Je garde le silence quelques instants, jugeant la réaction des autres. La joie et la compassion de celle qui m’a soigné. L’étrange réaction de la femelle Shaakt, du regret, de la tristesse, de la honte peut être. En tout cas elle ne semble pas ravi des méfaits des elfes noires de Yuimen alors que l’hybride qui m’a mené ici lui caresse tendrement l’épaule. Je plisse les yeux un instant en gardant mon regard dardé sur elle avant que la doyenne ne prenne la parole pour couper la surprise générale qu’était le plan des Koyabashis. Elle m’en apprend d’avantage sur eux. Il s’agit des protecteurs des remparts Ouest de la cité, très combatifs, ils avaient largement contribués à l’exil des siens. D’après elle, ils sont très puissants. Pourtant, rien ne m’a révélé une telle puissance lors de mon passage chez eux. Mis à part les trois sœurettes, je n’avais pas vu âme qui vive dans l’habitation. En y réfléchissant même le gigantesque hangar vide ne me semblait pas faire référence à une grande puissance, mais plutôt à une richesse évaporée. Elle me propose son aide après m’avoir demandé ce que je pensais du plan qu’elles avaient mis en place. La question m’arrache un léger rictus, elles m’avaient dit tellement peu de choses qu’il était difficile de croire qu’elles ne cachaient rien. Je lève la tête vers elle pour lui répondre.
"Je l'ignore. Elles m'ont dit trop peu de choses. Votre groupe, qui représente-il ?"
"Notre groupe ne représente pas grand monde, j'en ai peur. Nous sommes plus philosophes que groupe politique ou guerrier. Ici... Nous ne faisons rien d'autre que vouer un culte secret à Sithi. Répandre ses valeurs et son amour. Ça n'a jamais rien eu d'autre comme but que de représenter une dernière liberté de penser."
Sithi, encore elle. J’ai l’impression de n’entendre que son nom depuis que je suis arrivé sur Izurith. Entre son cul blanc et ses danseuses je commençais à me dire qu’elle était bien plus présente ici que sur Yuimen.
"Sithi ? Je suis venu ici avec un Sindel qui faisait partie d'un ordre voué à Sithi... Il n'avait pas l'air dénué de talents pour se battre. "
Je fais un geste de la main, chassant cette information sans réel intérêt. Elle m’avait dit elle-même qu’ils n’étaient pas des combattants.
"J'avais dans l'idée de pousser les elfes d'Izurith à se soulever contre le clan qui a le pouvoir."
Le visage de la vieille Sindel s’illumine tout en me demandant s’il y avait des elfes gris sur Yuimen. Je me contente d’hocher la tête pour répondre, la laissant poursuivre pour donner son avis sur le plan.
"C'est... plus facile à dire qu'à faire. Le Clan de la Rose terrorise ses opposants. Peu sont ceux prêts à lui tenir tête, et organiser une rébellion dans ces conditions est extrêmement complexe."
Evidemment, je ne m’attendais pas à ce que ce soit facile. Organiser une rébellion contre le clan de la Rose ici revient à organiser une rébellion contre les Shaakt sur Yuimen. Moins de moyens, de gens. Une inquiétude tenace et constante. Le doute, toujours, que quelqu’un vous balance pour éviter la torture. Mon idée était plutôt de mettre en conflit deux clans puissants pour profiter du chaos engendré.
"Quel est le clan le plus opposé et le plus puissant à la rose ?"
"Les Matriarches Shaakts et les Patriarches sont les seuls dont on connait l'opposition au pouvoir en place. Mais les alternatives qu'ils proposent ne sont guère meilleures."
Je me gratte le crâne. Une guerre civile ne serait pas plus avantageuse, surtout en connaissance de la population titanesque de la cité. Je soupire.
"J'avoue ne pas avoir de solutions en tête avec le peu que je sais..."
Elle admet qu’il serait difficile pour moi de trouver une solution alors que je viens d’arriver. J’ajoute :
"Je peux peut être espérer que parmi vous, quelqu'un a une idée ?"
Elle jette un œil discret vers le Sindel pur race qui n’avait encore rien dit. Celui-ci baisse le regard, alors que la doyenne me répond d’un non hésitant. Le mensonge était tellement gros que je pouvais presque l’attraper au vol. Je me pare d’un sourire amusé devant une tentative tellement mauvaise avant de reprendre la parole :
"D'ordinaire, je suis un elfe prudent. Pas celui qui s'aventure dans une ruelle inconnu avec une inconnue pour y prendre un coup de couteau. Si j'ai pris ce risque c'est parce que j'ai très peu de temps. D'après les Koyabashis, quelques jours avant qu'une catastrophe se produise. Si d'ici là je ne suis pas capable de faire monter une vague de pacifisme visible des humains j'ai pour mission de retourner chez eux avec leur contact présent ici pour le mettre en sécurité. De gré ou de force. Alors je repose la question, est-ce que quelqu'un parmi vous à une idée ?"
Je jette un œil vers le Sindel qui s’apprête à prendre la parole mais il est vite arrêté dans son élan par le regard que lui lance l’ancienne, précisant qu’il n’y a aucune idée qui ne provoquerait pas un énorme chaos. C’est ce que je cherchais mais je ne voulais pas insister, si je voulais en savoir plus, je devais m’adresser directement au Sindel. Je pose un long regard sur lui avant de plonger mon regard dans celui de la dirigeante du groupe quand elle me demande qui est ce fameux contact. Quand je lui réponds qu’il s’agit de l’héritière du clan de la Rose, elle écarquille les yeux.
"Aënalia complote contre sa mère ?"
J’affiche un sourire sarcastique.
"Moins fort, on va nous entendre. Elle est favorable à une paix avec les humains. Mon premier plan était d'assassiner sa mère pour qu'elle hérite du clan et qu'elle puisse se servir de son influence pour apporter la paix. Elle était d'accord mais j'avais besoin de temps. Assassiner une personne de ce rang ne s'improvise pas. Elle n'aurait pas du sang humain dans les veines cette jeune elfe ?"
"Assassiner sa mère ? Elle était... réellement d'accord avec ça ? Et... Du sang humain ? Personne ne l'a jamais vue, alors je ne peux l'affirmer, mais cela m'étonnerait ; je ne vois pas par quel miracle, elle n'a qu'une cinquantaine d'années."
Personne ne l’avais jamais vu. C’était une surprise. Pourtant elle était venue nous accueillir aux portes de la cité. Elle était donc passée dans les toilettes de cette taverne. Ce n’est pas que personne ne l’avais jamais vue. Mais plutôt que personne ne savait à quoi elle ressemblait. Je garde un air surpris en précisant ma pensée.
"Elle a la peau blanche, elle ressemble aux elfes blancs de mon monde. Je me demandais ce qui était plus pale qu'un Sindel sur ce monde à part les humains."
Elle plisse les yeux.
"C'est... Effectivement étrange. Mais si la propre héritière de Mylaëna est de notre côté, peut-être y a-t-il quelque chose que nous pourrons faire."
"M'aider à organiser l'assassinat par exemple ? Ou autre chose vous vient en tête ?"
"Nous ne pouvons pas simplement assassiner Mylaëna. Même si sa fille régnait à sa place, elle ne serait jamais que la porte-parole de la Matriarche Suprême, et une cible facile pour d'autres complotistes que nous. Sans compter que son influence serait trop dérisoire pour réussir à imposer quoi que ce soit aux hautes sphères de notre ville."
"Que proposez-vous alors ? De s'en prendre à la matriarche suprême ?"
Dis-je en plaisantant. Je savais bien que ça ne pouvait pas être aussi facile. Elle affiche un demi sourire en avouant que c’était peine perdue. J’hausse un sourcil, attendant qu’elle continue. Je voyais bien qu’elle avait une idée derrière la tête. Mais comme tous sur cette planète, il fallait venir les chercher au fond des narines.
"Comme je le disais, donc, je suis certaine qu'une idée nous viendra plus tard. En attendant, penses-tu pouvoir organiser une rencontre entre la fille de Mylaëna et moi-même ?"
J’hausse un sourcil. Nous n’avions pas convenu d’un rendez-vous et la retrouver dans une cité que je ne connaissais pas allait être difficile, quant à la convaincre de discuter avec des personnes qu’elle ne connaissait pas, je pensais être en mesure d’y arriver.
"Je peux essayer si j'arrive à la retrouver. Mais n'oubliez pas que nous avons peu de temps. De quoi voulez-vous discuter ?"
"Des informations qu'elle pourrait nous fournir. Pour réfléchir à un plan ensemble."
Je reste silencieux un instant, réfléchissant à la manière de retrouver une elfe dans ce souterrain. J’hoche finalement la tête.
" J’ai besoin d’un guide pour connaître la cité. "
Je devais absolument connaître les lieux, impossible de se déplacer au gré des couloirs dans une cité infestée de femelles Shaakt. Comme je m’y attendais, la tavernière se propose pour m’accompagner. Je hausse les épaules avant de me lever, prêt à partir mais avant, j’adresse un regard à l’elfe qui m’a sauvée.
"Je te remercie pour ton aide. Tu es sans doute la première elfe qui me sauve la vie pour ne pas m’infliger de plus grave blessure par la suite. En ça, je te suis reconnaissant. "
((environ 1300 mots))
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