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L’elfe blanc, conscient comme moi que le soir vient à tomber, et que la charmante clairière où nous avons monté le camp commence à se parer d’ombres sombres et hautes, décide d’apporter ses lumières à la situation. À sa manière, bien entendu. J’avais presque oublié sa propension à jouer les loupiottes portables intégrées. Ainsi, sa peau immaculée s’illumine brillamment, phare dans l’obscurité, illuminant les alentours de son auguste présence. Il exagère peut-être un peu l’intensité lumineuse, si bien qu’il devient presque douloureux de le regarder directement, tant il semble vouloir faire porter loin sa lumière. Je détourne mon regard de lui pour le porter sur Ixtli, rieuse et peut-être un peu moqueuse, qui vient d’entendre la question de Faëlis sur la poudre blanche que pourraient revêtir les nobles d’Illyria. Elle s’avoue vaincue, et précise qu’elle n’en sait rien, et que d’aventure, elle ne comprend pas l’utilité d’une telle pratique. Je lève moi-même un sourcil, curieux.
« Les nobles de notre monde se laissent-ils vraiment aller à de telles sottises ? »
J’avais entendu parler de dames de compagnie ynoriennes qui se recouvraient la peau de poudre de riz avant d’intensifier le rouge de leurs lèvres par quelque colorant naturel. Peut-être est-ce la mode des dames de cour de Kendra Kâr, qui masqueraient ainsi les imperfections de leur peau en rendant plus pâle leur visage, peut-être pour le faire davantage ressembler à celui des hinions, réputés pour être des esthètes accomplis dans les domaines artistiques, rosissant ensuite leurs pommettes d’une poudre colorée pour sembler à la fois en bonne santé et d’humeur gaie et mutine. Mais de là à généraliser à l’ensemble de la noblesse, ça me parait parfaitement ridicule, et dénoterait d’une décadence nette et avancée. Ixtli, de concert avec mes pensées, demande à quoi cela pourrait-il bien servir.
Mais il n’a le temps de rétorquer que voilà sonner le retour des demoiselles, les bras chargés de buches et branchettes suffisamment sèches pour être embrasées rapidement. Pureté précède Hrist, et commence à installer en bucher sa récolte. Elle ne peut s’empêcher de regarder de travers l’Hinion, lui demandant s’il compte s’éteindre lorsque le feu sera allumé. Je souris, amusé par la remarque, avant qu’elle ne se tourne cette fois vers moi pour me demander s’il est normal qu’il n’y ait qu’une seule tente montée. Je rétorque aussitôt, m’attendant à d’éventuelles râleries de sa part :
« Oui, plus rapide à monter, plus rapide à ranger, et il y aura largement la place pour quatre dormeurs, pendant que l’un de nous montera la garde à intervalles réguliers. Maintenant, si la mixité te dérange, je pense que Faëlis aura suffisamment de lumière pour éclairer le montage de ta propre tente. »
Mi-sérieux, mi-taquin, je garde un visage impassible en citant ma réponse, et me penche vers le tas de bois pour tenter une chose que jamais je n’ai essayée avant. Je tends la main vers les buchettes et fais mine de me concentrer, fermant les yeux un instant. Je me concentre, effectivement, mais pas pour ce que les autres croient voir. Ça peut paraître incongru, d’ailleurs, vu de l’extérieur, comme si je bloquais sur le bucher éteint sans bouger alors qu’autour de moi, ça s’active pour préparer les vivres pour le repas. Mais en moi, c’est clair.
(On tente ?)
(Allez.)
Ainsi, gardant la mine la plus neutre possible, bien que la concentration soit grande, je fusionne avec Lysis, sens ses fluides brûlants se joindre à mes veines, son souffle féminin troubler mon corps d’homme, sa nature faerique se mêler à ma nature mortelle… mais contrairement à notre première fusion, je m’arrange pour user de mon pouvoir de métamorphose et, tout du long, préserver mon apparence habituelle de Cromax, sans qu’un sourcil ne s’enflamme, que ma chevelure se fasse lave, ou que mon épiderme se noircisse en se parant de fissures incandescentes. Cela met son brin de temps, et je dois rester silencieux pendant un petit moment pour rester concentré, mais ça fonctionne, et au final, le résultat ne pourra être que plutôt drôle. Ainsi dans ma forme fusionnée, mais sans avoir changé d’apparence, je laisse une flammèche sortir de ma main pour aller lécher le bois empilé et, assez vite, l’enflammer.
Je rouvre les yeux sur le feu de camp désormais allumé, content du petit effet que j’ai pu montrer : un guerrier de légende, certes, mais connu pour ses faits d’armes, et non pas pour sa magie pyromantique. Loin de là, même. Un petit artifice qui ne manquera pas de surprendre, voire de se faire poser l’une ou l’autre question à cette petite troupe.
Je constate, me redressant, que Hrist nous a rejoint à son tour, et déballé ses vivres pour les partager. Ôtant sa cape et sa capuche, elle révèle enfin ses vrais traits, ainsi que ses armes. Elle n’est ni une noble arrogante, ni une mage, finalement. Au vu de son équipement, elle semble experte en combat rapproché : dagues et poignards forment son armement. Je note, curieusement, la jolie plume dorée attachée à l’un d’eux, et bloque un peu dessus. Un nom, amené dans mon esprit par je ne sais quel moyen mnésique, s’impose à moi : Xenair. Les sbires les plus proches du maître assassin arborent son symbole, dépourvu cependant du crâne qui l’identifierait personnellement. Je fronce les sourcils et presque machinalement, je porte la main au pendentif qui orne mon torse, le triturant un instant à la lueur des flammes : le crâne orné de roses. Mon propre symbole de Seigneur de l’Ombre. Celui qui me fait reconnaitre comme l’égal des Treizes au sein des armées d’Oaxaca. Connait-elle ce code ? Je ne fais rien pour le lui cacher, mais au moins cela m’apprend quelque chose sur elle : elle est dangereuse. Bien plus qu’elle ne le laisse paraitre. Car cette plume, elle l’a reçue de la main de Xenair, ou en tuant l’un de ses proches sbires.
Je reste pensif un instant, grignotant la nourriture qu’elle nous propose tout en la regardant s’amuser avec un mignon petit rongeur, d’un air absent. Xenair fait-il partie de mes alliés, chez les Treize, ou de mes détracteurs. Si je suis sûr de l’alliance avec Aerq, et de la haine latente de Sisstar, Crean Lorener et Khynt, je ne suis absolument pas fixé pour les autres, dont Xenair. La présence d’une de ses sbires ici m’interpelle et me questionne. Je ne sais si c’est une bonne chose. Si elle regarde dans ma direction, elle percevra mon trouble… Raison pour laquelle je décide de changer de sujet, prenant la parole pour amener la discussion sur ce qui nous intéresse tous : l’infiltration à Illyria.
« Alors, l’un de vous a déjà songé à la manière dont nous entrerons à Illyria ? »
Je laisse ma question monter jusqu’à leurs méninges avant de poursuivre.
« Je pense qu’il ne serait pas très pertinent que nous y entrions à quatre. Si la couverture de l’un tombe, nous devrions tous en pâtir. Ainsi, des paires, voire des infiltrations en solo, me semblent plus appropriées. Je ne suis pas convaincu non plus par le conseil de Jillian qui nous disait de nous faire passer pour des délégués des élémentaires. Ce statut, quoique fondé et expliquant notre présence à Illyria, nous attirerait de la méfiance et nous fermerait de nombreuses portes. Rien n’empêche que l’un de nous ait ce rôle, pour la richesse qu’il peut apporter, mais je gage que nous gagnerions à diversifier nos approches. »
J’ai, pour ma part, un début de plan qui compte une énorme partie de bluff monumental, mais… j’attends d’abord d’écouter leurs propres plans avant d’évoquer le mien.
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