Nayem empoigna fermement son bâton avec ses deux mains, prit une profonde inspiration en regardant la créature qui s’était dressée devant lui pour barrer le passage, ferma les yeux et, par une frappe verticale, sentit l’impact de son bâton. Il eut juste le temps d’espérer avoir assommé le Sylphe avant d’ouvrir les yeux… suite à quoi il l’aperçut là, juste devant lui, à la même position que tout à l’heure, le sourire jusqu’au front. Le garçon redressa alors son bâton, qu’il avait bêtement cogné parterre, en le positionnant juste devant son visage, pour se protéger de la contrattaque de l’ennemi qui n’eut pas lieu.
« Ahaha ! Tu ne peux rien me faire, jeune garçon ! Je ne suis que de l’air.»
Il se mit alors à gesticuler dans toutes les directions son bâton de magicien, en essayant d’atteindre l’élémentaire de vent qui virevoltait joyeusement autour du garçon, en chantant et en riant, répétant à de nombreuses reprises la même phrase :
« Tu ne m’auras pas ! »
Le petit, ayant compris qu’il ne pourrait pas assommer le Sylphe et après avoir consulté la boussole que lui avait confiée Enzo avant de le laisser partir, se mit à courir à toute vitesse en direction du nord-ouest, essayant de fuir son ennemi qui ne perdit pas l’occasion de s’amuser : il souffla un grand coup sur le dos de Nayem pour le faire basculer en avant sur l’impulsion de sa course. La puissance du courant faisait bouger les feuilles sur les branches qui semblaient lutter pour ne pas être emportées loin de leur arbre. La créature, sans jamais perdre sa grâce, éclata de rire en assistant à la chute. Puis elle dit d’un air provocateur :
« Ben voilà ! Je savais bien que tu mourrais d’envie de jouer ! »
L’incessant rire humiliant du Sylphe n’était de loin pas désagréable, sauf pour le garçon, qui rétorqua furieusement en se relevant :
« Je ne suis pas entrain de jouer ! Et arrête de rire, c’est pas drôle ! »
Évidemment que les rires ne s’estompèrent pas. La créature ne cessait de tourner autour du garçon, l’air de s’amuser comme une folle, faisant constamment balancer les feuilles des grands arbres. Pendant que Nayem était coincé là, Dimitri et Emira devaient sûrement être désespérés à chercher le petit. Il devait absolument s’échapper du Sylphe, mais pour ça, il fallait se montrer plus malin. C’est alors que vint soudainement à l’esprit du garçon l’une des pages qu’il avait feuilletées dans le grimoire à la bibliothèque de Tulorim, lorsqu’il était avec son oncle.
( Vague de désespoir. C’est ça. )
Certes, c’était un sort relativement dangereux, et s’il était raté, les conséquences seraient assez imprévisibles. Mais après tout, il ne lui restait pas beaucoup d’options et il n’avait plus grand chose à perdre. Si le Sylphe était désespéré, il deviendrait beaucoup plus facile à atteindre. Le regard de Nayem fut soudainement envahit par un sérieux inégalable que son ennemi constata très vite et cessa enfin de se moquer de lui. Il tint alors son bâton horizontalement en face de lui à la hauteur de la taille, en positionnant sa main gauche devant son épaule droite, comme il avait si souvent vu faire son père. Le mouvement des fluides que dégageait le garçon créait un léger courant d’air qui faisait agiter sa tunique. En se concentrant entièrement sur les fluides, il prononça ses mots magiques :
« Vague de désespoir ! »
Le Sylphe était totalement désaliéné par l’ombre qui commençait à envahir une surface de plus en plus grande autour du garçon, comme un monstre qui venait le chasser. La zone obscure grandissait encore et encore, jusqu’à atteindre la créature qui, ne comprenant pas ce qui se passait, se trouvait paralysée, engloutie par l’énorme cercle obscur qui s’était formé autour de l’enfant.
Après cinq secondes de silence absolu, Nayem ouvrit les yeux et aperçut l’ennemi en face de lui, attendant curieusement sa réaction. Le Sylphe, pas moins curieux que le garçon, finit par s’apercevoir qu’il ne s’était en réalité absolument rien passé mis à part l’ombre à leurs pieds qui disparaissait lentement.
« C’est tout ? »
En effet, cela ne semblait pas avoir fonctionné. Pourtant, la maîtrise des fluides était impeccable. En réalité, la vague avait bien marché. Ce qu’il lui manquait, c’était le désespoir. Pour imprégner son sort de peur et de tristesse, il lui fallait un état d’esprit équivalent. En fait, tout ce dont Nayem avait besoin, c’était d’un souvenir horrible. Certes, c’était sûrement difficile d’y penser, mais c’était le genre de souvenir que l’on n’oubliait jamais. L’unique problème était que le garçon n’avait jamais rien vécu dans le genre. Sa vie avait toujours été très calme et bien trop paisible pour qu’il puisse maîtriser un tel sort.
« Dans ce cas, laisse-moi te montrer ma magie, à mon tour ! »
Alors que le garçon cherchait à tout prix une autre solution, le Sylphe créa autour de lui un petit courant d’air qui devenait peu à peu une grande tornade de plus en plus puissante, probablement pas assez pour faire s'envoler le petit, mais qui arrachait brusquement de nombreuses feuilles d’arbres sur son passage. Le garçon courait, essayant de se cacher derrière les grands troncs, se faisant à chaque fois rattraper par l’ennemi suivi de son tourbillon de feuilles.
« Prends ça ! »
En pointant la paume de sa main en direction du garçon, il fit jaillir comme par explosion toutes les feuilles dans sa direction. Se protégeant seulement avec ses petits bras d’enfant, Nayem s’était retrouvé avec de nombreuses petites traces de coupure au visage. Rien de très grave, mais il savait que le Sylphe était capable de bien plus que ça et qu’il ne fallait pas lui laisser le temps de s’énerver davantage.
Le garçon reprit exactement la même position que tout à l’heure et concentra à nouveau le pouvoir des fluides, mais en essayant cette fois-ci de penser aux choses les plus horribles qui puissent lui arriver.
« Vague de désespoir ! »
C’était une vision qu’il n’était pas près d’oublier : Elvina empoigna un énorme couteau de cuisine qu’elle planta en plein dans le cœur d’Enzo. Tout avait l'air si affreux, atroce, angoissant... si réel ! Deux petites secondes qui semblaient avoir duré une éternité. Cette image resterait sûrement imprégnée dans la mémoire du garçon pendant bien longtemps.
C’est en ouvrant les yeux qu’il constata, sans même exprimer une pointe de satisfaction, le Sylphe tétanisé, la bouche ouverte, le regard vide, comme s’il avait ressenti ce que venait de voir le garçon, mais de façon amplifiée, si encore cela était possible. C’était le moment ou jamais d’en finir définitivement avec la créature agaçante pour qui Nayem s’en était soudainement pris de haine sans raison particulière.
« Main sombre ! »
Une main noire sortie de nulle-part monta jusqu’au cou du Sylphe qui fut soudainement réveillé de son état par l’étouffement. À peine arrivait-il à sortir quelques bruits sourds de sa bouche sans la splendeur qu'avait sa voix auparavant, jusqu’à s’éteindre complètement et se disperser dans l’air. C'était fini.
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