Inscription: Dim 23 Nov 2008 18:11 Messages: 2963 Localisation: Elysian
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Le sommeil s’empare de moi sans tarder. Je me sais entre de bonnes mains, avec Sinaëthin comme protectrice. Ou du moins, je l’espère. Je ne m’en soucie guère, tellement mon état de fatigue est avancé. Je ferme les yeux, plongeant dans un sommeil plutôt… agité, en vérité. *** C’est jour de fête, à Kendra Kâr. Le soleil éclaire les trompettes d’or qui résonnent à l’entrée du Temple des Plaisirs, décoré de longues et vives banderoles rouges. Vêtu d’un brocart de soie lamellé d’or et d’argent. Mes cheveux sont attachés à l’arrière de ma tête par des liens d’argent se mêlant à mes mèches blanches. A mon côté, Pulinn, plus belle que jamais. Sa robe, blanche comme à l’accoutumée, est splendide. La plus richement parée qu’il m’ait été donné de lui voir porter. Des entrelacs d’or ceignent son bustier au décolleté généreux, et derrière elle pend une traîne majestueuse. Son visage est recouvert d’un voile léger, masquant à peine ses traits délicats.
Nous avançons dans le temple, sur un tapis rouge recouvert de pétales de roses blanches, qu’une petite aniathy à l’air familier disperse en sautillant devant nous. Je n’arrive pas à placer des traits fixes sur son visage enfantin, ni ne la reconnais vraiment comme une amante, en vérité. Comme si la connaissant, je l’avais sciemment effacée en partie de ma mémoire.
Le long du tapis, les Amants de la Rose Sombre sont tous présents. Ceux que je connais, et les autres. Je reconnais quelques visages des plus récents qu’il m’ait été donné de rencontrer. Duncan le borgne, grand et fier dans une armure fine, tenant à son bras Oryash, la tempétueuse enfin domptée. Lillith et Mathis, un peu plus loin, qui plaisantent gaillardement en lorgnant les formes fort dévoilées de Salymïa, à peine vêtue d’un voile évanescent. Madoka est là, aussi, bien que je ne l’ai jamais vue au Temple, dans une robe de soie brillante, parsemée de roses. Et elle a toute sa tête. Sur ses épaules.
Nous parcourons ainsi toute la longueur du Temple, pour retrouver un autre visage connu, celui de mon ami Fléau. Vêtu d’un costume bleu élégant et brodé d’or, il semble nous attendre, Pulinn et moi. Lorsque je le croise, je pose une main sur son épaule, tout en souriant, et lui confie le bras de la Dame Blanche, dont il baise la main avec grâce. Il n’y a que des sourires sur les visages des gens du Temple, car nous célébrons un merveilleux événement, dont je me rends compte maintenant, sans que cela me paraisse incongru : l’union de Pulinn et de Fléau. Je prends place devant l’autel, et deux gardes de la Rose viennent couvrir mon cou d’une écharpe écarlate brodée de roses noires et or. C’est en qualité de prêtre de la rose que j’officie aujourd’hui, alors qu’un rayon de soleil se dessine sur le visage de mes amis. Fléau a le visage couvert de cicatrices, et une main gantée, comme si elle avait subi une grave blessure par le passé. Mais cela ne semble en rien minimiser sa joie présente.
Pulinn, elle, me regarde en souriant paisiblement, la main gracile posée sur les rondeurs inhabituelles, bien que discrètes, de son ventre. Je lui rends son sourire de manière complice. De cet enfant, Fléau n’est pas le père.
Posant mes yeux sur un livre gigantesque posé sur l’Autel, je prononce d’une voix solennelle les premiers mots du mariage…
« Mes chers amis, nous sommes réunis en ce jour dans le Temple de tous les Plaisirs pour célébrer l’union de deux êtres qui me sont chers, unis dans l’amour… »
Mais une rumeur soudaine s’élève de la salle. A peine ai-je le temps de relever le regard qu’un bruit sec retentit, suivi du cri, tant surpris que douloureux, de Pulinn. En travers de ce ventre que j’observais l’instant d’avant dépasse maintenant une pointe de flèche ensanglantée. Le liquide rouge imprègne rapidement la robe immaculée, alors que la Dame Blanche tombe à genoux, visage tiré en arrière, bouche ouverte d’où aucun son ne sortira plus. Les bras écartés, elle saigne tellement que le sol autour d’elle n’est qu’une flaque écarlate, de la forme d’un létal pétale de rose. Fléau se penche vers elle pour la soutenir, lui venir en aide, paniqué, horrifié…
Je l’aurais bien fait également, mais une force plus forte que moi me contraint à rester immobile, témoin d’une scène qui me révulse. Mes membres tétanisés assistent à ce spectacle macabre d’un bonheur désenchanté. Mes yeux sombres virent au rouge, alors qu’une larme de sang en coule, laissant sont mon visage une ligne pourpre.
De la bouche de Pulinn exhale désormais un souffle glacé, et le soleil qui rayonnait alors se couvre de nuages tempétueux. Le vent souffle, et la neige commence à tomber, alors que la Gardienne du Désir semble se changer en glace pure, qui, finissant de se cristalliser, se met à se fissurer, comme si une tension interne, forte et destructrice, la forçait de l’intérieur. Et c’est alors que le sindel qui m’a sauvé la vie se penche sur cette créature plus morte que vive que celle-ci explose avec violence, libérant la force du vent et de la glace réunis dans tout le temple. Fléau, transpercé de pointes glacées, se fait propulser sur une colonne du temple, où j’entends ses os craquer, se réduire en bouillie, et sa chair meurtrie tomber sur le sol, inerte et sans vie.
Alors, seulement alors, j’aperçois le tireur. La tireuse, en vérité. Pâle comme la plus éternelle des neiges, nue comme une vierge de fer, le visage fermé et glacial, Sinaëthin se tient, arc à la main, le regard blanc vissé sur la scène, alors qu’elle encoche une nouvelle flèche assassine. Des amants venus fêter l’événement, il ne reste qu’une marée rouge sans forme ni aspect. Un flou brumeux aux teintes du sang. Tout est flou, pour moi, mis-à-part l’elfe blanche qui tend la corde de son arc, belle et terrible, silencieuse comme la mort. Je n’entends que les battements de mon cœur, sourds et réguliers. J’esquisse un mot de ma bouche, mais aucun son ne sort. Pourquoi ? Mes membres sont figés, je suis entièrement paralysé, et seule ma conscience considère ce qui se passe : l’archère va me détruire, après avoir détruit mon monde.
L’horreur s’empare de tout mon être, dans une panique noire qui rougit davantage mes pupilles, prêtes à exploser en rage brute, mais bien inutile dans cet immobilisme. La flèche est décochée avec force, mais c’est au ralenti que je la vois arriver droit sur moi, sans que je puisse rien faire pour l’arrêter. La flèche qui va me tuer.
Et un cri retentit, hurlant mon nom…*** Et un cri retentit, hurlant mon nom, me sortant brutalement de ce sommeil au rêve si cruel. Je mets un moment pour me rendre compte de l’endroit où je suis, dans cette cabane improvisée d’une clairière dévastée. Et la personne qui a hurlé mon nom n’est autre que Sinaëthin, en garde à l’extérieur. (La tueuse froide…)L’image de mon songe horrible a du mal à sortir de mon esprit. Figé, le regard assassin de l’elfe blanche y est gravé alors que je me rue hors de l’abri, armes dégainées. « Que se passe-t-il ? Qu’y a-t-il ? »Paniqué, l’adrénaline à son paroxysme, autant du fait du cauchemar que de cet appel désespéré, j’arrive à proximité de l’archère, le souffle court, le cœur battant à cent à l’heure.
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