L’âge n’est pas toujours tendre avec les femmes qui travaillent toute leur vie. Grande, Jeanne couvre ses cheveux d’un fichu rouge depuis que ses premiers cheveux blancs ont commencé à apparaître dans sa fine chevelure brune. Elle ne s’est jamais empâté, comme elle le redoutait, mais n’a jamais été très fine non plus. Elle a des seins lourds qui se devinent sous sa chemise blanche et bleue tâchée de sang qu’elle met pour son travail et des hanches larges autour desquelles elle noue un épais tablier en cuir imbibé de pourpre, lacéré de coups de feuille de boucher et de couteau. Sur son visage se dessinent les rides de celle qui se repose rarement, mais ses yeux noisette s’illuminent encore d’espoir. De plus en plus rarement. Jeanne est une femme forte et indépendante. Elle n’hésite pas à hausser le ton lorsque quelque chose lui déplait. Seuls comptent ses proches amis et son mari, duquel elle n’a jamais eu d’enfant. Le reste du monde, elle l’a appris, n’est peuplé que d’indignes de la vie qui leur a été offerte. Ils volent, pillent, agressent, tuent, violent ceux qui tentent honnêtement de s’en sortir. Son sourire magnifique, elle ne le garde donc que pour ceux qui ont prouvé leur valeur. Mais à partir de ce moment, elle sait se faire agréable, douce et prévenante.

Elle a grandi dans un orphelinat aux alentours de Kendra-Kar, dans la campagne. Elle a rapidement batifolé dans les prés et beaucoup appris à son adolescence d’un fermier du coin, Alain, avec qui elle est toujours en contact régulier. Après une longue cour qui dura plus de deux ans, elle finit par s’acoquiner avec un aide de champ d’Alain, Bruno. Après quelques années difficiles au cours desquels ils se séparèrent plusieurs fois, ils scellèrent leur union en un mariage, puis s’installèrent à la ville, ouvrant une boucherie, fournie en grande partie en bêtes par Alain. Une vingtaine d’années passa, cahin-caha, dans une certaine pauvreté mais dans un bonheur simple. Il y a quelques jours, en rentrant d’une livraison, ils furent agressés par trois hommes. Bruno a été poignardé et est sujet désormais à une énorme fièvre, laissant Jeanne pantoise. Elle tente de continuer à faire tourner la boutique tout en s’occupant de lui, mais bouillonne d’une colère immense.