Les mots du milicien gradé semblaient annoncer qu'il connaissait déjà la raison de la présence du jeune Shaman. Aussi, il fixa de ses yeux perçants le volontaire qui se trouvait devant lui, jaugeant s'il était apte ou pas à se joindre à l'expédition. Kalas comprit son intention et, même s'il était déstabilisé par la vitesse à laquelle se poursuivaient les événements, répondit d'une voix ferme et assurée.

"En effet, je viens me joindre à l'expédition sur l'autre monde. Vous dites que le groupe de volontaires est déjà parti ? J'aurais aimé m'entretenir avec eux plus tôt, mais je suppose que le plus important est de les rejoindre. Comment puis-je les atteindre ?"

L'avertissement du milicien surpris Kalas mais ne le découragea pas. Il se demanda néanmoins quel genre de changement son corps pourrait subir en traversant l'étrange forme vaporeuse en face de lui.

Le Shaman tourna la tête vers Telam, s'apprêtant à lui poser les questions qui tournaient dans sa tête, mais il se ravisa, pensant qu'il valait mieux rejoindre le groupe avant qu'il ne s'éloigne trop du fluide. Kalas se contenta d'un léger sourire et d'un signe de tête, puis passa son corps dans le portail pour partir vers l'autre monde.

Je pénètre dans la milice pour tomber nez à nez avec un soldat. Il est assis à une table, maniant maladroitement une plume devant tout un tas de parchemin. Il semble être un guerrier aguerri et n'a pas l'air particulièrement content de sa tâche, aussi quand il se lève pour m'accueillir, je crois déceler une certaine satisfaction dans son regard, comme s'il était content d'être enfin interrompu.

Humain et mâle, c'est peu surprenant étant donné l'endroit où je me tiens, mais c'est quand même irritant ; pour une première interaction sociale depuis le début de mon auto-initiation c'est loin d'être facile. Au moins c'est un combattant, c'est une maigre consolation mais c'est tout de même mieux qu'un paysan : il doit risquer sa vie régulièrement et ne doit pas pouvoir se payer le luxe d'élever une douzaine d'enfants, en somme il ne participe pas à cet effort contre nature des humains qui consiste à proliférer comme des parasites.

« C’est à quel sujet ? » demande-t-il d’une voix neutre.
« Il paraît que vous avez besoin d'aide. Je suis là pour me proposer, mais je ne jurerais pas fidélité à la milice ou... je ne sais pas trop ce que vous faites faire à ceux qui sont là pour s'enrôler. Moi, je suis juste là pour cette mission dont tout le monde parle, je reste indépendante. »

Milice de Tulorim - Entrée

Le bidasse de l'entrée lance un regard approbateur à la silhouette de Pureté avant d'éclater de rire à ses paroles.

- On te d'mande pas d'jurer allégeance à la milice, ma p'tite, on t'propose seulement d'gagner d'l'argent. Mais pour ça allez voir Telam, l'est au-dessus, au premier étage à gauche.

La pièce au premier étage est relativement grande, toute de bois et de pierres, aux murs nus et éclairée à l’aide de bougeoirs et d’une grande fenêtre au fond, sur laquelle les rideaux son rabattus. Des bancs se situent de part et d’autre de la salle et une grande table dépourvue de chaises trône au milieu, sur laquelle se trouve un grand parchemin déroulé, des plumes et des pots d’encre. Il s’agit clairement là d’une table visant d’appui à un état major. Deux portes, fermées, se trouvent de part et d’autre de la pièce.

A côté des bancs, sur la gauche, s’élève une petite table d’appoint sur laquelle reposent un flacon emplit d'un alcool fort et ambré et plusieurs verres, vides et propres.

Au milieu de la pièce, debout, les bras appuyés sur la table et contemplant la carte se trouve un homme. A l’arrivée de Pureté, il lève les yeux qu'il braque directement sur les siens sans s'intéresser à son attirail.



- Bonjour, je suis l’instructeur Telam Averosa, dit-il d’une voix bourrue. Vous venez pour la mission sur Elysian ?

[Pureté - xp : 0,5 (post) ; 1 (entrée en quête)]

Le soldat me lance un regard que je n'apprécie guère avant de se payer allègrement ma tête.

« On te d'mande pas d'jurer allégeance à la milice, ma p'tite, on t'propose seulement d'gagner d'l'argent. Mais pour ça allez voir Telam, l'est au-dessus, au premier étage à gauche. »

Comme si j'avais un quelconque moyen de savoir comment ces idiots fonctionnent. C'est ma première interaction sociale de la journée et voilà qu'on se moque de moi sans raison, cet voyage initiatique commence très mal. Je serre cependant les dents, déterminée à ne pas faire de jugement hâtif : un seul individu ne représente pas toute l'espèce humaine, il faut que je garde cela en tête.

Je suis ses indications et arrive dans une salle plutôt grande mais relativement vide ; un homme se tient devant une table, observant un grand parchemin déroulé. Quand j'entre, il me regarde droit dans les yeux ; je préfère ça au traitement que m'a réservé le réceptionniste.

« Bonjour, je suis l’instructeur Telam Averosa, » dit-il d’une voix bourrue. « Vous venez pour la mission sur Elysian ? »

Elysian ? Peut être ? Sûrement, même. Sinon l'idiot de l'entrée ne m'aurait pas dit de monter.

« Oui, » fais-je d'une voix déterminée, essayant de ne pas laisser paraître que j'entends ce mot pour la première fois de ma vie. « Je m'appelle Pureté, on m'a dit que vous aviez besoin de monde. »

Après ces mots j'approche un peu plus de la table devant laquelle il est. Je jette un œil au parchemin pour m'apercevoir qu'il s'agit d'une carte ; il est écrit Elysian en bas à droite. J'ai appris les grandes lignes de la géographie Yuiménienne et il ne m'en faut pas plus pour comprendre que cet endroit n'est pas de ce monde.

Je lève de nouveau les yeux vers l'instructeur, soudain curieuse à propos de cette mission qu'ils ne veulent apparemment pas confier à leurs propres soldats.

« Les détails de la mission ? Comment on y va, déjà ? Ca ne me semble pas être un voyage que l'on accompli à dos de cheval. Et surtout, pourquoi pas vos soldats ? »

Trois jours que j'étais allongé dans l'infirmerie de la milice, aux frais de la princesse, à me remettre de mes blessures...et de la perte de mon bras. Trois jours que je tentais de m'y faire, d'apprendre à manier mon épée de la main droite, pestant sur ma maladresse, craignant les prochains combat que j'allais devoir mener. Trois jours que je pensais à l'offre que le milicien m'avait fait. Un travail sur un autre monde, un peuple à sauver...l'argent à la clef. Personne ne m'avait encore engagé pour sauver et protéger. J'étais plutôt spécialisé dans les meurtres et massacres en tout genre, mais dans mon état, j'étais bien incapable de tuer qui que ce soit avec ma lame. Mais soit, j'étais un mercenaire, je gagnais ma vie en obéissant aux ordres contre rémunération alors la décision était prise.

Sortant de l'infirmerie, empruntant le chemin qui m'avait été indiqué, je me retrouvai dans une pièce relativement bien éclairée. Au milieu de la pièce, une grande table sur laquelle trainait tout le bordel classique des chefs de guerre, cartes et autre parchemins. Et derrière cette table, un bellâtre en armure rutilante. Une armure qui ne demandait qu'à attirer les flèches sur un champ de bataille ensoleillé. Une armure qui laissait planer en moi le doute sur les hypothétiques compétences martiales de l'homme. Et au dessus de cet amas de métal, un visage dépourvu de cicatrice, un visage agrémenté d'une barbe de trois jours et surmonté de longs cheveux bruns et propres...Un piètre guerrier selon moi, tout du moins en apparence. Mais c'était ces gens là qui avaient les poches pleines d'or et je m'étais toujours fait un malin plaisir de les en délester.

Quand il remarqua enfin ma présence, il se présenta et me demanda si j'étais venu pour la mission sur Elysian. Ce devait sans aucun doute être le nom de cet autre monde dont on m'avait parlé. Et j'appréciai que le sujet soit rapidement évoqué, tant que je pouvais l'éviter, je préférai éviter les blablas inutiles. A trop en dire, on finissait presque toujours à dire des conneries.

" Tant que je suis payé, je suis votre homme."

Ce fut au moment où le soldat accepta de me payer que je remarquai une autre personne présente dans la pièce. L'autre andouille étincelant avait tellement attiré mon regard que je n'avais absolument pas remarqué la jeune donzelle discrète qui se tenait non loin. Un joli p'tit bout de femme auraient dit certains, mais ces jolis yeux bruns, son visage fin, sa peau douce et ses longs cheveux châtains ne me faisaient ni chaud ni froid. En la voyant tout ce que je me demandais, c'est si elle était capable de se servir de l'arc qu'elle trimballait, où si elle était du genre à satisfaire sa curiosité, à tenter de se faire mousser et à geindre au premier danger, chouinant pour qu'on vienne la sauver. Je ne demandais qu'à voir et je me désintéressais alors rapidement d'elle.

Quand le bellâtre me demanda mon nom, ma mine se renfrogna. J'allais sans doute devoir donner le seul nom que je connaissais, ce ridicule surnom duquel on m'avait affublé...Et puis merde!

"J'en sais rien. Les gens ont commencé à m'appeler Aigle Brutal, mais vous pouvez bien me donner le nom qui vous plaira."

Telam nous montra alors ce qui se cachait derrière une des deux portes et ce que je vis m'étonna au plus haut point. J'avais entendu quelques rumeurs concernant la possibilité de rejoindre d'autres mondes en traversant des sortes de fluides, mais je ne me doutais pas une seule seconde que c'était vrai, et que ces fluides ressemblaient à ça. D'étranges volutes ressemblant ni plus ni moins pour moi qu'à de l'épais brouillard se dilatant et se rétractant de manière irrégulière, une simple purée de pois magique.

Écoutant les explications sur la manière de traverser, je n'attendis pas plus longtemps. Ce n'était pas en glandant trois plombes dans la milice que j'allais pouvoir faire mon travail. Je me dirigeai vers le fluide, empoignant le sceptre, et entamai ainsi mon voyage étrange se voulant plus que lucratif.

Avant que l’instructeur ne puisse me répondre, quelqu'un d'autre entra dans la pièce ; un humain, un homme plus précisément. A peine entré et il parle déjà d'argent. Un vénal. Mais je n'ai rien contre ça, il y a plus dangereux comme vice. Je l'observe quelques secondes ; il est plutôt imposant physiquement, et semble assez aguerri, mais il n'a plus de bras gauche. Je me demande si c'est récent.

« Nan, on y va pas à dos de cheval, me répond l'instructeur, me tirant de mes pensées. « On y va à travers un fluide. Y’a justement un problème de fluides sur ce monde, parce qu’ils sont drainés pour une raison qu’on ignore, et on vous demande de vous rendre là bas pour découvrir pourquoi. Pourquoi pas nos soldats ? Parce que les commanditaires voulaient pas et que Tulorim tien à rester plus ou moins neutre, au moins officiellement, dans cette affaire car ça concerne des affaires diplomatiques entre plusieurs villes. »

Un fluide ? Alors on va en fluide dans un endroit où les fluides sont drainés ? Quelque chose me dit que s'ils n'envoient pas leurs miliciens c'est plus par peur de ne pas pouvoir rentrer au bercail si la mission échoue. Mais peu importe, il suffit de na pas échouer.

Il s'adresse ensuite au nouveau venu, qui semble tout juste me remarquer. Il me jette un regard étrange, rien à voir avec de la luxure ; je n'y suis pas habituée, surtout venant de guerrier de son acabit, mais ça ne me déplaît pas, au contraire.

« Les gens ont commencé à m'appeler Aigle Brutal, mais vous pouvez bien me donner le nom qui vous plaira, » fait-il au dénommé Telam.

Aigle Brutal... C'est assez ridicule comme nom, pourquoi un aigle ? S'il devait ressembler à un oiseau il serait plus proche du manchot. Mais je suppose que ce n'est pas de sa faute, s'il n'a pas choisi ce surnom.

L'instructeur Telam s'approche alors de l'une des portes verrouillées de la pièce et l'ouvre avec une grosse clé.

« Dans cette pièce se trouve le fluide en question. N’oubliez pas de prendre le sceptre à côté, il vous aidera à le traverser correctement et à arriver en entier de l’autre côté. Une fois arrivé, il disparaîtra pour réapparaître de ce côté. Je vous propose de nous dépêcher, on aura largement le temps de discuter en allant à Ilmatar, la première ville de votre trajet où vous rencontrerez les commanditaires. »

Derrière lui se trouve une pièce étrangement vide, outre ce que je suppose être ledit fluide et une table où repose un sceptre. Apparemment pressé, le manchot au surnom ridicule attrape le bâton sans plus attendre et traverse la forme éthérée. Suivant son exemple, j'attends que le sceptre réapparaisse et emploi le même schéma pour le suivre.

Fraîchement débarqué, le jeune homme avait pris son temps dans les rues de Tulorim, un petit tour histoire de se faire une idée, et c'était vite vu. De la rapine à tous les coins de rues, des immondices, la misère côtoyant l’opulence barricadée derrière des murs gardés, … Il n’espérait qu'une seule chose, que sa destination ressemble à tout sauf à ça !

Sa petite balade n'ayant que trop duré, il pousse enfin la porte de la milice. Un homme lui fait face. Assis à un bureau, la paperasse semblant le submerger, le préposé, à l’allure plutôt sympathique, n'a pas l'air d'être franchement à sa place.

(Encore un qui aura fait une sacrée bourde!)

- C’est à quel sujet ? Le ton est neutre et accueillant, enfin, autant que peut l'être un soldat.

Koré s'avance vers lui et enchaîne sur un ton similaire.

- On raconte partout que vous êtes à la recherche de volontaires pour un nouveau monde, une expédition... disons... désespérée. Si c'est bien le cas, je suis votre homme, les situations sans trop d'espoir, c'est dans mes cordes. Il marque une pose, laissant à son interlocuteur le temps de le jauger une peu. Je préfère vous prévenir, je n'ai que ça, lance-t-il laconiquement en soulevant un pan de son manteau, dévoilant ainsi son poignard, et ma bonne volonté.



> 2

1 <



Suivant les instructions du milicien, Korë gravit avec souplesse les marches deux à deux pour se retrouver, en deux temps trois mouvements, sur le palier du premier étage. Sur sa gauche, une lueur diffuse filtre par une porte largement entrouverte. Le jeune aventurier aperçoit l'homme.

Concentré, au milieu de cette pièce immense dépourvue de tout artifice, les avant-bras reposés sur une table d'état-major et penché sur ce qui lui semble, à cette distance, être une carte, l'instructeur Telam ne l'entend pas arriver.
Frappant deux coups secs pour s'annoncer, il s'avance vers lui, de son pas si caractéristique à la fois léger et affirmé.

- Bonjour, je suis l’instructeur Telam Averosa, dit en l'appercevant le soldat d’une voix bourrue. Vous venez pour la mission sur Elysian ? Sans avoir changé de positon, les yeux levés vers le jeune homme, il exprime la force tranquille de ceux qui ne redoutent que peu d'adversaires.

- Bonjour Instructeur.

A quelques pas désormais l'un de l'autre, seule la table les sépare. Les chandelles éclairent de leur halo vacillant les traits de cet homme endurci par la vie et le plein air, révèlent les lignes courbes tracées sur le parchemin et projettent quelques courtes ombres alentour.

- Elysian? Vous me l'apprenez. Mais, je viens effectivement pour la mission. Posant son regard sur la carte, Korë poursuit avec simplicité : "Alors, c'est ça le nouveau monde, c'est là que je vais..." Ce ne sont pas vraiment des questions, plutôt une entrée en matière, comme une pensée qui s'échappe et vient claquer contre les murs de cette pièce, où seule la présence du bois et des tentures rabattues semble arrêter les ondes.

Réalisant que dans sa grande décontraction, il ne s'est pas encore présenté, le sang-mêlé le gratifie d'un franc sourire : "Korë, vous pouvez m'appeler Korë, puis les deux mains appuyées sur le bord de la table, se penche à son tour sur l'objet de toutes les attentions et ajoute : " Alors dites-moi, je suis à vos ordres. Qu'attendez-vous de moi?"



> 3