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L'envie de découvrir demain m'empêcha d'avoir une nuit convenable, et c'est avec un grognement matinal des plus étrange que je réceptionne le projectile qui m'est destiné.
« Alors t'as passé une bonne nuit ? »
Le ton est clairement identifiable, il est en train de se payer ma tête, mais dans mon état de semi réveil fatigué, ma seule réplique possible est de lui envoyer sans grande conviction la première chose qui me tombe sous la main. Le contact de l'herbe fraiche, dans cette matinée qui n'est pas des plus chaudes, a le mérite de m'aider à me réveiller. Je me sens un peu patraque et mes yeux me piquent, mais cela se dissipe petit à petit. Des mots autres que « il faut se lever » se mettent à tourbillonner dans mon esprit, y recréant son chaos habituel, répétitifs, et sans aucun liens autres que la syntaxe. La faim qui me dévore ne se satisfait pas du modeste fruit qui lui est offert, mais il lui faut s'en contenter.
« Sinon Ilryen, à part te moquer, qu'est-ce que tu sais faire ? »
« Mettre des coups de pieds dans le derrière des trainards ! »
Malgré moi, un demi-sourire nait sur mon visage dans un souffle exaspéré mais amusé. Suite à cette remarque je m'empresse de plier mon bagage, et après avoir rangé dans ma chemise le médaillon que je possède, vient prendre place aux côtés d'Ilryen dans le chariot. L'ambiance n'est pas aussi rieuse que les jours précédents, et nombres d'armes sont hors de leurs fourreaux. Seul semble décontracté un des hommes, un dénommé Kirl, celui qui la veille, s'était enfermé dans le silence après qu'il ait prononcé une certaine phrase dont je ne me souviens même plus. C'est que cela devait être de peu d'importance !
Un long silence s'étire, uniquement dérangé par des raclements d'armes occasionnels. D'après mon estomac il doit être près de midi, et cette matinée me semble être la plus ennuyeuse de ma vie. Mon regard passe de compagnon en compagnon, tous sont tendus tel des ressorts, prêt à bondir au moindre bruit. Ils sont expérimenté, prêt à réagir quand il le faudra, et armés jusqu'au dents. Je me sens en confiance avec eux, le prochain combat ne peut être perdu. Mon ventre se met à me déranger de plus en plus, et je sais que l'on décale l'heure du repas, mais vient le moment où l'on en peut plus attendre.
« Bon les gars, je crois qu'il va falloir s'arrêter. »
Le convoi s'arrête et un bruit sourd indique que les cavaliers mettent pied à terre. Un cri de douleur s'ensuit.
« Oh les fumiers ! EMBUSCADE ! »
La pointe d'une flèche perdu vient s'encastrer dans le bois du véhicule. Je lâche un petit cri de surprise, que ne partagent pas les autres. Leurs regards sont fermés à toutes émotions. Sans empressement ni lenteur il sorte un par un et se dirigent vers le combat. Enfin avant qu'ils ne soient sortis, après leurs hurlements témoignent de leur rage, et de leur charge avide.
Alors que je m'extirpe moi aussi de cette carcasse de bois, la vision du champ de bataille s'offre à moi. Une plaine jaunâtres, un corps debout, cloué par des traits sur son cheval qui s'enfuit, un O'nean à la jambe percé qui aligne les assaillants de son arc, un hameau abandonné d'où sortent ceux qui nous attaquent, voilà ce qui compose le tableau de cette escarmouche. Au loin une lueur agresse mon œil, et lorsque mon regard se reporte sur une des maisons qui m'avait marqué, une évidence s'impose à moi.
(Ils utilisent un système de miroir. Il se sont établis sur plusieurs maisons et attendaient sans doute que l'on s'arrête, afin de se débarrasser aisément des cavaliers à distance. C'est trop bien préparé pour avoir été fait en un jour ou même deux-trois. Ces éclaireurs n'était là que pour confirmer notre position. Quelqu'un nous attendaient sans doute même avant qu'O'nean n'ait quitté Tulorim. Mais le plus grave c'est que ça implique que ce groupe recevra des renforts, et à cheval il y en a pas pour plus d'une dizaine de minutes depuis les dernières habitations qu'on a croisé. Bon c'est pas sur ça qu'il me faut me concentrer.)
A ma gauche un claquement de corde m'indique qu'Ilryen est à mes côté avec son arc. On ne peut plus tirer sur les hommes qui sont déjà au corps à corps, et je suppose qu'il faut donc faire tomber les archers. Alors que je lève les yeux sur les habitations, un arbalétrier apparaît sur une fenêtre. Je ne peux que me couvrir la tête de mes mains. Le carreau ripe sur mon gantelet et vient m'entailler le crane sur le côté gauche. La douleur est des plus mineures, à peine ai-je senti son passage. Le corps de mon ami pivote presque instantanément et la flèche qu'il décoche vient mettre un terme à la vie de celui qui m'a attaqué.
« Je pourrai pas garder tes arrière tout le temps. Alors remues toi un peu. »
« Celui là est pour moi. »
Un homme vient de prendre place à la fenêtre adjacente à celle qui vient de voir un échange de tir. Mon esprit se concentre sur l'effet d'un puissant vent arrière, tandis que mon poing s'élance dans la direction visé. L'homme dont il est question décolle jambes en avant et viens heurter avec sa tête le haut de l'ouverture.
« Pas mal celle-là ! Par contre t'es bien trop gentil. Juste lui faire ça alors qu'il aurait été simple de le tuer en faisant voler une des nombreuses armes éparpillés, ou des flèches pas trop abimés. Lui n'aura pas cette pitié. »
Et c'est inexpressif qu'il achève l'homme à terre. Un léger sentiment de répulsion se met à m'habiter, mais la logique à tôt fait de le réduire à néant. On est sur un champ de bataille, tuer ou être tuer est ce qui s'applique ici.
« Fais pas cette tête Tal'Aer. C'est mon métier. »
« Oui petit, c'est notre métier de tuer ! »
Je n'avais pas aperçu Kirl avant, d'ailleurs il est vrai qu'il est sorti après nous du véhicule, mais pourquoi n'est-il pas en train de se battre ? Il tient pourtant à la main une dague de bonne facture. Sa tête me fait peur. Lui d'habitude quelque peu renfermé, et avec un visage plutôt tendu, semble au comble d'une joie sadique. Sa main se met à bouger et je ne peux réaliser ce qui se passe. Lorsque celle-ci se met à rougeoyer, un souffle comme interrompu sort de la bouche d'Ilryen, que la dague vient de percer.
« Fraternité hein ? Ta phrase aurait du nous mettre la puce à l'oreille, et je suppose qu'à l'aller, les deux autres était avec toi ? Heureusement qu'ils se sont fait buter ces fils de ... »
« Tais toi et crève vite ! »
Je ne comprends rien, je suis comme paralysé, comment cela peut-il arriver ? Pourquoi Kirl, notre camarade vient de tuer Ilryen ? Il retire son arme de son corps, mais uniquement pour l'y enfoncer de nouveau, cette fois au travers de sa gorge. Sa tête se décale alors qu'il tombe, et il m'adresse le dernier de ses sourires.
Lorsqu'il touche terre, mon cerveau se remet à marcher, et il associe deux mots, qui prédominent dans tout mon être, avant de les fusionner : Kirl et traitre sont une seule et même chose. Je lâche un cri de rage et fonce tête baissée vers le meurtrier. Le seul désir qui m'habite est de faire couler son sang, et ce de mes propres mains. Il me réceptionne aisément de sa main gauche et m'envoie rouler par terre.
« Comment peux tu penser me vaincre mon petit mage, moi, un membre de la Faternité, une des plus grandes associations criminelles d'Exech ? Faible voilà ce que tu es, et en plus je l'ai vu, tu es incapable de tuer. Quel piètre adversaire pour un homme tel que moi. Comment as-tu pu bien avoir ce cher Aldred, l'un des nôtres ? »
(Ainsi donc il est lié à Aldred ! C'est sans doute lui qui en a parlé à O'nean, qui m'a fait recruter afin de mieux se débarrasser de moi, et a organiser ce guet-apens. Mais quelle est cette Fraternité dont a parlé Ilryen avant de mourir ? Ilryen pourquoi es-tu mort ? Je commençais à peine à t'apprécier que déjà tu m'es enlevé ! Où est passé ton sourire ? Et tes blagues pendables, où sont-elles ?)
Une larme se met à couler sur ma joue, tandis qu'un trou noir semble se former au niveau de mon cœur, tentant d'aspirer ma poitrine. Mais à la tristesse s'ajoute vite la colère, et la volonté de se venger, née de cela, se met à grandir en moi à une vitesse hallucinante. Personne ne fait attention à nous, la défaite du premier groupe, suivi de l'amertume de la découverte du second contribue beaucoup à cela. Et tandis que je rampe sur le dos, mes forces s'amassent.
« Je suis peut être faible, mais qu'es tu, homme, face à la colère destructrice de l'air ! »
Ses jambes se retrouvent chassé en arrière, comme si un pied éthérée venait de les balayer, et alors que je me relève, je vient frapper l'arrière de son crâne de mes deux poings joints, tandis qu'à l'atterrissage il s'agit de mon genou qui vient à sa rencontre. Un craquement horrible retentit, dû a un nez qui vient de se briser. Le sang qui s'en échappe vient couvrir ma jambe, et une vague froide m'envahit à cet endroit. Le contact de ma peau sur le vêtement souillé est des plus désagréable, mais je passe outre tandis que je vient frapper le bas ventre de cette pourriture qui me tient lieu d'ennemi. Alors que je fais cela, une immense onde ce choc vient réveiller la souffrance dans toute ma jambe. Mes yeux se baissent et observent une lame qui me transperce. Le froid de l'acier, pénétrant mon mollet de l'intérieur, m'est insoutenable. Je perds mon équilibre alors que tout ce qui se situe sous mon genou gauche semble ne plus vouloir répondre à mes injonctions désespérées.
Au début, aucun son ne sort de la bouche de Kirl alors que celui-ci se remet sur pied et avance vers moi, mais son regard mauvais et son pas lent sont plus intimidant que n'importe quelles menaces. Je ne peux bouger, la douleur, d'une part, rempli son office, et m'arrache des cris perçants, tandis que la peur de la mort, chose des plus stupides en soi, m'empêche justement de lui échapper.
« Tu n'avais aucune intention de me tuer, comme je l'ai déjà dit, tu es faible ! »
Une voix déformée d'Ilryen, venu tout droit de mon esprit me rapporte ses propos quand à l'utilisation de mes sorts. Mon regard se porte alors sur un sabre, gisant à terre, à côté du cadavre de son ancien propriétaire, un jeune homme que j'appréciais beaucoup, et qui me servira à faire taire son assassin. Alors que mon bras se détend avec toute la haine que je peux exprimer, dans la mémoire du couteau que j'ai fait s'envoler pour couper la corde d'un chien dont j'ai tué la maitresse, le vent se lève non pas seulement là où je le désire, mais sur tout ce qui m'entoure. Un vent fort, coupant, presque autant que la lame qui s'est levé pour empaler un lâche. Celle-ci s'enfonce au niveau du nombril avec tant de force, que le couard est soulevé de terre et vient s'accrocher au bois du véhicule dans lequel j'ai appris à connaître ceux qui sont en train de mourir aujourd'hui.
Le visage du détritus se tenant en face de moi est déchiré entre la colère et la douleur, il ne peut parler, et n'en a plus pour longtemps, mais je refuse qu'il meurt maintenant. Il n'as pas encore payée toute sa dette. Je me débarrasse du couteau qui encombre inutilement mon membre inférieur, me rue sur lui et arrache le sabre que je jette au loin, il n'y a pas besoin de souiller encore plus un souvenir d'Ilryen. Mes coups se mettent à pleuvoir sur lui sans s'arrêter, chacun provoquant en moi une vague de souffrance, amère et plaisante à la fois, mais je continue, même lorsqu'un bras vient m'entourer la poitrine et tente de m'arracher à lui alors que je hurle à la face du monde ce qu'il est vraiment, et lorsqu'enfin on réussit le soustraire à ma revanche, je continue de me débattre.
« Calme toi petit, on sait ce qu'il a fait, j'y ai assisté, de même que beaucoup d'autres. On pouvait juste pas t'aider parce qu'on était un peu occupé ! »
Après avoir dit ces mots, O'nean crache sur le cadavre de Kirl et lui fourre un coup de pied dans les côtes. « Au cas où » susurre t-il tout bas. Cela à l'effet de me calmer, et le cuisinier qui me tenait relâche enfin son étreinte. Je me tourne vers ce qui reste de la troupe. Nous étions partis vingts, et maintenant seul douze homme se tiennent encore devant moi, ce qui fait nous sommes encore treize. Sept pertes ou plutôt six, l'un étant à compter au nombre des ennemis, peuvent sembler peu, surtout lorsque ceux en face étaient au moins trente, bien que répartis en deux groupes, mais nous savons tous au fond de nous qu'un aurait été déjà beaucoup trop. De plus O'nean boite, un homme s'est vu coupé un doigt, au niveau de la première phalange, et deux autres ont des épaules démises. Ils ne sont pas beau à voir, et à cette réflexion je m'observe plus attentivement. Ma manche gauche est déchirée, ma chemise est couleur de boue, et je ne parle pas du sang désormais coagulé, qui me recouvre en plusieurs endroit, et qui, en majorité, n'est pas le mien
« Les gars ce soir on dormira pas tranquille, faudra faire gaffe aux charognards, mais je ne vous ferais pas reprendre la route maintenant. Reposez autant que vous le pouvez cette après midi et cette nuit. Ceux qui se sentent de le faire, disposez de nos morts, et maudissez leurs assassins ! »
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