Seul à une table, l'homme finissait son godet de bière tout en jetant parfois des regards en direction de l'escalier, qui menait au deuxième étage. On l'avait envoyé ici effectuer une transaction, « afin de faire ses preuves » comme on lui avait-on dit. De quoi satisfaire Rhazel, il avait imaginé bien pire pour pouvoir intégrer la petite bande qui commençait à lentement se développer à proximité des docks. Bien que ces quartiers étaient sous la domination de la Fraternité, les petites frappes que le jeune homme avait pour projet de rejoindre étaient encore loin d'arriver à leur botte et prenaient garde à ne pas interférer avec leurs affaires. Mieux valait ne pas mécontenter ces pointures sur leur propre terrain.
Le jeune guerrier finit son breuvage d'une gorgée et reposa son verre. La bâtisse était assez animée ce soir-là. Ici se retrouvaient en général les marchands itinérants qui étaient de passage en ville, l'auberge étant réputée pour être la plus « fréquentable » d'Exech. C'était d'ailleurs l'un d'eux qu'attendait Rhazel. Son regard passa sur chacune des personnes présentes, plus par curiosité qu'autre chose. Il faut dire que c'était ici qu'on voyait le plus de profils différents et d'étrangers. Son regard fut alors attiré par un mouvement derrière l'une des fenêtres crasseuses, non loin de lui. La saleté l'empêcha de voir distinctement, apparemment le concerné qui se trouvait derrière également car il distingua une manche frotter fébrilement le carreau. Une petite bouille s'y colla ensuite et de grands yeux d'un violet peu ordinaire se mirent à explorer la vaste pièce.
Rhazel soupira intérieurement. La vie était impitoyable à Exech, elle l'était d'autant plus abominable pour les enfants. Le jeune guerrier en avait déjà eu un avant goût par son passé, mais jamais il n'avait été livré seul à lui même à un âge aussi tristement jeune. Les enfants des rues, aussi parfois appelés « rats » par la population locale se rassemblaient très souvent en petits groupes, c'était à vrai dire une de leurs seules et rares chances de survie. Ensemble ils commettaient des petits larcins, détroussaient les proies faciles et prenaient pour abri des taudis délabrés laissés à l'abandon.
Exech était bien assez malfaisant et sinistre comme ça, que des bambins aussi juvéniles se trouvent confrontés à la violence et la mort aussi tôt consternait Rhazel. Si Gaïa était une divinité aussi miséricorde et protectrice que ses prêtres prétendaient, cette dernière semblait avoir délaissé la ville depuis maintenant bien longtemps. Sûrement parce qu'aucun temple n'avait été bâti ici à son effigie, ne pouvait s'empêcher de penser avec ironie et avec aigreur le jeune guerrier.
(Ayez au moins la décence de sauvegarder l'innocence de ces mioches quelques années, avant qu'ils ne tombent dans cette spirale de violence et de conflits, si propre à cette foutue cité).
Le jeune homme sortit de ses pensées en apercevant un homme descendre les escaliers qui menaient aux chambres. L'individu était tel qu'on lui avait décrit, bedonnant, une barbe grise nouée en trois tresses ornant un visage mât. Le turban qu'il portait indiquait bien indiqua bien que le marchand n'était pas d'ici. Il était vêtu d'un simple pantalon de toile et d'une veste en cuir de mouton qui laissait ses bras nus et une partie de son torse apparents. Ses signes caractéristiques sautaient alors aux yeux, prenant la forme de deux tatouages ornant son biceps et avant bras gauche. L'un représentant une femme particulièrement laide, l'autre une mouette. Allez comprendre...
Rhazel attira son attention sans peine avec un signe discret, quand ce dernier balaya la pièce principale du regard. Le marchand, nommé Basp le rejoignit, prit place en face de lui et pose une petite boîte rectangulaire devant lui.
« C'est vous l'intermédiaire ? J'aurais pensé que Jonas serait venu lui même. » L'homme avait un accent à couper au couteau.
« Jonas avait hélas des affaires plus pressantes à régler, une histoire de chevaux et de … Femmes. Bien que je ne voie pas non plus vraiment de rapport, je vous l'accorde. » Il s'agissait de la réponse à donner afin de démontrer qu'il était bien l'intermédiaire.
Le message passa visiblement, car l'itinérant le détailla d'un rapide coup d'oeil et poussa vers lui la boîte allongée faite d'un bois sombre.
« Vous savez moi... Tant que j'ai mes sous ». Marmonna t'il tandis que Rhazel lui fit passer la bourse que lui avait remis un peu plus tot le commanditaire.
Consciencieux, Basp compta soigneusement la somme présente dans la bourse. Une fois cela fait il hocha la tête avec satisfaction, glissa la dernière à sa ceinture et se pencha tout en croisant ses coudes sur la table, pendant que le jeune homme ouvrit la boîte rectangulaire.
Une dague de très bonne qualité reposait sur un tissu de couleur rouge foncé.
« Voyez ce que Jonas en pense, s'il est satisfait je pourrais vous en livrer comme convenu une dizaine lors de mon prochain passage. »Rhazel hocha la tête, inspectant l'arme du regard. Le fourreau, assez simple, était fait d'un cuir épais noir, dont la base était entrelacée de deux cordelettes de même couleur, facilitant l'attache de l'arme à la ceinture. Le jeune homme la prit ensuite et tira la dague du fourreau. Agréable en main, l'arme n'était pas constituée d'un mais de deux côtés tranchants, redoutablement aiguisés. Même s'il n'affectionnait pas les armes aussi courtes, le jeune guerrier sourit d'avance en imaginant les dommages qu'infligeraient de telles dagues à leurs futurs concurrents. Il la glissa soigneusement dans le fourreau et détailla la poignée, faite de métal, et autour de laquelle s'enroulaient étroitement de fines bandes de cuir, de même couleur que le fourreau.
« Je pense qu'un peu d'ornement et de décoration seraient les bienvenus... »Rhazel secoua négativement la tête.
« Vous savez ici on évite tout ce qui est tape-à-l'oeil. »Se balader seul avec une arme ou des parures étincelantes de gravures dans les rues d'Exech, était le moyen le plus rapide et assuré d'être retrouvé égorgé et dépouillé à l'ombre une ruelle.
« Tout ce qu'on demande c'est que se soit discret et efficace ».Le marchand haussa les épaules en soupirant, n'insistant pas, il aurait bien aimé tirer quelques sous de plus avec quelques gravures.
« C'est aussi l'avis de Jonas... C'est vous qui voyez … Sur ce excusez moi. »Dit il en se levant avec un soudain sourire.
« Mais j'aimerais arriver au Serpent Rouge avant la tombée de la nuit ». Ajouta Basp avec un clin d'oeil appuyé.
Rhazel ne put que l'excuser d'un signe de tête accompagné d'un rire. Le serpent rouge était le plus grand lupanar de la ville, mais aussi bien sûr le plus cher. Le jeune guerrier avait beau entendre dire que c'était là-bas qu'on trouvait les plus délicieuses femmes de la cité, avoir ne serait-ce qu'assez d'argent pour pouvoir se payer les services d'une de ces créatures de rêve, était déjà en soi-même un fantasme.
Il glissa rapidement la dague à sa ceinture, sous sa cape.
« Je vous laisse la boîte. Trop voyant et encombrant. »Basp acquiesça sans insister. Ils échangèrent de rapides au revoir et quittèrent l'auberge. Chacun partit ensuite de son côté.
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