|
À ma suite, nombre sont ceux qui tour à tour posent leurs questions. Certaines sont pertinentes, d’autres un peu trop invasives et curieuses. Il y en a aussi qui me semblent sortir de nulle part, à l’instar de la remarque d’Earnar sur le fait qu’Oaxaca soit mêlée à tout ça. Encore un qui diabolise la Reine Noire et la fait responsables de tous les maux de ce mondes et des autres. Je ne peux que m’apitoyer sur ce genre de remarque, même si je les comprends. Exclue de tous, elle rejette à son tour toute communication positive, et se sert de son image négative pour parvenir à ses buts. Une chose que peut-être, je pourrais parvenir à terme par changer, dans ce camp que j’ai choisi pour ses idéaux, et non pour ses moyens. L’elfe bleu, toujours, conclut que les races magiques se servent des fluides comme de nourriture. Je lève un sourcil à cette affirmation. Jillian a parlé de fluides vitaux, que j’associe davantage au sang qu’à la nourriture, mais nous sommes encore trop ignares pour savoir. Comme beaucoup d’autres informations, il va nous falloir nous rendre sur place pour observer par nous-même les éléments qui nous posent question. Un peu d’action et d’enquête personnelle, plutôt que de se fier aux seuls dires d’un gratte-papier. Puissant gratte-papiers, s’il en est, et sans doute homme de terrain à ses heures. Mais il reste un individu orienté dans une vision des choses qui lui est propre, et qui est propre aux siens. Ses informations ne sauront se vérifier que remises dans leur contexte, raison pour laquelle j’écoute attentivement ce qu’il a à nous dire, sans pour autant y accorder un crédit total et considérer ses mots comme la vérité absolue. La prudence est mère de sûreté.
Les interrogations les plus intéressantes proviennent de l’elfe blanc, Faëlis, qui se questionne sur cette fameuse balance à rétablir, avec l’hypothèse d’une tension entre mages et non-mages. La seconde que je note vient de l’elfe bleu, qui s’il se perd dans des considérations étranges, n’en a pas moins un certain intellect et un bon sens de la déduction. Celle-ci concerne les alliances politiques déjà établies sur Elysian. Des considérations que nous devrons apprendre de toute façon pour ne commettre aucun impair diplomatique sur ce monde inconnu. Des considérations qui hélas, ne me viennent pas naturellement, étant du genre à mettre les pieds dans le plat puis en assumer les conséquences plutôt que de réfléchir avec plusieurs coups d’avance comme ce vieux jeu ynorien avec des pierres noires et blanches, ou encore ce sport cérébral kendran mettant en scène des pièces représentant rois, reines et soldats. Kerenn également, l’esprit pratique, demande à notre superviseur auto-proclamé de situer ses réponses sur la carte que nous avons à disposition, et que Baratume tente de recopier hasardeusement.
Enfin vient le moment des réponses. Le moment où je redeviens le plus attentif possible, terminant néanmoins mon verre d’alcool pour le poser définitivement sur le guéridon où l’humain travaille avec plus ou moins d’application.
(Perte de temps.)
Le sieur Averosa nous apprend donc que si les créatures magiques sont externes aux races classiques et habituelles, c’est qu’elles sont uniquement élémentaires. Une espèce par élément, ondines, golems, dryades ou flammèches vivantes, sans aucun doute. Un bon point, en somme : Lysis pourrait s’infiltrer chez les élémentaires flamboyants tout à fait naturellement, si tant est qu’ils ne soient pas trop différents d’elles, géants ou minuscules, ou même uniquement composés de flammes, sans corps déterminé. Comme le précise Jillian, nous serons vite fixés, c’est chez ses espèces inhabituelles que nous nous rendons en premier, commanditaires de nos actions, sans en douter. Et soudain, alors que les mots coulent de la bouche assurée de celui dont on ne sait l’origine, et qui noie le poisson en s’incluant pronominalement tant dans un monde que dans l’autre, la trame de notre mission se fait plus claire. Notre apparence est classique, et les élémentaires craignent une implication des cités-états dans ce qui leur arrive. Ils ne peuvent personnellement s’impliquer dans des enquêtes trop approfondies à moins de vouloir déclencher une guerre ouverte. Nous serons leurs enquêteurs, à la fois infiltrés, diplomates et hommes d’action. Voilà qui saura convenir aux talents de l’ombre de l’Earion, ou à la volubilité de cour de l’Hïnion. Pour l’action, je m’en charge ! Même si je sais que chacun devra à son tour jouer les trois rôles. Et c’est là que chez certains, le bas pourra blesser. Je ne les connais pas encore, mais je ne doute pas que certains pourraient manquer… de qualités nécessaires à la bonne réussite de la mission. De sang-froid, de réflexivité, de combattivité.
Je note au passage l’intérêt uniquement commercial de Tulorim pour cette affaire. Je m’en doutais un peu, en vérité. Même chose que pour Saldana. Les tulorains n’aident pas gratuitement sans avoir un intérêt palpable notable. Ce n’est pas pour rien que son Conseil est parsemé de riches marchands, après tout. Et c’est finalement une vision que j’apprécie, loin de l’hypocrite loyauté honorable mise en avant par Kendra Kâr.
Autre information qui me semble importante, et qui concerne la balance précitée : si toute la magie est drainée, l’équilibre physique du monde pourrait s’en sentir menacé, les races élémentaires semblant impliquées dans la maîtrise des éléments constituant le monde. Amateur de chaos à proscrire, donc.
(Ah oui ?)
…pourtant je ne pourrai me passer de Lysis. Elysian n’aura qu’à bien s’accrocher, si ma tumultueuse compagne au caractère de feu décide de foutre le bordel. Mais elle ne le fera pas sans raison, et c’est ce qui me rassure, en un sens. J’arrive à brider ses envies de violence gratuite.
J’écoute attentivement la suite des paroles de Jillian Averosa, qui efface d’un revers de la main l’hypothèse de l’implication de sbires d’Oaxaca dans tout ça, comme je le pensais. Il préfère nous situer les cités principales sur la carte. Des noms peu communs qui, je l’avoue, me rentrent par une oreille et me sortent par l’autre. Il me faut du concret, moi, pour que je comprenne les choses. Des images à fixer dans mon esprit, pas de simples noms cités ou dessinés sur un bout de parchemin. D’ailleurs, en ce sens, le superviseur affirme avec une rigidité toute militaire que, si des questions il y a encore, nous pourrions tout aussi bien les poser sur place, ou même nous faire notre propre avis, et nous enjoint à nous diriger vers le fluide, augurant lui-même la direction vers la pièce d’où il vient. Bonne idée ! Il n’y a pas de temps à perdre.
Je m’apprête à le suivre pour passer au plus vite le fluide quand… Faëlis indique qu’il serait peut-être pertinent d’attendre que Baratume ait terminé d’autres copies de la carte d’Elysian. Une stratégie attentiste et inutile. Des cartes, ils en ont sûrement sur place. Ou même des panneaux indicateurs. Et comme le soulignait Jillian, sans doute aussi des êtres aptes à nous renseigner davantage que dans un bureau de la milice de Tulorim. Earnar confirme mes pensées en donnant son envie pressante de passer le fluide, paroles que je confirme en houspillant un peu l’elfe blanc.
« Nos hôtes sont nos commanditaires. Je gage qu’ils ne seront pas dérangés par notre intérêt vif pour leurs problèmes. Bien au contraire. Je suis même d’avis de ne pas perdre notre temps en vaines actions, et que nous nous pressions de nous rendre sur Elysian pour ne pas les faire languir davantage de notre venue. S’ils ont fait appel à nous, c’est qu’ils sont déjà suffisamment paniqués et envieux de résoudre le problème au plus vite. Bien sûr que des cartes, des vivres et des moyens, ils nous en fourniront sur place. »
Et sans l’ombre d’une hésitation, je m’avance et passe devant Jillian pour entrer dans la pièce qui, selon ses dires, abriterait le fluide.
_________________
|