me sentis mieux, apaisé.
Je fis de mon mieux et les notes sortirent, claires et légères. L’engouement enflamma rapidement toute l’assistance et une voix vint alors accompagner ma mélodie. L’espace d’un instant je me laissai distraire par ce timbre cristallin et regarda en direction de l’inconnue.
Une langoureuse femme se tenait devant moi, vêtue d’une robe au décolleté affriolant. Je me rendis compte que je m’étais arrêté et qu’elle faisait de son mieux pour tenir la cadence mais sa voix perdait en intensité quand elle était abandonnée. J’essayais aussitôt de reprendre la mélodie, j’expira calmement et recommença à jouer.
La reprise s’avéra difficile mais nous parvînmes finalement à ravir les spectateurs, quittant la scène sous des tonnerres d’applaudissement. Ce duo signifiait la fin du banquet et tandis que les membres de la troupe se dispersaient pour obtenir quelques yus, je vis leur chef m’adresser un clin d’œil racoleur avant de se diriger vers mes parents qui lui donnèrent une bourse qui semblait bien remplie.
Je savais déjà que j’irais avec eux, j’en avais la certitude et c’était d’un pas décidé que j’allais à sa rencontre, me présentant et le saluant. Il semblait ravi et, posant une main sur mon épaule, me proposa de le suivre. Il savait que je devais partir et mon talent lui plaisait. Mon cœur battait la chamade et j’acceptais avec joie. Nous partîmes le lendemain, je commençais à faire la connaissance de mes nouveaux camarades, tout était merveilleux…Je fus à nouveau transporté dans ce monde anormal où mes souvenirs se concentraient. Le souvenir qui m’attirait était cette fois-ci encore plus récent, le jour où toute ma vie fut bouleversée. Le temps était glacial, presque hivernal, la glace se déposait sur nos vêtements et la pluie les humidifiait. Plusieurs de nos membres étaient gravement souffrants et Lundgren, le chef de la troupe, opta pour l’option la plus prudente. Nous n’étions plus très loin de Tulorim et il serait aisé de trouver là-bas un guérisseur ou au-moins des remèdes. Les routes nous menèrent sur des sentiers difficiles mais nous arrivâmes finalement près du dernier pont qui nous séparait de la ville et ce fut au moment d’en entamer la progression qu’une troupe rivale arriva. Ses membres semblaient hostiles, belliqueux.
La suite des choses semblait prédéterminée, le chef de la troupe rivale s’avança et dégaina un large cimeterre avant de défier Lundgren qui l’envoya balader. Il n’avait aucune envie de se battre, il était là en premier, il allait donc passer d’abord. Son adversaire ne semblait pas satisfait et proclama qu’il en allait de son honneur, avant de se précipiter vers l’un des jongleurs. Il le menaça et demanda alors à Lundgren d’éprouver une fois de plus sa patience. Ce dernier souffla de dépit avant de s’équiper d’un poignard Je le savais doué avec mais face à une épée… Avait-il l’ombre d’une chance ?
Le combat fut sanglant mais expéditif. L’épée mordait la chair de Lundgren à chaque fois, lui laissant de larges sillons pourpres sur le corps. Il s’effondra au bout de quelques passes, implorant son adversaire de lui laisser la vie sauve. Mais il n’obtenu pour seule réponse qu’un rire grossier, le cimeterre s’enfonça alors dans le cœur de Lundgren qui lâcha un dernier soupir.
J’étais effrayé autant que triste. Je criais, pleurais et suppliais tout à la fois. L’assassin proposa à ceux qui le souhaitait de le suivre et sans attendre ordonna à sa propre troupe d’avancer. Je vis certains de mes compagnons, le regard fuyant qui allait avec la troupe mais la plupart de mes compagnons restèrent sur place.
Il fut vite décidé de dissoudre la troupe, personne ne souhaitait assumer la responsabilité de commander. J’étais désemparé et en désespoir de cause alla jusqu’à Tulorim, peut-être pouvais-je y trouver de quoi survivre, m’évitant de retourner chez mes parents. Je ressentais alors une pression contre mon front et ouvrais les yeux sur un panorama familier. L’Esprit du Vent se tenait toujours devant moi, serein. Je me relevais confus et désorienté et lui demanda ce qu’il s’était passé. J’étais à la fois enchanté d’avoir pu revivre pareil moment et déconcerté. Je savais bien sûr, que le passé nous permettait d’apprendre de nos erreurs, que c’était nos souvenirs qui nous définissait, qui déterminait nos caractères. Mais pourquoi tout cela, si soudainement ? =-=-=-=-=-=-=-= 2502 mots
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Merci à Itsvara pour cette magnifique signature !
Dernière édition par Tartuffe le Jeu 25 Fév 2016 13:57, édité 1 fois.
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