<<<Rhazel s'éloigna de l'auberge et rabattit son capuchon. Tout s'était bien passé, il s'était vraiment attendu à pire lorsque Jonas lui avait donné une première tâche pour voir s'il ferait l'affaire.
(Tant mieux) songea-t-il avec amusement.
(Au moins ils n'ont pas peur, remettre une bourse assez bien remplie à un novice pour l'envoyer faire une transaction, et me faire ramener une dague d'une si bonne qualité... J'en connais plus d'un qui se serait fait la malle avec soit l'un soit l'autre). Cette pensée le fit sourire.
(J'espère que je ne suis en fait pas tombé sur des naïfs quand même, cette histoire risquerait de tourner court pour nous tous sinon). Une pensée lui vint alors subitement à l'esprit, et lui fit entrevoir cette « mission » sous un tout autre jour... Comment n'a-t-il pas trouvé plus tôt bizarre le fait qu'on lui remette une somme d'argent assez confortable et une marchandise de cette qualité, alors qu'au final Jonas et sa bande ne le connaissent pas, voire très peu .
(N'est-ce pas moi qui ai été naïf?).
Il fronça les sourcils à mesure qu'il prenait conscience d'autres possibles, et réels enjeux. Tout cela n'était en fait sûrement qu'une sorte de test, pour s'assurer de sa fiabilité, car s'il rejoint vraiment ce groupe il sera amené à l'avenir à faire transiter bien plus que tout ça.
Actuellement et sans doute depuis le début, il était sûrement filé par un voir plusieurs hommes de main de Jonas. A cette pensée Rhazel s'empêcha à grande peine de jeter un œil derrière lui.
(Non, tu as tout fait comme ça devait se faire. Donc respire, ne montre pas que tu as vu clair dans leur jeu, et fais ce qu'ils attendent de toi. Tu as ton entrée au sein de ce groupe accrochée à la ceinture, tu n'as qu'à leur ramener et l'affaire sera pliée).
Il ne s'était éloigné de l'auberge que de deux rues et était en train de bifurquer à un tournant, lorsqu'une masse d'à peine un mètre le heurta de plein fouet et l'arracha de ses pensées. Le souffle coupé, le jeune guerrier eût cependant le réflexe de saisir la chose au vol. Une chose qui se mit à piailler.
« Pardon m'sieur j'vous avais pas vu ! Pardon ! »Courbé, reprenant son souffle, Rhazel dévisagea alors le gamin qui lui faisait face. Ou plutôt la gamine, et reconnut les deux yeux de ce violet si étrange, qu'il avait vu quelques minutes plus tôt à la fenêtre de l'auberge. La fillette était vraiment petite, même pour son âge, que le jeune homme pensait situer autour des 6 ou 7 ans. Des boucles brunes, sales, encadrait un visage angélique terni par la crasse. La gamine, vêtue de haillons, était d'une maigreur inquiétante, impression accentuée quand Rhazel sentit l'épaisseur du bras qu'il tenait. Inconsciemment il relâcha même un peu sa prise, comme par peur de la casser. La mioche sembla le sentir ,car elle leva vers lui un regard larmoyant et essaya vivement de se dégager, son autre bras replié sur elle-même.
« Pardon ! »Le jeune guerrier n'insista pas et relâcha sa prise.
« Fais attention la prochaine fois, tu risques de tomber sur bien moins tolérant que moi ».
Mais pas de réponses, la fillette était déjà en train de filer, ses boucles brunes au vent.
Rhazel secoua la tête et par réflexe porta la main à sa bourse. Elle s'y trouvait toujours.
(Bien). ll se sermonna de n'avoir pas vérifié pendant qu'il tenait encore la petite, ce genre « d'accident » était monnaie courante à Exech, au détriment des individus assez naïfs et pas assez rapides. Il tâtonna ensuite à l'endroit où il avait glissé la dague.
(…) (LA MORVEUSE !).
Faisant rapidement volte-face il s'élança à sa poursuite, la voyant juste à temps bifurquer dans une ruelle sombre. Celle-ci était si étroite qu'on y voyait pas très bien.
(La laisse pas filer Rhaz) se dit-il le cœur battant à tout rompre,
(c'est ton entrée dans le groupe de Jonas qui est en train de se barrer en courant). Les réflexions qu'ils s'étaient faites juste avant la fâcheuse collision lui revinrent alors en tête. Il sentit son cœur s'accélérer et la colère se mêler à la peur quand il mesura les conséquences qu'entraînerait la perte de cette dague. Comment expliquer qu'il se l'était faite dépouiller par une môme haute comme 3 pommes ? Non ils croiront plutôt qu'il se l'est mis de côté, bien à l'abri, ce serait bien plus plausible.
Il serra les dents, essayant de ne pas déraper sur les nombreux déchets qui recouvraient les pavés.
(Non mon gars c'est ta vie qui est en train de partir en courant !). Il accéléra l'allure tant bien que mal , essayant malgré l'obscurité de ne pas perdre de vue la petite silhouette qui s'enfuyait et les nombreux obstacles tous aussi traîtres les uns que les autres.
Le jeune homme remarqua ensuite une forme mouvante, quelques mètres devant la gamine, se détacher d'un petit monticule de détritus. Il identifia un vieillard osseux et rachitique, qui tendit les bras vers le petit être qui accourrait dans sa direction. Le vioque alla à son devant en émettant de curieux halètements, ce qui fit pousser un petit cri d'effroi à la fillette, mais qui ralentit cependant à peine sa course.
(Ralentis-la, ou choppe-la, le temps que j'arrive en tout cas).
Au lieu de cela un coup sec et sonore résonna le long des murs étroits et humides. Rhazel vit le vieux débris tomber sur le dos en beuglant tout en se tenant le front, quant à la morveuse, elle reglissa sous ses haillons la dague toujours bien rentrée dans son fourreau. Deux secondes après le jeune guerrier sauta par-dessus la fâcheuse victime en pestant, manquant de peu de glisser à l'atterrissage.
Il vit la fillette aux yeux violet lui jeter un regard par-dessus son épaule et reprendre sa course folle. Diantre, elle se déplaçait avec tant d'aisance malgré ses petites jambes ! Rhazel ne douta pas du fait qu'elle devait bien connaître ces quartiers. Le cœur battant la chamade il ne pouvait se permettre de se laisser distancer, lui aussi connaissait un peu ce coin. Assez en tout cas pour savoir que la ruelle dans laquelle il venait de s'engager finissait à son extrémité de deux manières. Par une autre allée menant sur les docks, et sur un cul-de-sac. Plus que 3 mètres les séparaient et l'embranchement n'était plus loin. Le jeune homme vit alors une caisse délabrée traîner contre un mur. Il la prit au vol, et la jeta sur le chemin de la gamine alors que celle-ci allait prendre la ruelle à sa droite. La caisse s'écrasant sur le mur à ce moment-là, la morveuse fit volte face et prit l'autre allée, celle du cul-de-sac.
Rhazel souffla intérieurement mais ne cria pas trop tôt victoire. Il s'engagea à son tour dans l'impasse, et vit la gamine regarder autour d'elle tel un chat perdu. Lorsqu'elle tourna la tête vers lui elle poussa une exclamation apeurée et entreprit une escalade désespérée le long d'un mur d'une bâtisse délabrée. L'humidité lui rendit cependant la tâche difficile et elle tomba à la renverse. Le jeune homme ralentit sa course et se dirigea vers la fillette gémissante d'un pas vif, tout en reprenant son souffle et calmant la colère qui battait à ses tempes.
Les deux yeux violets se levèrent vers lui, Rhazel y lut alors une peur authentique.
La petite se redressa, et saisit fébrilement la dague qu'elle avait dérobée. Elle la sortit du fourreau, jeta ce dernier, et prit le manche de l'arme à deux mains, pointant la lame vers l'individu furibond qui arrivait, et qui ralentit le pas.
« Ne... Ne... Ne m'approchez pas ! » Rhazel ralentit le pas et s'arrêta à deux mètres d'elle, la main tendue.
« Pas avant que tu m'aies remis ça petite .»« Je ne vous la remettrais ! Laissez-moi ou si.. sinon.... » Elle semblait chercher ses mots.
« Sinon quoi ? Repose ça tu vas te faire mal. » Renchérie Rhazel, glacial.
« Si.. Sinon... Je.. Je... Je coupe un bras! »« C'est pas avec ça que tu y arriveras petite. »« A.... Alors je vous tuerais ! » Là-dessus elle redressa un peu plus son arme. Les tremblements qui agitaient ses bras et le regard paniqué de la gamine en disaient long.
Rhazel soupira, las. Il avait suffisamment perdu de temps et tenait à en finir rapidement, cependant il ne voulait faire de mal à la petiote. Il la regarda quelques secondes en silence, puis lui dit, d'une voix plus calme.
« Tu n'as jamais eu à faire de genre de chose, hein ? »La gamine ouvrit la bouche, mais aucun son en sortir, elle la referma, la rouvrit, mais ce fut le même résultat.
«Faire ça n'a rien de glorieux tu sais. »Rhazel survivait depuis des années dans les sombres rues d'Exech, il était piètre combattant, novice en la matière, mais il lui était déjà arrivé de tuer, même si cela pouvait se compter sur les doigts de la main. Il avait essentiellement agi par légitime défense, et une fois pour pouvoir apaiser son ventre vide, qui criait à ce moment-là famine depuis plusieurs jours. Il n'en avait ressenti aucune satisfaction, juste celle de pouvoir vivre un peu plus. Mais au final à quoi bon.
Il tendit une nouvelle fois la main, et demanda d'un ton calme.
« Maintenant s'il te plait, rends-moi cette dague, j'en ai besoin. »La petite secoua négativement la tête et se mordillant la lèvre inférieure, ses yeux commençant à s'embuer de larmes.
Le jeune guerrier commença à perdre patience .
« Montre toi raisonnable ! Que comptes tu faite avec, t'attaquer à un des temples ou au Roi ? »Une première goutte perla, traçant une ligne sur la joue salle de la fillette.
« Je... Je peux pas vous la rendre. » Sa voix se faisait de plus en plus tremblante.
« Moi aussi j'en ai besoin ».
« Et pour quoi faire ? » Rhazel, recommença à perdre patience, pourtant il ne sut pourquoi, mais l'intense détresse qu'il sentait en son interlocutrice ne le laissait pas indifférent.
« C'pas vos oignons !!! »Le jeune guerrier dégaina son épée d'un mouvement brusque, mais avec pour seul but d'intimider la fillette aux yeux violets, chose qui visiblement fonctionna quand il la vit se ratatiner à vue d'oeil.
« Non.... S.. S'il vous plait. Je.. Je peux pas, j'peux pas.. J'en ai besoin. » « Pourquoi ? »La gamine tomba à genoux et fondit en larmes, baissant la lame, plus à cause du malheur qui semblait soudain accabler ses frêles épaules, qu'à cause de la menace de Rhazel.
Jamais le jeune homme n'avait vu quelqu'un pleurer ainsi, le désespoir et l'angoisse qui pétrifiaient la petiote étaient authentiques.
Il baissa rengaina doucement son arme en s'approchant, arrivé devant la fillette il mit un genou au sol.
« Pourquoi tu ne peux pas me rendre cette dague ?»La petite aux yeux violets leva vers lui un visage inondé de larmes, où se lisaient un désespoir et une détresse tels qu'ils touchèrent Rhazel plus qu'il ne voulut.
« Il faut tuer le vieux Grorik. »>>>