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La voix du maraisC'était un miracle si on l'avait laissé entrer en ville crasseuse comme elle était !
Les gens se retournaient sur son passage, et ils chuchotaient. Ils devaient dire que ce n'était qu'une misérable semi-elfe qui allait encore vouloir leur argent et leur compassion. Une pauvre bâtarde qui viendrait enlaidir un peu plus les rues de la ville portuaire...
Mais est-ce qu'il ne voyait pas dans quel état elle était ?!
Elle ne se serait pas infligée cela toute seule !
Myrella, l'air hagard, cherchait absolument une auberge où dormir. Son corps la faisait souffrir toute entière, et la chaleur l'achevait. Son crâne était un tambour qui vibrait douloureusement sous les coups d'une quelconque brute épaisse. Si elle avait pu, elle se serait laissé tomber là, en pleine rue, et aurait dormit à même le sol. Combien de fois l'avait elle déjà fait...
La jeune femme blessée aperçut de loin une auberge glauque, avec des gens peu recommandables qui y entraient ou sortaient. Quelques voyous la regardèrent passer, et pour leur ôter toute envie, Mimi fit semblant de tousser, en murmurant assez fort que cette foutue tuberculose ne la laisserait jamais en paix.
Elle continua à clopiner jusqu'à ce que la rue se mette doucement à tourner. Il y avait beaucoup d'ordures entassées ça et là. C'était écoeurrant !
Mimi pensait s'être débarrasser des odeurs fétides du marais, mais voici que celles des ordures, excréments et d'autres trucs tout aussi dégoûtants venaient lui envahir les narines.
Myrella regrettait définitivement d'être partie de Tulorim.
Mais surtout, elle regrettait de ne pas être morte la nuit où Arshem avait voulut l'assassiner... Morte à la place de sa chère et tendre Ribelle, qui lui manquait terriblement !
La jeune femme serra la moitié de jeton qui pendait autour de son cou. Elle espérait que dans sa tombe, Ribelle avait pu conservé l'autre partie du collier...
Quelqu'un la bouscula, et elle eut juste le temps de s'accrocher à son sac avant qu'on ne lui vole. C'était un homme, un jeune, tout essoufflé sous le foulard qui lui cachait une partie du visage. Il tirait comme un boeuf sur le fragile bagage en toile, et Mimi en sentit les coutures craquer.
- Tu vas lâcher ça poufiasse ?!! - Nan ! C'est à moi ! Le voleur lui écrasa le pied, mais Myrella ne lâcha pas prise. Au point où elle en était, un peu plus de douleur ne la ferait pas succomber. La semi-elfe lui cracha dans les yeux et le griffa, elle s'accrochait férocement à son paquetage, le sien !!
Le jeune homme la poussa contre un mur, celui d'une maison en très mauvais état, et commença à la secouer dans tout les sens pour qu'elle lâche. Mais Myrella s'était recroquevillée sur son sac, et hurler comme si Thimoros lui-même venait la chercher.
Quelques personnes commencèrent à regarder dans leur direction. Des miliciens aussi. Le tire-laine s'enfuit en donnant tout de même un dernier coup de pied dans les jambes de sa victime ! Cette dernière eut toutes les peines du monde pour se relever. Si elle ne trouvait pas rapidement un endroit où dormir, elle perdrait conscience.
La semi-elfe parvint à se remettre sur pieds en s'appuyant sur le mur. Elle continua silencieusement son chemin de croix, ne s'offusquant pas du manque de considération des habitants de cette ville.
Personne n'avait de considération pour une traine-misère semi-elfique...
Cependant, dans son malheur, quelque dieu avait du être touché par sa douleur, aussi il fit se taire les mauvaises langues, tâcha de garder à distance les coupe-jarrets, et la mit finalement sur le chemin de l'Auberge de la Cruche Fendue.
Myrella essaya de redonner un peu d'ordre à la tignasse sur sa tête, et lissa les plis de sa robe. Elle prit également le soin de cacher sa joue bleuâtre sous ses cheveux, puis s'approcha du comptoir.
La semi-elfe essaya de se donner un air digne malgrès sa misère, et héla un humain plutôt gros, comme sa barbe d'ailleurs.
- Euh bonjour monsieur... Est-ce que...Enfin... Serait-il possible de vous louer une chambre ?- Bien sûr, 10 yus et celle au fond du couloir, à droite, est à vous ! - Oh merci ! Et euh... est-ce que... commença timidement Mimi en serrant l'anse de son sac.
Est-ce que je pourrais avoir un peu d'eau... pour euh... me nettoyer un peu...- Oui, oui pas de problèmes ! souria le tenancier avec un petit air désolé.
On lui donna un gros sceau d'eau tiède et une bassine large. On l'aida même à tout poser sur la commode de la chambre. Une fois dans celle-ci, et après avoir fermé derrière elle, Myrella se laissa tomber sur le lit moelleux mais sans grands agréments. C'était le lit le plus moelleux du monde !
- C'est la première fois que tu dors dans un vrai lit ma petite Mimi ! La première fois en 60 longues années d'existence...La jeune femme releva une dernière fois sa carcasse abîmée pour la glisser sous les draps. Bien qu'un peu usés, ils étaient propres. Tout comme l'oreiller. La semi-elfe se souvint des oreillers du bordel dans lequel elle viva pendant de longues années. On aurait dit des galettes ! Des galettes inconfortables, qui sentaient beaucoup trop la transpiration, et qui étaient toutes dans un sale état ! Elle passa ses mains sur son visage, et se concentra sur les bruits des consommateurs en dessous, dans la salle principale, pour chasser de sa mémoire les scènes sordides de sa jeunesse qui se rejouaient dans sa tête...
Il y avait quelques éclats de voix, un peu de musique, et beaucoup de bruits de pas. Mimi se laissa bercé par tout ce brouhaha, et s'endormit profondément.
***
L'éclairage était diffus.
Une lourde odeur d'encens, de parfums multiples mêlés aux odeurs corporelles, et celle du tabac et d'autres herbes à fumer embaumaient l'air ambiant.
Myrella était cachée dans un petit réduis poussiéreux, habillée avec le corset pigeonnant et la robe qui montrait plus qu'elle ne cachait, typiques des filles du bordel. Elle tentait en vain d'étouffer les bruits, les craquements, les cris, les soupirs et les gémissements de tout ce monde qui la harcelait en se bouchant les oreilles avec ses mains frêles.
Un bruit sourd la fit sursauter, et elle manqua de crier.
La semi-elfe jeta un coup d'oeil à la pièce en regardant à travers les planches de la porte du réduis. Cette fois-ci, ce fut un sanglot qu'elle tenta d'étouffer avec ses mains, plaquées sur sa bouche !
Sa chère et tendre Ribelle se faisait rosser par une brute qui trouverait plus de plaisir à faire la chose avec une femme battue, et donc tout à fait soumise à son désir impérieux.
Le pire, c'est qu'elle se faisait étriller à sa place...
Elle se faisait toujours battre à sa place, sa chère et tendre Ribelle...
Tout devint très sombre.
Une affreuse odeur de vase, de fange mêlée aux odeurs de feuilles en décompositions, et celle de l'humidité embaumaient à présent l'air lourd.
Myrella était seule et totalement nue au milieu d'une motte de terre bourbeuse. Il n'y avait plus aucun bruit, ni celui du vent, ni celui des crapauds, ni celui des insectes. Le marais tout entier semblait retenir son souffle.
La semi-elfe jeta un coup d'oeil autour d'elle. Seule sur son ilot, une vaste mer de fange l'entourait. Elle était perdue et coincée dans ce marais !
Tout à coup, elle sentit un contact affreux et chaud dans son cou. Tout son corps se figea, et des larmes coulèrent le long de ses joues. C'était les lèvres brutales du cavalier qu'elle avait assassiné ! Il la serra méchamment dans ses bras, et la regarda avec son regard mort, mais haineux pourtant, à l'oeil crevé et son crâne meurtris par les coups de pierre.
Elle sentit un contact légèrement chaud et gluant contre ses reins. Elle devina qu'il s'agissait des tripes de cet humain qu'elle avait éventré...
Ce dernier l'attira tout au fond de la mare, dans sa tombe de boue.
Pour toujours...
***
Myrella se releva brusquement dans son lit. La pièce était sombre, et elle commença à paniquer. Mais le contact des couvertures et de sa robe contre sa peau l'assurèrent qu'elle n'était pas dans ce marais putride.
Elle était dans le lit, dans cette auberge. Dernier havre de paix dans cette ville de voleurs et de brutes. Une ville bien plus semblable à Tulorim qu'elle ne l'aurait imaginé !
La jeune femme souffla plusieurs fois pour retrouver sa respiration et son calme. Toute tremblante, elle sortit du lit, et tâtonna dans le tiroir de la table de chevet à la recherche de quoi allumer les bougies.
Dehors, la lune était haute. Elle avait du dormir très longtemps !
Une fois que Mimi eut plus de lumière, elle ferma les rideaux de l'unique fenêtre puis enleva ses chaussures et sa robe. Il y avait une glace sur la commode, qui lui refléta nettement son image.
Myrella avait la joue bien bleue ainsi que la lèvre inférieure éclatée et gonflée. Des marques rouges parcourait son corps, à l'endroit où ce porc avait poser ses pattes... Dans son dos, un gros bleu qui commencé à virer au violet lui rappeler la lourde chute qu'elle avait faite. Et ses cheveux, par tout les dieux ! On aurait dit qu'elle avait un incendie sur le crâne tant ils étaient hirsutes !!
La jeune femme trouva qu'elle ressemblait assez à la jeune prostituée qu'elle fut dans la passé : battue, couverte de bleus et d'écorchures, mal coiffée, mal fagotée, le regard vide et l'air aussi triste que perdu. La chair fade et fatiguée...
Comment les clients pouvaient-ils se battre pour vouloir l'avoir ?!
Comment pouvaient-ils la trouver attirante ?!
Comment pouvaient-ils avoir envie de...?!
On toqua à la porte. Et d'instinct, Myrella tira une couverture pour cacher sa nudité, bien que personne ne puisse pénétrer dans la pièce puisqu'elle était fermée à clé.
- Oui ? Qu'y a-t-il ?! demande-t-elle d'une voix anxieuse.
- C'est juste pour savoir si vous aviez un jour l'intention de descendre manger, ou si vous vouliez qu'on vous apporte quelque chose dans vot' chambre...? Il se fait tard alors on va jeter dehors les poivrots, vous avez donc pas avoir peur de descendre hein ! affirma le tenancier
- Oh euh... C'est juste que... J-je j'arrive.Mimi nettoya rapidement son visage dans l'eau qui était devenu glaçée, et gratta la tâches de boue sur sa robe. Heureusement qu'elle était d'un beige assez fonçée pour cacher ces imperfections... La jeune femme sortit un peigne presque édentée de sa besace et tâcha d'éteindre l'incendie.
Elle se regarda dans le miroir une dernière fois et se jugea très palôte. Aussi, la semi-elfe pinça ses joues pour leur donner une teinte rosée, mais évita de mordre ses lèvres pour faire ressortit leurs rouges. Les pauvres étaient déjà bien assez abîmées...
Lorsqu'elle descendit, tout était très calme. Les quelques personnes attablées ne la virent même pas descendre, tant elle était discrète. Si bien que Mimi patienta un bon moment à une table avant qu'une serveuse ne la remarque.
Celle-ci lui proposa pour 4 yus un ragoût de la mer, composé avec seulement du merlan, du crabe et des moules, en faite...
Mais Myrella ne fit pas la difficile, et pour 6 yus supplémentaire, elle avait put manger du bon pain noir et boire un godet de cidre doux.
Tout en mangeant le seul vrai repas chaud qu'elle n'avait pas pu faire depuis bien longtemps, la semi-elfe tendit l'oreille vers le comptoir.
Car on parlait d'elle, elle le sentait !
- T'as vu sa joue et sa lèvre à cette fille ! Elle a du se faire passer à tabac... spécula l'une des serveuses.
- Fais pas bon d'être une fille à Exech, je te dis... commença la jeune fille l'avait servit.
Si on est pas prudente, on reste pas longtemps vierge... - ... Et en vie ! termina la première.
Si on était des soeurs de la Sororité, ces sales pervers garderaient leurs mains dans leurs poches ! Et autre chose dans leur pantalon ! pouffa-t-elle niaisement.
- C'est sûr ! Seules les guerrières de la Sororité de Selhinae peuvent les remettrent à leur place ! Sûrement parce-qu'elles sont aussi costauds que les mecs ! Myrella se mit à chercher dans sa mémoire ce qu'elle savait sur ces soeurs...
Déjà, elles n'aimaient vraiment pas les hommes... Elles les tuaient sans même les écouter...
Ensuite, elles vivaient toutes dans une sorte de grand temple, et les hommes ne pouvaient pas y aller...
Enfin, ce sont de féroces combattantes qui n'ont peur de rien ni personne, surtout pas des hommes ! Ce sont des femmes fortes et féroces, ça oui !
La jeune femme espéra pendant un moment que si elle devenait une Soeur de la Sororité, elle serait certainement assez forte pour pouvoir se défendre, pour faire en sorte qu'on la respecte, et pour pouvoir enfin se venger de son père...
Mais elle secoua la tête, en refusant cette possibilité.
Bien qu'elle est assassinée sans remord seize hommes, c'étaient tous des porcs infâmes, des monstres qui méritaient leur sort. Mais devoir tuer d'autres hommes, juste parce-qu'ils sont des hommes... Cela était impensable pour Mimi.
C'est comme si les gens voulaient tous la tuer parce-que c'est une semi-elfe, et juste à cause de ça ! C'était... injuste, et au moins aussi méprisable que le comportement de certains hommes !
Non, en y réfléchissant bien, devenir une soeur ne serait pas la meilleure des choses. Car elle ne deviendrait vraisemblablement le même genre de monstre que les types qu'elle avait tué.
Elle persécuterait et abuserait de sa force pour faire plier les autres selon ses désirs...
Myrella soupira, et éclaira légèrement son visage d'un petit sourire.
En faite, elle venait de comprendre qu'elle n'était pas une fanatique foncièrement mauvaise et cruelle comme l'espérait Thimoros et ses fidèles.
Elle avait juste sa propre façon de juger les gens.
Mais jamais la jeune femme n'userait de ses "dons" pour faire le mal autour d'elle. La semi-elfe se jura de ne les utiliser que pour se venger du mal qu'on lui ferait subir !
Mimi finit le reste de son ragoût en raclant l'assiette avec la cuillère en bois, puis déposa le paiement en pièces sonnantes et trébuchantes, avant d'aller se recoucher en souhaitant une bonne nuit aux deux jeunes filles.
Espérons que demain, sa joue aura dégonflée !
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