Perdu dans mes pensées, les paroles de Mazhui me parviennent comme si elles venaient de loin, alors que je doute que plus d'un mètre nous sépare, elle sont de plus noyées dans le torrent chaotique que forme le mélange de mes réflexions claires, et de mes sentiments bruts, j'en aurai presque mal à la tête, et tout cela semble me transpercer le cœur d'une lame acéré tant ce que j'évoque me serre de tristesse, mais je n'arrive pas à m'en détourner. Pire j'y prends une sorte de plaisir pénitent. Et tandis qu'il continue de parler, ses paroles deviennent de plus en plus obscure pour moi, à tel point que je crois l'entendre évoquer le mot « pont » alors qu'il était en train de faire un discours sur Heartless, l'équipage et la légende, ou quelque chose du genre, mais de toute façon, je me suis mis à totalement ignorer Mazhui de même que mes alentours, c'est comme si j'avais créé une bulle autour de moi, me protégeant des bruits, de la vision des passants, du reste du monde, seules les mauvaises conditions météorologique pouvant m'atteindre, mais si je sentais le vent et la neige aux coins nus de ma peau, je n'en tenais pas compte.
Le temps s'écoule, et je reste là adossé à mon cheval, méditant au rythme du gonflement de ses flancs puissant, cherchant à amasser de l'air. Je me sens de plus en plus détaché de cet espace, et le temps lui aussi semble lâcher son emprise sur moi, et alors que cinq minutes me paraissent parfois une éternité, l'heure d'après semble me passer en un clignement d'œil. Au bout du compte, la nuit est tombé depuis un bon moment avant que je note ne serais-ce que sa présence, mais aussi du coup l'absence de gens dans la rue, si ce n'est deux ou trois pirates, bruyant et facilement repérable, à deux mètres des tentes qui leurs ont été allouées. Plus tôt dans la journée on m'en avait indiqué une qui me servirait de refuge pour la nuit et je m'y engouffre. Trois pirates l'occupent déjà et me voyant entrer ils me lancent de bruyantes salutations. Par pur réflexe de politesse je m'arrête un instant, baisse la tête vers l'homme le plus proche, lâche un « bonne nuit » à peine audible, dépassant de peu l'intensité d'un murmure, et rejoint ma couche sans plus de considération pour eux. Je ne prends même pas la peine de me déshabiller et m'enroulant dans les couvertures avec de nombreuses précautions pour ne pas mettre à mal mon bras cassé, je passe encore un long temps dans mes réflexions masochistes avant de sombrer dans un sommeil sans rêves.
Je suis réveillé par les bruits d'une discussion agitée, menée entre mes compagnons de chambrée. J'émerge lentement et en ruminant, mais lorsque je vois que le jour est bien levé, voir même qu'il est plus de midi à ce que je vois du ciel par l'ouverture de la tente, cela me donne un coup de fouet, et je me maudis intérieurement d'avoir dormi aussi tard. Au moins les pirates sont encore là donc je n'ai pas été abandonné ici, quoi que cela aurait peut être mieux valu. Après tout pourquoi est-ce que je continue de marcher en avant ? Jusque là cela ne m'a apporté que malheur et déception.
Et c'est sur ces réflexions que je met pied à terre et que je me relève, bien que je garde la tête baissée. La conversation entre les trois pirates cesse instantanément, et ils me demandent si j'ai bien dormi. Je leur réponds poliment, et ils m'invitent à m'asseoir avec eux. Je m'apprête à décliner quand ils font comme si j'avais accepté et me demande si je pouvais deviner comment on allait descendre. Apparemment la rumeur s'est propagé comme quoi on ne descendrait pas par des moyens conventionnels, et que c'est l'ancienne du village, qui nous prêterait de quoi aller rapidement à Henehar, notre destination.
(Comment ça, on ne continue pas à pieds ? La région est si dangereuse pour qu'une bande de pirates armée jusqu'aux dent ne puisse y survivre ou alors cela serait-il trop long ? Que peut bien être ce prêt de l'ancienne du village.)
Ils interprètent mon silence comme un aveu d'ignorance et se remettent à spéculer sur tout et rien, surtout sur rien en fait. Je ne participe pas beaucoup à la conversation, voire pas du tout, mais au moins la suivre m'empêche de penser à autre choses, je laisse même échapper un rire une fois ou deux devants les propos des pirates. Au final l'attente devient agréable et j'en oublie mon ventre qui réclame son dû, désirant que ce moment ne s'arrête pas, car il semble hors du temps, de notre situation, de mon état, de tout ce qui m'est arrivé jusque là. Une simple conversation, si banale, et pourtant ça fait du bien.
En début d'après-midi on vient nous chercher. Le groupe hétéroclite rassemble alors tout ce qui lui appartient et se dirige comme un seul homme vers le chemin que lui montre l'ancienne et les deux elfes à ses côtés, un vert et un noir. Au bout de notre périple se trouve un navire, enfin plutôt un gros radeau. Eliwin exclame aussitôt sa désapprobation, et ce n'est pas de gaieté de cœur, mais je suis bien forcé de l'approuver ! Ce n'est que folie de descendre sur une embarcation un fleuve aussi déchainé, en plus de là où je me tiens je suis capable de voir une chute d'eau au loin. Cela me semble encore plus suicidaire que le plan d'Heartless consistant à catapulter ses hommes au sommet d'une montagne. Je souris devant le fait que finalement ce capitaine n'est pas si fou, si d'autres ont des idées semblant mener à la même chose, une mort certaine !
C'est alors que j'entends les paroles de Mazhui, qui était monté à bord et s'extasiait du confort de ce vaisseau. J'ai discuté avec lui hier, et il me semblait plutôt être un homme réfléchi, ou au moins peu prompt au suicide. Comment veut-il écrire une légende si il doit servir de nourriture aux poissons ? Non définitivement cela sera sans moi, autant que je retourne au village, et demande à m'y intégrer. C'est alors que je l'entends s'exprimer de nouveau, répondre à Eliwin qui lui exprimait le fond de ses pensées. Il lui rappelle ses menaces à mon encontre, et le fait que de monter dans cet barque était effectivement bien plus dur que de menacer un adolescent avec un bras inutilisable. Je me sens alors moi-même gonflé de courage, ou plutôt de l'envie de faire voir à Eliwin que « l'handicapé » en question était plus capable que lui, dusse t-il y laisser la vie, après tout il a vu bien pire, et je me sens reposé, peut être pourrais-je tous nous sauver en créant un coussin d'air sur le radeau, et en le redressant quand il tombera dans les chutes ! Oui voilà je me rendrai utile, je ferai notre survie, paierai mon du à Eliwin, même si je ne me sens rien lui devoir, et montrerai une bonne fois pour toute, à la partie de l'équipage qui n'en est pas convaincu, l'étendue de mes pouvoirs.
Je m'aperçois que le temps que je mène au bout cette réflexion je me retrouve seul encore à terre, avec Eliwin, les autres s'étant visiblement décidé plus rapidement, et évoquant justement le fait qu'ils avaient vu pire. Je vient d'une marche rapide m'installer moi aussi, avant qu'Eliwin ne sorte de son immobilité !
Alors que le radeau se met à démarrer et que la cascade se met à se rapprocher, ma résolution se met à faiblir, mais je garde conscience de ma tâche. Je ne sais comment faire sans mon bras, mais je le ferais un point c'est tout, et alors que l'avant de la barque se met à sortir de l'eau et à se suspendre au dessus du vide, je ferme les yeux et me met à écouter. J'écoute le vent qui passe dans mes oreilles, je le sens, le comprends, l'interprète, et en fait de même pour mes « vents intérieur », je comprends bien vite qu'il s'agit de mon flux de pouvoir qui s'exprime ainsi, et le concentre sous le radeau. Au bruit et à la résistance, et alors que mes pouvoirs se déploient, je comprends que ce vaisseau est bien plus qu'une simple planche de bois, ne serait-ce que par sa conception, et ce qui se trouve sous cette planche de bois. Et alors que je déploie encore plus mon pouvoir pour soutenir notre embarcation, je prends conscience de tout mes alentours tandis que je garde les yeux fermés. C'est comme si je pouvais voir a partir des vents que je contrôlais, et j'arrive à me reconstituer une image mentale de la scène, mais pas à partir de mes yeux, non une vision qui englobe le vaisseau, de toutes les perspectives à la foi, mon imagination étant bien moins limitée que mon regard. Ainsi donc je ne suis pas le seul mage à bord. Les deux elfes se révèlent très compétent dans leurs domaines respectifs, et mon aide n'est peut être même pas nécessaire, mais je ne la cesse pas pour autant, je l'avoue, je suis un peu grisé par le pouvoir que j'emploie, et la sensation aérienne que je ressens, et le fait de pouvoir « voir » en quelque sorte, les yeux fermé, juste en écoutant les vents n'est pas pour me rafraîchir les idées ! Je « vois » aussi le ballon, l'immense bout de tissu qui nous fait tenir en l'air bien plus que nous ne le faisons moi et l'autre mage de vent. L'idée est ingénieuse, et alors que j'admire sa conception et entends la joie des marins, je cesse ma magie et ouvre lentement mes yeux. Je m'étais attendu au contrecoup, et il est plus grand que ce que je pensais, preuve que je ne suis pas tout à fait reposé, mais en même, je suis loin d'être fatigué à l'extrême, preuve que mon pouvoir à bien grandi depuis que j'ai quitté mon village.
J'ouvre mes yeux sur le sourire d'Eliwin, lui aussi pris dans notre envol. Dès qu'il s'aperçoit que j'ai surpris son expression, il se détourne et ferme son visage à toute transparence. J'éclate d'un rire muet, et observe de mes « vrais » yeux ce sur quoi je suis monté, puis je les porte en bas, vers la ville que nous souhaitons atteindre. Elle est déjà si proche, que je pense que ma vision du temps a été déformé par l'exercice auquel je me suis livré, mais je n'en suis pas mécontent. Je me rejette en arrière sur mon bras, et je grimace de douleur. Je m'étais livré au vent, sorti hors de mon corps au point d'en oublier mon bras. Je ne sais si je dois en rire ou en pleurer. En tout cas je sais que même si Eliwin ne me l'accorde pas, une fois là bas je me mettrai en quête d'un guérisseur !
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