Dès mon entrée dans le fluide, le temps autant que l'espace se dilate. Je me retrouve plongée dans le noir dans un lieu qui n'a pas de temps, ou bien est-ce un temps qui n'a pas de lieu. Je suis ainsi entre deux temps et entre deux lieux dans un espace qui pourrait être aussi bien le néant que son contraire. Puis soudain, l'obscurité totale, n'est-il point étrange que la première chose concrète après un changement soit l'obscurité qui n'est qu'une pâle imitation tant du néant que de l'infiniment grand ou de l'infiniment petit. Soit, l'obscurité tout d'abord, puis le froid. Le Froid, à nouveau la première chose que l'on relève en changeant de monde semble être l'absence, celle de lumière puis de chaleur...

Les images enfin reviennent, je me retrouve au centre de ce qui semble être une boule. Mais une boule totalement creuse à l'intérieur de laquelle je suis piégée. Cependant, en général les pièges n'ont pas de sortie visible, celui-ci est d'autant plus particulier, qu'il y a plutôt trop de sorties.

Chose particulière aussi, il n'y pas de ... sol...

(Bon, c'est quoi ce lieu encore?)
(Un autre monde, suffit de trouver le fluide de retour...)
(Qui est derrière une porte comme l'autre monde?)
(Mais sans aucun doute...)
(Bon, la dernière fois, fallait que je trouve comment aller à une porte. Le problème est où ce coup-ci?)
(Tente de bouger, ou de regarder?)

Je tente alors d'avancer, plutôt en nageant qu'en marchant, vu l'absence de sol en direction d'une des portes que je fixe du regard.

Ma nage s'avère bien plus efficace et il ne me faut pas plus de quelques brasses pour me rattraper à la porte que j'ai fixée du regard. Elle ressemble à une porte banale, une poignée en métal classique, un panneau de bois, et des charnières... et rien d'autres. Aucune inscription, aucune spécificité, rien qui ne permet de la distinguer de toutes les autres.

Je tire mon épée et laisse de ma lame une manque en travers, pour noter quelle porte j'ai déjà observé, c'est toujours ça de fait.

(Quand tu auras fini de démolir le matériel, tu continueras?)

Il me semble que, à moins d'un coup de chance qui m'est inhabituel, la porte prise sur le monde précédent n'avait aucune importance. Je tente donc ma chance et essaye d'ouvrir la porte qui est juste devant moi, me demandant en souriant ce que je vais raconter à l'Ermansi si cette porte mène sur Yuimen.

(Moi je me demande ce que tu me diras si tu te retrouves sur n'importe quel monde.)

Le métal de la poignée est froid, mais sans plus, une poignée en métal classique en somme. Elle s'ouvre sans bruit et j'ai à peine le temps de me demander qui a l'idée de passer ici pour huiler les portes que je suis aspirée vers je-ne-sais-où. Ma vision semble s'arrêter tout d'un coup. Je me retrouve plongée dans le noir absolu, manifestement un fluide de transport.

(Espérons qu'on revienne là où on était!)

Je me rends compte que la communication est troublée avec ma faera. Je me sens ballotée d'un coté et d'un autre. Contrairement au transport habituel, j'ai l'impression d'être piégée dans celui-ci. Je me demande si je vais rester bloquée définitivement dans ce lieu ou si je vais trouver une sortie vers quelque part.

Puis une soudaine accélération. J'ai l'impression de traverser un orage tandis que les éclairs viennent frapper ma peau nue. Je n'ai pas le temps de m'interroger sur ce fait pour le moins étrange que la sensation change, c'est l'orage qui vient me traverser et heurter ma peau en plusieurs dizaines d'impact tous plus douloureux les uns que les autres.

Finalement, je suis littéralement projetée dans... La salle d'où je venais. Je ne me retrouve pas à l'opposé, mais à une certaine distance. Outre la marque apposée sur la porte, je reconnais surtout l'endroit du départ à un tas d'objet : mes affaires en l'occurrence.

(T'as eu du bol, on est revenu au même endroit.)
(Il s'est passé quoi au juste?)
(J'ai pas eu le temps de nous lier à tes affaires.)
(Ce qui explique qu'elles soient là, à flotter?)
(En effet, bon, tu comptes rester à poil?)

Je m'arrange pour garder la porte légèrement entre ouverte, idée de savoir laquelle c'est et m'élance au travers de la bulle pour attraper mes affaires. Tout en flottant, je m'habille et me rééquipe, chose qui s'avère moins simple que prévu en fin de compte. Encochant une flèche, je prends le temps de viser tout à mon aise. Mon trait vient se ficher dans la porte que j'ai traversée au retour, éliminant déjà deux portes parmi la multitude.

(Bon, maintenant au boulot!)
(On fait quoi?)
(T'as vu des choses sur la porte?)
(Rien qui puisse me permettre de la différencier, en tout cas.)
(T'as fait attention quand t'as touché la porte, ou si tu avais senti une drôle d'odeur?)
(La porte était comme toutes les portes avec une poignée froide, pour l'odeur, j'ai pas cherché à sniffer cette porte plus que les autres...)
(Te reste plus que deux choix, j'en ai peur...)
(Ah?)
(Cinq fluides, cinq sens. L'ouïe, c'était à coté... La vision ne semble rien faire, le toucher non plus.)
(Tu vas pas me demander de lécher ces portes!!)
(Tu peux aussi les sentir si tu préfères.)

Résignée, je nage, quasiment à reculons, vers la porte la plus proche. Je ne parviens pas à me résoudre à la lécher, pas avant d'avoir tout essayé d'autre pour m'en sortir. Je m'approche de la porte et commence à la renifler, espérant que ça serve à quelque chose au moins...

Tandis que je sniffe la porte, je sens une odeur de bois mort, odeur classique pour une porte en bois, certes. En reniflant un peu plus encore, je parviens à déceler une odeur âcre, celle du métal de la poignée. Pas d'explosion de senteur cependant, mais l'impression d'être sur une bonne piste, mais ne sentant rien comme un chien enrhumé à qui on demanderait de chercher une proie.
D'un bond, je me déplace vers la porte juste au-dessus pour la sentir à son tour. Peut-être aura-t-elle une odeur différente que je puisse distinguer de l'autre. Je ferme les yeux pour éviter de me laisser distraire par les nervures du bois et prends une grande respiration cherchant à capter la moindre particule d'odeur pouvant traîner sur cette nouvelle porte.

La nouvelle porte semble avoir la même odeur et je commence à songer à la lécher. Cependant, une légère différence semble apparaître, tel un arrière-goût. Une senteur légère et lointaine, mais inconnue. Celle-ci est bien différente de la précédente en revanche mais à peine perceptible, comme si elle était filtrée par quelque chose.

(Change de porte, t'en as d'autres à renifler!)
(Je crois que j'ai une piste, chaque porte semble avoir son odeur particulière.)
(Ou plutôt chaque porte à une chose différente, avec une autre odeur derrière...)
(Et donc, il nous reste à trouver l'odeur du fluide de Yuimen, ça risque de pas être simple ça...)

D'un nouveau bond, je me déplace sur la droite, non sans avoir marquée les deux précédentes portes d'un coup d'épée. A nouveau, je respire l'odeur de la nouvelle porte, tentant de distinguer ce qui se dégage de l'autre coté.

Encore une fois, je perçois la senteur du bois et celle du métal ainsi que celle d'un on-ne-sait-quoi qui devrait me guider vers mon monde d'origine. Mais rien à faire, je ne parviens pas de sentir plus précisément ce que je recherche.

"Ca ne sert à rien, je vais pas continuer à renifler les portes comme ça!"
"T'as une meilleure idée peut-être?"
"Peut-être..."

L'idée peut sembler ridicule, mais manifestement, si comme dans l'ancien monde j'attrape des migraines, je n'aurais jamais le temps de sentir chaque porte précisément sans m'évanouir, ou pire encore.
D'une poussée des jambes sur le mur entre deux portes, je me recentre au milieu de la pièce. D'un geste simple, j'arrache un bout de ma tunique que j'utilise pour me bander les yeux et me concentre sur ma respiration : inspiration par le nez, expiration par la bouche. Il me faut capter la moindre senteur de l'air...

Les yeux fermés, je continue à détecter avant tout cette odeur incessante de bois, celle des portes tout autour de moi. Cependant, derrière cette senteur, trois catégories semblent pouvoir se détacher clairement.

Tout d'abord un ensemble de porte qui ne semble sentir que le bois et pas grand chose d'autres, la première que j'ai traversé rentre dans cette ensemble et je préfère l'ignorer. Nombreuses sont les portes dans ce cas, ce qui élimine beaucoup de portes d'un seul coup...

(Bon, on avance, la suite?)

Ensuite 8 portes semblent se décrocher du long. L'une sens l'odeur de la terre en plus de celle du bois; l'autre l'odeur d'une rivière douce et fraiche; une troisième dont l'odeur semble se rapprocher de celle de la neige que l'on retrouve dans les hautes cimes de Nirtim; la quatrième semble sentir le sang et me glace le dos; pour la cinquième, c'est une odeur paisible et apaisante; une sixième senteur est celle d'une brise de printemps; une autre porte semble avoir l'odeur d'un orage sec d'été; enfin, la dernière qui se décroche et que je peux mettre dans ce lot est celui de la forge, tout en puissance.

J'ai une soudaine envie de foncer vers celle qui sent la terre, mais Lirelan me bloque les mouvements, m'interdisant mentalement de bouger pour l'instant.
(Attends, ça ne colle pas!)
(De quoi encore?)
(Les planètes naissent d'une danse des fluides plus complexes qu'un seul élément.)
(Qu'est-ce que tu veux dire par là?)
(Yuimen serait-il Yuimen sans ses océans? Sans ses orages? Sans ses volcans?)
(Euhhh...)
(Bien sûr que non! Cherche une porte ayant les 8 éléments!)

J'en viens alors au troisième lot de portes, celui-ci est constitué à chaque fois manifestement de plusieurs éléments mélangés. Ces odeurs composites sont encore trop complexes pour que je puisse les détecter individuellement. Je me concentre alors sur ces portes, cherchant à distinguer laquelle possède les 8 odeurs élémentaires en même temps.

Tandis que les odeurs se mélangent tout autour de moi, comme si je les attirais à mesure de ma concentration, je fixe mon attention sur la fameuse troisième catégorie, celle, rares, des portes pluri-élémentaires. Certes portes mènent manifestement à des mondes aussi improbables et étranges que celui où je suis. Des mondes composé de feu, de glace, de foudre et d'eau par exemple, ou alors un très particulier composé de lumière et d'ombre uniquement.
Prenant le temps, j'élimine un à un les portes ne menant pas vers huit fluides à la fois. La quantité qu'il m'en reste est déjà bien réduite, mais loin d'être unique, contrairement à ce que j'espérais...

(Cela n'a rien d'étonnant, Lothi...)
(Ah? Pourquoi?)
(Pensais-tu réellement que Yuimen était le seul monde habitable?)
(Bah tu sais, jusque y a peu, je pensais que Yuimen était le seul monde existant et que le paradis perdu des Sindeldi était une légende.)
(Et les étoiles c'était quoi selon toi?)
(Les âmes des Sindeldi attirés par Sithi...)
(Par Yuimen et tous les Dieux, ne me dites pas que vous croyez encore à ça?)
(Comment pourrait-il en être autrement?)
(Bon, il va falloir recommencer tout depuis le début... Que connais-tu de la genèse du monde?)
(On est obligé de parler de ça maintenant?)
(Si tu veux sortir d'ici, t'as pas le choix... Je vais pas te guider comme un enfant... T'es une Gardienne, pas un môme!)
(Bon, d'après ce qu'on raconte, c'est Zewen qui l'aurait crée, ainsi que la planète perdue des Sindels.)
(Pas totalement faux, mais pas tout à fait juste non plus. En fait Zewen est né de la danse des fluides. C'est sous l'impulsion de Zewen que les fluides ont formé des danses particulières, créant de nombreux mondes. Certains, où la vie pouvait se développer, étaient composé de la danse des huit fluides primordiaux, où chaque fluide mis une partie de lui dedans. D'autres mondes étaient composés seulement de deux, trois ou quatre fluides.)
(Et le rapport avec les étoiles?)
(Tu ne comprends pas? C'est simple pourtant. Les étoiles que vous voyez sont en réalité des mondes particulièrement lumineux, composé pour l'essentiel de fluides de feu ou de fluide de lumière. Autour de ces mondes brillants, tu peux trouver de nombreux autres mondes, de compositions plus variés.)
(Mais ils sont minuscules!)
(Regarde la porte là-bas. Est-elle plus petite que celle-ci?)
(Non, mais quel rapport...)
(Réfléchis!)
(La distance?)
(Et donc?)
(Tout ne serait donc qu'une question de distance?)
(Bien, tu vois quand tu veux... Les autres mondes sont tout simplement loin, très loin de Yuimen, c'est pour ça que vous les voyez tout petit...)
(Mais attends, et pour les fluides spatiaux alors?)
(Ce sont des sortes de couloirs entre deux mondes qui permettent d'aller extrêmement rapidement.)
(Je comprends mieux... Mais et nos portes alors?)
(A ton avis?)
(Il faut que j'en trouve une avec de l'eau, de la terre et de tous les autres éléments!)
(C'est parti!)

Je me concentre à nouveau sur mes portes à plusieurs éléments, éliminant les mondes à moins de huit éléments pour me concentrer sur ceux où l'odeur d'eau et de terre prédominent sans faire disparaître les six autres éléments...