- Un jour plus tard, au matin. -
Artémis marchait toujours. Autour de lui le paysage était devenu plus chaotique et dévasté, les hameaux et relais se faisaient plus rares et moins fréquentables, comme pour conditionner le voyageur à l'approche de la cité d' Exech. Il lui restait encore des provisions pour trois jours et devrait être rendu dans la soirée. Il avait hâte de retrouver l'homme en armure noire et espérait, même si il n'y croyait qu'à moitié, qu' Exech était sa destination finale.
Vers midi, alors qu'il scrutait pensivement le paysage en mangeant, il aperçut une forme sombre au loin dans la direction d'Exech. Ça ressemblait à un animal. Intrigué il remballa ses affaires pour aller voir ce qu'il en était de plus près. Il avait raison: un énorme animal mort était couché au bord de la route. Sous un arbre non loin, une autre forme. Un homme allongé. Et, déposé en tas à côté de lui, une armure de fer ainsi qu'une longue épée ouvragée. Artémis sentit les battements de son coeur s'accélérer dans sa poitrine. C'était l'un des trois. Il arriva suffisamment près pour voir que l'homme était inconscient et couvert de sang et s'arrêta. A l'évidence, ils s'étaient fait attaquer par cette bête et celui-ci avait trépassé. Son attention se reporta sur l'animal. Mesurant près de trois mètres de long, celui-ci ressemblait à un lion que l'on aurait doté de gigantesques ailes de chauve souris, et dont la queue se terminait en un énorme dard, comme un scorpion. Il se souvint des aventures que lui racontait oncle Tyriel. Une Manticore. La bête n'avait pas de blessure apparente, mais du sang coagulé tachait le pelage doré autour de sa gueule entrouverte. Aucun danger. Il fit quelques pas vers l'homme allongé, et arrivant devant lui, le considéra des pieds à la tête. Une de ses jambes était visiblement cassée, et une plaie béante sur son flanc laissait apercevoir une côte mal en point.
-Que n'aurais-je pas donné pour te tuer moi-même... dit-il tout bas.
A peine eut il prononcé ces mots que le "cadavre" ouvrit grand les yeux. Il fixa Artémis et articula faiblement :
-Par pitié mon brave, aidez moi. Ma colonne vertébrale est brisée et je ne puis bouger. Donnez moi un peu d'eau par pitié...Il n'avait pas reconnu Artémis grâce à sa capuche. Celui-ci resta un moment immobile sans rien dire, puis se détourna de l'homme et se dirigea vers le tas d'affaires.
-Par pitié... prenez tout ce que vous voulez, mais donnez moi de l'eau...L'armure était bien celle d'un des meurtriers de son père, aucun doute là-dessus. Il se pencha et ramassa l'épée à deux mains. Quel poids, impossible de transporter ça. La tenant fermement, il se retourna vers l'homme.
-Que faites vous... ayez pitié...Il brandit l'arme au dessus de sa tête, et attendit un peu, luttant de toutes ses forces contre le poids de l'épée. Des images fusaient à travers sa tête. Il revoyait l'être putride à ses pieds, en train de frapper son père de cette épée. Encore et encore et encore...
-Oh mon dieu, que faites vous ! Mon dieu arrêtez cette folie !!Avec un râle rauque il la laissa retomber. La lame affutée, entrainée par son propre poids, fendit l'air. Un bruit sourd. Du sang. L'homme qui hurlait à la mort.
-Oups.Artémis avait raté son coup, et le pied droit de l'homme n'avait pas été tranché net. Ce n'était pas beau à voir. Bon. L' effet était le même... Il enleva sa capuche en souriant, s'accroupit et fixa le malheureux droit dans les yeux.
-J'ai quelques questions à te poser, ce ne sera pas long.- Une heure plus tard. -
Assis en tailleur dans l'herbe, Artémis était figé, contemplant la tête de l'homme en armure. Posée sur quelque chose qui aurait pu ressembler à un être humain. Était-il le responsable de ce carnage ? En repensant à ce qui venait de se passer il avait l'impression de contempler un autre lui-même, sombre et cruel. Plus rien à voir avec le garçon dévoué et souriant qu'il avait été. Une fois le travail terminé, pendant qu'il fouillait sa victime dans le but de découvrir quelque objet intéressant (l'armure et l'épée étaient trop lourdes et encombrantes ) il avait eu une crise de nausée. Et depuis il demeurait ainsi, se questionnant sur sa propre personnalité. Qui était il vraiment, quel monstre était l'auteur du spectacle macabre qui s'offrait à ses yeux ?
L'homme avait beaucoup crié avant de mourir. Il avait également parlé. Le dénommé Balthus aurait pris une embarcation à Exech pour se rendre à Omyre, sur le continent de Nirtim. La poursuite s'annonçait plus ardue que prévue, mais qu'importe. Artémis avait obtenu toutes les informations qu'il désirait. Mais même après, il avait continué à s'acharner sur cet homme immobilisé, l'esprit vide, savourant son moindre cri, ses moindres sanglots terrifiés. Cela ne dépassait-il pas le simple acte de vengeance ?
-Qu'as tu fait, jeune humain ?Il sursauta et se retourna, réalisant qu'il était maculé de sang frais, tout comme l'épée qui gisait à ses côtés. Monsieur Tom pointait vers lui un long sceptre de bois blanc et le regardait avec une expression indéchiffrable, mélange de dégoût et de méfiance. Depuis combien de temps était-il ici ?
-Ce n'est pas ce que vous croyez, je...La pointe du sceptre se mit à rayonner une lumière intense.
Puis ce fut le noir total.