Le trajet se fit à la vitesse des deux femelles blessées, Kerkan et moi étant les béquilles de secours. Nous sommes sortis du brouillard étrange au grand soulagement de Glaya, et du mien aussi. Plus nous nous rapprochions des ruines et plus elles me semblaient ressembler à celle que nous avions traversé pour sauver la magicienne. Je me suis remémoré les étranges magies qui circulaient dedans lorsque j'y suis allé pour la première fois et il était fort probable qu'elles soient toujours présentes, voir même plus nombreuses.
A une distance suffisante je pus distinguer Lind sur le toit d'un bâtiment. Il semblait étudier la ville de cette hauteur.

(Il fait un bon éclaireur, je dois au moins lui reconnaître ça.)

Faisant signe aux autres pour qu'ils aperçoivent notre compagnon, je continuais la marche avec Netare et suivis de Kerkan qui aidait Glaya. Lorsque nous arrivâmes au niveau de l'Hiniön, qui était descendu de son perchoir, un cri horriblement aigu sorti du brouillard derrière nous. J'ai entendu beaucoup de cris d'animaux qui semblaient effrayant alors que la plupart du temps ce ne sont que des façons de se parler entre eux. Mais ce cri-là me fis retenir ma respiration pendant quelques secondes. Par réflexe je pris une hache avec ma main libre et jeta un regard par-dessus mon épaule pour voir ce qui allait sortir de la brume. Je fus rassuré de voir qu'aucune meute de monstre ne nous fonçait dessus mais je fus tout de même surpris de voir que le brouillard devenait de plus en plus compact et, à mes yeux, de plus en plus grand.

Glaya aussi fut secoué par l'espèce de clameur venant de l'épaisse fumée :

"On aurait dit un loup géant des montagnes... J'ai toujours cru que leur cri ressemblait à ça... Ne traînons pas."

(Un loup géant ? Si c'est le cas espérons que ce soit un loup solitaire, une meute n'hésitera pas à attaquer un groupe à moitié estropié.)

Quelques souvenirs de parties de chasses joyeuses et en groupe me revinrent alors et je pouvais être certains qu'une meute de ce type aurait la même joie à nous traquer.

« Hâtez-vous, j’ai repéré un Temple à l’Est, non loin d’ici. Nous y serons à l’aise pour nous remettre, et pourrons nous organiser pour la suite. Pressez le pas et cessez de geindre, nous ne sommes pas seuls. Soyons des ombres furtives. »

Tournant les yeux vers Lindeniel je sentais, peut-être à tord, qu'il ne voulait pas savoir d'où venait le cri et pourquoi. Cette volonté de se dépêcher discrètement n'était-elle pas une preuve qu'il avait peur ? Ce serait bien la première fois que je voyais Lind affiché la moindre émotion, autre que le mépris.

(Peut-être que lui aussi il sait ce que c'est que d'être chassé. Peut-être que sa vie n'était pas aussi calme que je ne le crois. Ce serais même possible que son air hautain lui vienne d'une vie de souffrances diverses aux mains de différentes races.)

Voyant que Glaya pressait le pas, emmenant Kerkan avec elle, je me sortis de mes conclusions hâtive et la suivis avec Netare qui était toujours dans les vapes.

"Kerkan, Krochar, nous étions bien dans un temple lorsque vous m'avez sorti de mon rêve cette nuit ?"

"Oui effectivement, il y a de fortes chances que ce soit les mêmes ruines et donc le même temple que la nuit dernière. Lind a raison, on doit être prudent."

Prenant la direction de l'est nous avancions en suivant Lind qui avait pris la tête du groupe. Le chemin que nous empruntions étais dallé mais le sol avait subi les affres du temps et très certainement d'autres forces destructrices. La plupart des murs étaient partiellement ou totalement effondrés et je ne vis aucun meuble.
Par contre cette ville était bourré de pièges magiques :
En posant ma main sur un mur sans faire attention ma paume fut brûler à l'instant. Retirant ma main automatiquement je pus voir que la brique du mur était rouge-orangé, comme du feu solide. Plus loin mon pied se posa sur une dalle noire qui était en faite un trou à la profondeur inconnue. Si je n'avais pas tenu Netare à ce moment-là j'aurais très certainement trébuché douloureusement. Peu après une brise d'apparence légère vint caresser mon torse et je fus stoppé net. La puissance du vent était telle que je ne pouvais que résister pour ne pas être projeté en arrière. Mes amis ne sentirent pas ce phénomène et ne comprirent pas pourquoi je m'étais arrêté. M'excusant, je repris la marche en me forçant à faire attention à tout ce qui m'entourait.

(Réveille-toi Krochar ! Cet endroit est une gigantesque chausse-trappe si on n'agit pas prudemment.)

Me souvenant que la personne qui se soutenait à mon épaule était une spécialiste de cet environnement je me disais qu'elle pourrait très certainement nous en dire plus lorsqu'elle se sera reposée au temple.

(Et ça me permettra de me reposer moi aussi, j'ai de plus en plus de mal à la soutenir.)

Avançant tout en soutenant la folle aux cheveux roux, je devais supporter un second poids comme si le mien n'était pas suffisant. Non, il n'y avait pas à dire, ces fainéants commençaient à me taper sur le système. En plus de ça, nous venions de recruter la liseuse de rêve qui allait sans aucun doute nous ralentir une nouvelle fois qu'elle était aussi frêle qu'un chaton nouveau né. Bien entendu, ce n'était pas comme si nous nous trouvions dans le monde onirique où les pires créatures que le commun des mortels pouvait imaginer devenaient ici réelles. Nous n'avions pas besoin de ça, surtout qu'un nouveau bruit terrible venait de retentir une fois de plus. Qu'était-ce ? Un dragon ? Un tigre des montagnes ? Ou autre chose de plus inquiétant ? Glaya eut une pseudo réponse à mes questionnements : il semblerait que ce soit un loup des montagnes, le genre de bestiole que l'on préférait voir se décomposer dans un ravin plutôt que sur notre chemin.

«Il ne nous manquait plus que ça ! Un loup maintenant !» lançai-je exaspéré.

Mais les paroles de Lindeniel eurent plus d'impact sur Glaya que sur moi. En effet, même si nous étions tous exténués, les lieux semblaient déserts exceptés quelques bruits étranges ci et là. Dans tous les cas, aucune menace imminente ne transparaissait, alors autant prendre notre temps ! De toute façon, nous n'étions pas en mesure de nous battre, donc autant ne pas penser à une éventuelle rencontre qui ferait de nous de la chair à saucisses ! Et puis, nous rendre dans ce temple nous mettrait en sécurité, personne n'avait dû y rester vu que leur chef avait péri ou plutôt avait disparu dans un tourbillon magique complètement étrange.

«Oui, nous étions bien dans un temple. Au moins nous serons en sécurité là-bas, le sorcier qui dirigeait les opérations a disparu...»

Rapidement, nous primes donc la direction de ce temple, un lieu déjà visité qui devait se trouver dans un état lamentable vu l'événement qui s'y était déroulé. Bien entendu nous allions une nouvelle fois dormir dans un lieu totalement dépourvu de tout confort et mon jeune dos allait encore en pâtir. Vivement que nous retournions à la réalité, dès que je le pourrais je me payerai un véritable repos dans une auberge réservée aux nobles ! Et s'ils ne m'acceptent pas, je les arroserai à coup de jets d'eau ! Cet instant serait pour moi un des plus beaux et des plus doux de ma vie, jamais je n'avais autant espéré me détendre et décrispé mes muscles.

(Tiens ! Nous voilà encore dans le monde où étrange rime avec bêtise...)

En effet sur la route, des éléments plutôt mystérieux reflétaient notre progression dans le monde des rêves. À un moment, j'aperçus des cristaux de glace flottaient dans les airs comme si l'eau s'était soudain gelée à un endroit, défiant les lois de la physique pour rester figés à jamais à cet endroit précis. Des végétaux tout aussi énigmatiques maculaient le sol. Certains avaient les feuilles rouges et les pétales verts comme si les couleurs naturelles avaient été inversées par une quelconque magie. Ici, tout était différent du monde que l'on connaissait, les Dieux avaient sans doute usé de leurs dons pour créer un lieu où les êtres vivants pouvaient laisser libre cours à leurs envies.
«Savez-vous pourquoi tout est si différent de ce que l'on connait ?» demandai-je à la liseuse de rêves.

À peine l’elfe agile fut-il descendu de sa position élevée pour rejoindre les mécréants qui formaient ses suivants qu’un cri aigu perça la brume avec fureur, faisant sursauter les personnes présentes. Lindeniel, lui, se contenta de dresser un regard sévère vers le brouillard d’où il provenait, sans en percevoir clairement la forme. Glaya assura qu’il s’agissait d’un loup géant des montagnes, et même si c’était sans doute une supposition hasardeuse, cela eut son petit effet sur les membres de la troupe, qui décidèrent de décamper aussitôt, suivant les conseils avisés de l’Hinion pur.

Ils partirent donc dans la direction indiquée par l’elfe, qui les mena tambour battant en prenant une fois de plus la tête de leur expédition, en suivant ce que ses observations en hauteur lui avaient laissé comme souvenirs.

Le voyage se passa assez paisiblement, bien qu’ils fussent pressés de rejoindre ce temple prometteur d’asile et de protection. Les seules rencontres étranges qu’ils purent faire étaient certainement d’ordre magique. Ou du moins c’était ce que Lindeniel conclut des quelques étrangetés colorées de cette cité en ruine. La première manifestation qu’il croisa du regard fut une pierre, au sein d’un mur, qui était plus sombre, plus brune que les autres, comme si elle revenait à la terre qui l’avait vue naître. Des lianes verdâtres en sortaient, et s’entortillaient sur la façade en ruine du bâtiment qui les voyaient croître.

La seconde fut une sculpture en bas-relief sur une devanture de maison autrefois noble, sans doute. Dessus, un des personnages représenté était comme peint en noir, ou recouvert de charbon de bois. Ses doigts tendus semblaient saigner, tout comme ses yeux et sa bouche, sur un visage représentant la souffrance. En face, sur une autre devanture, un autre personnage fort ressemblant au premier semblait nimbé d’une paisible lumière qui paraissait émaner de la pierre elle-même pour rayonner alentours. Ses traits étaient calmes et paisibles.

Plus loin encore, alors qu’ils approchaient du temple, Krochar sembla se brûler à un mur qui avait une apparence somme toute assez banale, s’il n’était pas légèrement rougeoyant par endroits, et qu’il ne modifiait pas l’air le surplombant par la chaleur intense qu’il dégageait. Quelques autres indices furent encore notés, comme des dalles de rues qui répandaient un liquide aqueux légèrement bleuté, une fleur entièrement congelée, défiant les âges, ou un courant d’air étrange sortant d’un trou situé dans le sol.

Et enfin, ils arrivèrent en vue du temple. Sans hésiter, Lindeniel s’avança. Mais son apparente assurance était doublée d’une prudence évidente : son regard furetait partout alentours à la recherche d’éventuels adversaires dissimulés…

Une fois arrivés au temple, vous découvrez un édifice à l'architecture très sobre, aux grandes colonnades et aux vitraux ternes. Aucun symbole ne pourrait mettre le nom d'un dieu sur le culte qui y résidait, comme si les lieux avait été pillés.

L'atmosphère à l'intérieur est humide et pesante tandis que les lumières semblent faibles et grises. Néanmoins, l'endroit est calme et vide de toute présence vive. Tellement calme que le silence épais est tranché à chaque instant par l'écho de vos pas sur le dallage de marbre.

Les rangées de bancs ont eu une vie difficile et certains sont brisés, d'autres renversés ou projetés contre les murs. Il est clair qu'il y a eu un combat récemment. Trois cadavres de garzoks répandent leur sang sombre non loin du choeur où se trouve un étrange sceau tracé au sol, innondé par une masse neigeuse presque fondue.

C'est assurèment ici qu'a eu lieu la scène de délivrance de Glaya cette nuit.

Les deux éclopés rejoignent avec célérité un banc pour se reposer avec soulagement.
Glaya détourna vite la tête du centre dévasté du temple en murmurant "Je ne veux plus de rêves comme ça."

Netare, de son coté, commence à aller mieux et elle entreprend alors de répondre à la curiosité de Kerkan.

"Tout semble différent dans ce monde, mais il était pour ainsi dire identique au notre il y a des milliers d'années. Malheureusement, les fluides parcourant ce monde s'intensifièrent pour une raison que je ne connais pas. Le résultat est que la magie fut de plus en plus présente ici, tant et si bien qu'elle dévasta toute civilisation ou presque. la moindre pensée pouvant déclencher un ouragan et les vents fluidiques manifestaient des irruptions élémentaires subites un peu partout. Par exemple, le mur touché par Krochar a du chauffer un peu sous l'action du soleil d'été et cela a mobilisé des fluides de feu qui ont empreignés les pierres de manière permanente, les chauffant sans cesse. Il faut donc se parer à tout car la magie est complétement imprévisible."

Finalement la traversée jusqu'au temple se fit sans plus de problème et l'entré dans celui-ci se fit tout aussi facilement. Le temple n'avait apparemment aucune divinité précise et il y reignait un calme à la fois appaisant et inquiétant. Glaya et Netare s'empréssèrent de s'asseoir sur un banc tandis que j'appercevait les cadavres de trois Garzoks quelques mètres plus loin, entourés de bancs détruis ou renversés. Il m'était assez facile de reconnaître ces trois adversaires que j'avais affrontés tantôt lorsque nous avions sauvé Glaya.

(C'est donc bel et bien le même temple que celui dans lequel nous nous étions battu.)

Alors que j'observais les restes du combat, m'attendant presque à trouver mon bras coupé par terre vide de sang, Netare se sentit assez bien pour répondre à la question de Kerkan sur ce monde.

"Tout semble différent dans ce monde, mais il était pour ainsi dire identique au notre il y a des milliers d'années. Malheureusement, les fluides parcourant ce monde s'intensifièrent pour une raison que je ne connais pas. Le résultat est que la magie fut de plus en plus présente ici, tant et si bien qu'elle dévasta toute civilisation ou presque. la moindre pensée pouvant déclencher un ouragan et les vents fluidiques manifestaient des irruptions élémentaires subites un peu partout. Par exemple, le mur touché par Krochar a du chauffer un peu sous l'action du soleil d'été et cela a mobilisé des fluides de feu qui ont empreignés les pierres de manière permanente, les chauffant sans cesse. Il faut donc se parer à tout car la magie est complétement imprévisible."

"Eh ben ! Ca va être amusant de se battre dans ces conditions dis-donc. Chaque coup d'épée va être un risque de voir débouler la magie en trombe, c'est rassurant."

Tout en pensant à haute-voix je me rapprochais des trois cadavres pour voir qu'ils se trouvaient proche d'un symbole étrange tracé au sol. Ce signe était recouvers de neige et d'eau et cela le rendait plus difficile à discerner mais je devinais qu'il s'agissait du sceau que le magicien des glaces avait utilisé pour emprisonner Glaya.

(Cela nous sera peut-être utile pour la suite. Et d'ailleurs, en parlant de la suite…)

"Et maintenant ?"

Aucun adversaire n’était présent là, hormis l’apparence délabrée du temple que l’elfe pur avait lui-même choisi comme abri. De ternes vitraux ponctuaient une architecture basique et répétitive formée de colonnes alignées sans la moindre originalité, avec un classicisme vaste dans la taille, mais réduit dans l’art. Et ce désœuvrement se lisait d’autant plus dans le manque évident de symbole religieux : aucune statue, aucune dorure, aucune peinture murale ne permettait d’identifier le culte qui était pratiqué là avant la ruine de l’endroit. Comme si tout avait été effacé, pillé, volé, retourné et oublié dans les tréfonds du temps. Zewen seul savait ce qu’avait été autrefois cette cité, ce bâtiment en l’honneur d’un divin vénéré par la bande de sagouins qui vivaient là avant de se faire décimer jusqu’au dernier par un ennemi encore inconnu jusqu’ici.

L’équipée avança, suivant Lindeniel, vers cette bâtisse sinistre dans sa composition, afin d’y pénétrer sans plus attendre, pour se mettre à l’abri de la brume courante qui avait failli les rattraper en dehors de la cité. Les salles intérieures respectaient l’image flétrie que rendait la façade de la construction : une atmosphère lourde, humide, un mobilier délabré, désorganisé, détruit même. L’éclat de la vie avait depuis longtemps abandonné l’endroit, tout y était terne et éteint. Le sol de marbre résonnait sous les pas de la troupe qui entrait là, marquant chacun de leurs mouvements dans l’acoustique affreusement mauvaise de la salle pleine de silence.

Si la vie est absente, la mort est toutefois bien là : trois cadavres putrescents d’orques défunts aux entailles profondes régurgitant les dernières gouttes d’un sang noirâtre et puant s’entassent autour d’un symbole magique inscrit sur le sol, et recouvert de neige fondue. Lindeniel porta une main gantée devant sa bouche pourvue d’un rictus écœuré. Ces cadavres qui n’étaient pas de son fait étaient une présence tout à fait indésirable à sa personne, et remettait clairement en cause la sécurité de l’endroit. Pourtant, Zewen l’avait poussé à prendre ce choix, et c’était certainement pour une raison précise. IL s’y conformait donc en silence, détournant le regard des corps défunts pour le porter sur les deux blessées du groupe : Glaya et Netare étaient assises sur un banc, et discutaient avec les deux mâles infirmes d’esprit de l’aventure.

La Liseuse de rêves expliquait à l’enchanteur aux cheveux bleus. Elle affirmait une présence constante de magie dans ce monde. Lindeniel ne comprenait rien au domaine arcanique, qu’il considérait comme un art vain et non avenu, qui se perdait en d’inutiles complications théoriques qui ne valaient rien de bon. Pourtant, l’éventualité d’une puissance incommensurable et nouvelle lui plut, et il se vit mentalement manier des fluides, les enfermer en son pouvoir, et dévaster tout le vivant qui n’était digne de lui.

Mais l’heure n’était pas à de tels propos. Et l’amusement de Krochar face à cet état de fait l’irrita. Cet orque belliqueux ne pensait qu’au combat. Et sa sottise était si évidente qu’il était pourvu de toute initiative. Il n’était guère étonnant qu’il ait accepté, voilà un bon moment, que Lindeniel soit sa tête et son esprit pensant. Lorsqu’il demanda quoi faire, la réponse de l’elfe fut rapide et sans la moindre hésitation :

« Attendons une venue. Qu’elle soit amie ou ennemie. Notre arrivée en ce monde n’est pas passée inaperçue, et au lieu de chercher inutilement une direction que nous ne connaissons pas, patientons-ici que ceux que nous cherchons nous trouvent. »

Ça permettrait aussi au bétail malmené de se reposer pour ne plus ralentir le groupe. Et s’il le pensa très fort, il n’en dit mot…

Glaya acquiesce mollement tandis que Netare semble attendre avec intérêt la suite. Comme pour confirmer les dires de Lindeniel, elle s'empresse d'ajouter.

"En dehors des garzoks ennemis, nous pouvons croiser des dormeurs, même si j'en doute dans ce coin. Il faudrait qu'ils dorment proches des mines où nous étions et il doit faire encore jour sur Yuimen. Le plus probable, c'est que nous croisions des istaalis, les êtres vivant dans ce monde, mais ils sont très rares hors de leur ville forteresse protégée des affres magiques qui ont lieu ici."

Un peu reposée, elle se lève pour se diriger vers l'elfe pour lui parler à voix basse, d'un air mutin.

"En parlant des folies qui ont lieu ici, je ne sais pas pourquoi votre esprit tend tellement à provoquer des troupeaux de vaches, mais je vous demanderais d'éviter de trop vous laissez aller à ces pensées. J'ai un mal de chien à éviter que le temple ne devienne un tourbillon chaotique de manifestations bizarres."

Depuis quelques secondes, vous avez l'impression qu'un murmure ambiant nait progressivement, semblables à des psalmodies, gonflant lentement. Plus bizarre, Glaya chantonne de manière incompréhensible sur le même rythme que le murmure général.

Une fois entré dans le temple, je crus reconnaître les lieux au vu des bancs délabrés et brisés qui gisaient sur le sol fatigué. Apparemment, c'était ici que nous avions combattu nos ennemis pour sortir Glaya de la tempête de neige. Heureusement que nous avions pu pénétrer dans ce monde car sans notre aide elle ne serait à l'heure actuelle qu'un vulgaire cadavre. En attendant, je ne compris pas pour quelle absurde raison Glaya avait été choisie pour être emprisonnée dans son rêve ? Pourquoi pas moi ou une autre personne ? Était-elle vraiment plus puissante que nous ? Nos adversaires craignaient-ils donc quelque chose de cette folle ? Enfin ! Pour l'instant, je ne voyais pas vraiment en quoi elle pouvait représenter une menace, toujours blessée, elle s'assit rapidement sur un des bancs pour se reposer.

(Hé oui ! Il faut encore s'asseoir... Elle est toujours aussi affaiblie, elle commence vraiment à être un poids...)

De son côté, la liseuse de rêves commença à m'expliquer ce qu'elle savait de ce monde étrange. Apparemment une force mystérieuse avait accru la puissance des fluides ce qui avait tout terrassé. Dès lors, la magie se manifestait de manière plutôt chaotique et n'allait sans doute pas nous laisser de repos. Déjà que notre voyage était plus que fatigant, il allait falloir se parer à de nouvelles forces qui pouvaient apparaître sans que l'on le veuille...
«Ça va être amusant...» soufflai-je.

Néanmoins, ce temple était une bonne protection pour l'instant et je déposai mon sac sur le sol, priant Moura pour que mes affaires soient protégées contre les forces maléfiques qui parcouraient ce monde. Malgré tout, j'étais exténué, cette journée n'avait pas été de tout repos et je commençai à la sentir peser sur mes épaules. Il fallait bien avouer que je ne m'étais pas préparé à une aussi dure expédition. J'ignorais même si je me serais porté volontaire pour ce voyage si j'avais su que j'allais devoir autant marcher... Mes pieds étaient en compote et je ne préférais pas parler de mes mollets qui avaient du se liquéfier... Après tout je n'étais qu'un jeune mage qui ne savait pas ce qu'était le mot «sport»... Enfin, jusqu'à présent...

Lindeniel proposa d'attendre nos ennemis ici, ce qui nous permettrait de ne pas nous fatiguer outre mesure et ce qui me convenait parfaitement par la même occasion. J'en avais assez de courir après nos ennemis toujours aussi violents. Nous étions protégés par un temple et en plus de ça, le sorcier qui avait agi en ce lieu n'était plus de ce monde grâce à ma magnifique prestation nocturne. Seules quelques traces restaient dessinées sur les dalles, mais elles n'étaient plus d'aucune utilité à présent. J'étais si heureux d'avoir vaincu un de ces partisans des forces nécrotiques ! Mais lorsque j'entendis Netare parler d'une population nommée les «istaalis», je fis tout de suite le rapprochement avec la jeune fille qui nous avait aidés.
«Je pense que certains d'entre eux ne sont pas retranchés dans leur cité protégée. D'après ce que nous avons pu voir Krochar et moi, une jeune fille doit se balader dans les parages et cherche à nous aider.»

Néanmoins, au fur et à mesure, un chant mystique se mit à naître des murs du temple comme si un chœur lointain chantonnait. Mais personne... Seule notre équipe était présente ce qui ne m'enchantait guère. Pourtant la Folle aux cheveux flamboyants murmurait aussi la même mélodie.
«Que fait-elle ? Veut-elle déchaîner les foudres de la magie environnante ?»

Lindeniel proposa de rester sur place pour attendre qu'il nous arrive quelque chose. J'étais très étonné qu'un type qui jusqu'à maintenant à eu une attitude de chasseur – et une attitude efficace bien que solitaire – décide maintenant de devenir une proie.

(Attendre qu'on se prenne quelque chose sur le coin de la tronche n'est pas une bonne idée. C'est le meilleur moyen d'être pris au dépourvus.)

Netare donna son avis :

"En dehors des garzoks ennemis, nous pouvons croiser des dormeurs, même si j'en doute dans ce coin. Il faudrait qu'ils dorment proches des mines où nous étions et il doit faire encore jour sur Yuimen. Le plus probable, c'est que nous croisions des istaalis, les êtres vivant dans ce monde, mais ils sont très rares hors de leur ville forteresse protégée des affres magiques qui ont lieu ici."

«Je pense que certains d'entre eux ne sont pas retranchés dans leur cité protégée. D'après ce que nous avons pu voir Krochar et moi, une jeune fille doit se balader dans les parages et cherche à nous aider.»

(Ah parce que y'a carrément des êtres qui vivent ici ?! Moi qui pensait que la jeune fille était une autre maître rêveuse. Et les rêveurs peuvent s'en mêler ?! Mais ça complique tout ça, faut être vraiment prêt à tout et n'importe quoi !)

"J'apprécie de moins en moins cet endroit."

Je n'ai jamais apprécié la magie, sous quelque forme que ce soit. Elle peut être utile lorsqu'elle est maniée par un allié mais sinon c'est toujours une source d'ennuis. Potty disait qu'il ne fallait pas en avoir peur, qu'elle pouvait sentir notre peur et l'utiliser. En ce moment chaque parcelle de mon être essayé de rester concentré sur notre but et de ne pas me laisser submerger par les dizaines de créatures et sortilèges qui hantent parfois mes cauchemars.

(En parlant de sortilège : c'est quoi ce bruit ?)

Je pouvais distinctement entendre des paroles prononcées dans un rythme qui les faisaient ressemblées à un chant. Je regardais autour de moi pour trouver la source de ce maléfices et je me suis même mis à regarder en l'air, au cas où nos ennemis puissent voler. Car pour moi ça ne pouvais être que des ennemis, les seules alliés que nous ayons ici étant la jeune fille étrange. Les voix étaient de plus en plus fortes et l'une d'entre elle m'était familière.

«Que fait-elle ? Veut-elle déchaîner les foudres de la magie environnantes ?»

En me retournant vers Kerkan pour comprendre sa phrase je vis que Glaya était en train de murmurer des paroles sur le même rythme que les voix maléfiques.

(Merde ! Elle est folle ?! Ou alors elle est hypnotisée. Peut-être que les paroles l'oblige à lancer un sort !)

En la voyant le regard presque vide qu'elle affichait, je me suis demandé si c'était le cas. Mais son expression a toujours été difficile à décrire alors je préférais prévenir avant de guérir. A grands pas je me suis mis juste devant elle pour parler par-dessus le chant magique qui devenait de plus en plus fort :

"Glaya ! On ne peut pas se permettre que tu lance un sort, même si c'est un sort bénéfique ! Arrête ou je vais être obligé de t'assommer !"

Ce n'était pas des menaces en l'air mais j'espérais de tout mon cœur ne pas avoir à le montrer, cette pauvre humaine avait déjà subis suffisamment de peine.

Netare, intéressée par la réponse de Kerkan commence à lui répondre avant que ses mots se perdent dans sa gorge lorsque l'attention générale se tourne vers les murmures de Glaya.

"C'est vrai ? Une Istaali essaye de nous aider ? Nous av..."

La litanie doucereuse est de plus en plus envahissante et seules les menaces de Krochar éveille la conscience effacée de la rousse à l'esprit dérangé. Comme sortant d'un rêve, elle se tourne vers lui sans comprendre.

"Les fidèles... dévastée... un sacrific... mal tourné... hécatombe..."

La paladine semble de plus en plus folle, le monde des rêves n'arrangeant rien à son état. On dirait un enfant traumatisé par un acte de violence dont il a été témoin. Au moins, elle s'est arrêtée de psalmodier.

Malencontresement, il semble être trop tard. Des silhouettes floues et translucides s'agenouillent de ci de là entre les bancs avant de s'estomper. Les chants religieux aux sonorités sinistres résonnent plus clairement et Kerkan, en plein dans l'allée centrale, sent un ombre le frôler. Il n'y a qu'une volute écarlate aux formes irréalistes suggérant une silhouette aux blessures béantes. L'aquamancien lui, entend des cris de douleur dans sa tête et des images de tortures lui traversent l'esprit. Cet endroit sent la mort et le mal à plein nez. Heureusement, son fluide lumineux résonne du plus profond de son être, comme un éclat de vie qui veut garder sa place au milieu de cette noirceur.


Lindeniel, toujours à l'affut d'une nouvelle présence, voit alors au niveau du porche une silhouette à contre-jour passant la tête pour regarder à l'intérieur du temple prudemment.

La liseuse de rêves confirma les dires de l’elfe pur, qui n’étaient de toute façon que la plus blanche des vérités, puisqu’elle sortait de sa bouche évocatrice des fluides de Zewen, de ceux qui créèrent le monde à son image. Elle reprécisa quelques détails qui parurent bien futiles à Lindeniel, comme si elle voulait étendre sans but son savoir sur ce monde où aucun d’entre eux n’était jamais venu plus d’une nuit… sans même s’en rendre compte. Enfin, l’elfe nota tout de même qu’ils pouvaient à tout instant croiser des orques, logiquement, mais aussi des dormeurs éparpillés, et des istaalis, des êtres habitant ce monde étrange et onirique. Elle les décrit comme des pleutres vivant dans des cités protégées des effets magiques incontrôlables de cette cité. Des incapables qui n’avaient pas su dresser le monde dans lequel ils vivaient pour en tirer parti, et qui se cloitraient derrière d’illusoires protections. Lindeniel, sans même en avoir rencontré, les avait déjà en horreur. Des lâches.

Mais le plus surprenant dans tout ceci fut qu’elle s’approcha de Lindeniel pour lui murmurer des propos abracadabrantesques qui insultèrent presque l’elfe dans leur nature intrusive de ses propres pensées. Oh oui, il finit de penser à des bestiaux bovins et répugnants, pour ne plus penser qu’à fermer son esprit à toute invasion de ce type, et repousser cette liseuse qui se croyait permis bien plus qu’elle ne devrait.

En même temps qu’elle avait parlé, l’elfe avait noté la présence de chants marmonnés dans la salle, comme une ancienne psalmodie revenant des temps oubliés. Des vaches ? Elles paraissaient bien inoffensives face à des fantômes des temps anciens. Lindeniel eut un frisson en imaginant que son père eut pu être l’un d’eux. Kerkan, de son côté, nota que Glaya prenait une part active dans ses chants, mais il fallut attendre l’intervention musclée de Krochar pour qu’elle cesse de chantonner. Pas pour mieux, cependant. Après le chant vint le tour de la prophétie ténébreuse et inquiétante, qui parlait de fidèles sacrifiés, d’hécatombes et autres incidents. Elle était de plus en plus frappée, la rousse qu’il avait fait l’erreur de comparer à une envoyée de son divin frangin.

Alors, des silhouettes translucides apparurent, sur l’allée centrale, sur les bancs, s’agenouillant avant de disparaitre et de rejoindre les ombres. Et puis, surtout, une présence bien plus distincte, près du porche. Une ombre nettement plus vivante, qui tentait de les épier discrètement. En vain. Sa voix trancha la mélopée des chants clairs.

« Silence !! Nous ne sommes plus seuls… »

Son doigt tendu vers la porte indiquait la silhouette à moitié dissimulée. D’une voix autoritaire, il poursuivit.

« Entrez, et présentez-vous à nous, qui que vous soyez. »

Prudent, il jetait tout de même un regard aux fantômes, au cas où ils seraient plus offensifs qu’il n’y paraissait d’un premier abord.

Lancer des menaces peut servir dans beaucoup de situation mais je ne m'attendais pas à l'utiliser pour arrêter un sortilège. Mais cependant il semblait que c'était le cas : Glaya fut comme secoué hors de sa transe et me regarda d'un air incrédule :

"Les fidèles... dévastée... un sacrific... mal tourné... hécatombe..."

(Elle devient de plus en plus dérangé. Si ce qu'a dit Netare sur la magie qui s'actionne selon nos pensé, on risque de gros ennuis.)

Mais maintenant que j'avais stoppé la magicienne dans son incantation je ne pouvais pas me résoudre à l'assomer pour qu'elle ne pense plus à rien. De plus rien ne me prouvait que cela allait vraiment empêcher la magie d'atteindre son esprit, même endormis.
J'ai levé la tête pour vérifier que le mal n'avait pas déjà été fait et je vis que des sortes de présences fantomatiques apparaissaient et disparaissaient. Les paroles magiques ne s'étaient toujours pas tu ce qui me prouvait que Glaya était sous leur influence, et pas l'inverse.

(Bon, je le sens mal et ça va très certainement empirer. Il faut qu'on…)

« Silence !! Nous ne sommes plus seuls… »

(Ça empire déjà !)

L'avertissement de Lindeniel me fis immédiatement prendre mes haches pour combattre l'intrus. Les paroles magiques et l'ambiance malsaine de se lieu combiné à un combat potentiel tendais mes muscles comme si je me retrouvais en face d'une meute de loup. Je vis que Lind pointait en direction de la porte du temple.

« Entrez, et présentez-vous à nous, qui que vous soyez. »

La silhouette se montre et vous découvrez face à vous une élégante elfe. Ses cheveux sombres encadrent un visage fin aux grands yeux verts. Ses vêtements, bien qu'abimés, sont clairement d'origine noble et sa peau grise est parsemé de couleurs iridescentes variant continuellement. Vous pouvez reconnaitre en elle la dame des rêves que vous avez si souvent aperçu dans les illusions du sommeil.

"Je suis Qualha Odhäar, princesse Istaalienne et fille de Cazlan Odhäar IV. C'est moi qui vous ai contacté dans vos rêves pour que vous veniez régler les choses. Je suis heureuse que vous ayez trouvé la porte."


Glaya la fixe d'un air renfrogné, tandis que Netare la regarde avec des yeux ronds, la découvrant pour la première fois. L'effet de surprise passé, elle se lève pour s'approcher et aller la rejoindre.

"Je suis Netare Yschan et les garzoks d'Oaxaca m'avait capturé pour que je n'interfè..."

Qualha, qui observait attentivement la situation, la coupa nette.

"Plus tard. Il faut sortir d'ici au plus vite. Le culte noir qui s'y tenait il y a des siècles se réveille dangereusement !"

Mêlant l'acte à la parole, elle sortit prestement pour se réfugier plus loin dans la rue, suivie de Netare qui n'hésita pas un instant. Pendant ce temps, les esprits prennaient plus de consistance et des cris de douleur s'entendaient par endroit. La lumière devenait malsaine et le sol se couvrait lentement de l'empoissement qu'un sang trop souvent répandu finit par donner quand il n'est pas lavé.

Glaya, toujours hagare, réagit lentement, mais suivra le groupe.

Évidemment que j'étais sûr de ce que je disais pourquoi me reprenait-elle de cette façon ? Il ne manquerait plus qu'elle ne me fasse pas confiance. Bien ! Dans tous les cas, Glaya était en train de déchaîner un véritable cataclysme en ce lieu étrange et je doutais fort que nous soyons suffisamment nombreux pour lutter contre les formes de la magie en ce monde. Krochar tenta de réveiller Glaya de ses lents et doux psaumes, mais d'une manière un peu brusque, je ne savais pas si ce genre de paroles arrêterait la Rousse ou la forcerait à continuer pour invoquer une puissance qui pourrait contrer la force brute de l'Orque. Déjà qu'elle était folle et éclopée, il ne manquerait plus que l'on doive emmener avec nous un cadavre... Rapidement, elle commença à baragouiner une phrase entrecoupée comme si elle était en train d'avoir une vision. Et bien entendu, toujours pour nous rassurer, elle parlait de cadavres, de sacrifice et d'autres choses tout aussi rassurantes.

(Bon ! Comme d'habitude, où que nous soyons, on ne parle jamais de bouloums sautillant dans une prairie...)

Pour couronner le tout, des volutes étranges et sinistres apparurent un peu partout dans le temple, comme si des fantômes étaient en train de rejoindre le monde des vivants. Cela ne me disait rien qui vaille et préférais m'éloigner de ces créatures fantasmagoriques avant de devenir leur proie. Néanmoins, je ne fus pas assez rapide et une silhouette me frôla, un être réduit en charpie par je ne savais quel terrible maléfice. J'entrevis des plaies fantomatiques qui ne reflétaient rien de bon, mais le pire fut une sorte d'emprise psychique qui faillit me faire tomber à la renverse si je ne m'étais pas accroché à un des bas. Je vis des images monstrueuses, où des hommes étaient en train d'être torturés et tués sans aucune compassion. C'était sans doute le culte immonde de ce temple, un culte où le sang et le mal étaient les maîtres ! La douleur était intense, j'avais l'impression que l'on était en train de planter des centaines d'aiguilles chauffées à blanc dans mon corps tout entier. J'ignorais quelle en était la cause et tentais de lutter avec toutes les forces qui me restaient pour combattre cette sombre magie. Glaya devait sans doute être la cause de ces puissances, elle les avaient réveillées et je commençais à croire que nous allions devoir lutter aussi contre elle. Mais, c'était si difficile, tous ces morts et ces effroyables douleurs me pliaient en deux.

Au fond de moi, je sentis une lumière puissante, bénéfique et apaisante qui pulsait violemment contre cette sinistre magie. Les forces de Gaïa étaient en moi et repoussaient amèrement la magie noire qui m'entourait. Je devais profiter de ce répit pour fuir ces puissances obscures. Je me rapprochai de mes compagnons d'aventure comme pour essayer de trouver un réconfort parmi eux.
«Il faut... ça fait atrocement mal... faire quelque chose...» réussis-je à murmurer sans grand succès.

Dans mon combat intérieur, je vis entrer une personne dont je me rappelais si bien. Ces yeux verts ne pouvaient appartenir à une seule personne, c'était la dame des rêves. C'était une elfe, mais sa peau était étrange et changeait de couleur à chaque instant. La pauvre devait lutter pour ne pas périr dans ce monde des rêves, ces vêtements étaient rafistolés par endroit, mais ils avaient dû être beaux auparavant. Je l'entendis parler, mais sa voix me parvenait comme un murmure, les maux m'envahissaient et cherchaient sans doute à m'assassiner. Je résistais tant bien que mal, bien que ceci soit de plus en plus difficile. Pourtant, c'était elle qui nous avait faits venir ici et pour l'instant elle était pour moi la seule chance de m'en sortir. Elle nous demandait de sortir de ce lieux maudit et coupa même la liseuse de rêves. Oui, il fallait sortir d'ici au plus vite avant que le mal nous détruise ! Je suivis donc le groupe en vacillant, délaissant derrière moi le mal qui tentait pourtant de me poursuivre à l'extérieur. Plus je m'éloignais, mieux je me sentais. Mais, j'étais terrifié par ces êtres démoniaques qui avaient essayé de me voler mon âme. Peut-être la magie blanche les avait attirés jusqu'à moi ? Je n'en saurais sans doute jamais rien.
«Qu'était-ce donc ? J'ai bien cru... que j'allais y passer...»

Sous les menaces impérieuses et sous-jacentes de l’elfe si parfait que nul ne pouvait se soustraire à ses ordres sans être aussitôt fustigé de toute la haine du monde rassemblée en un seul et divin être immaculé, la silhouette espionne dévoila son vrai visage en avançant dans la grande salle de ce temple inquiétant et macabre. De nature elfique, la créature était élégamment conçue. Des cheveux de jais, des yeux d’émeraude, un corps tout en finesse et en grâce… Mais nettement moins que Lindeniel. Il ne fallait pas rêver non plus. Puis, d’un simple regard averti, on pouvait aisément remarquer toutes les imperfections de cette inconnue. Bien que ses vêtements eussent été de bonne facture, autrefois, et sans doute faits dans les plus beaux et riches tissus, ceux-ci étaient abimés, passés, ternis et éteints. Heureusement, l’éclat changeant de la peau irisée de l’elfe étrange palliait à ce manque de soin. Minime compensation qui lui valait le statut d’un-peu-plus-que-moins-que-rien, aux yeux tellement pertinents de la vanité incarnée.

Si elle était étrange, cette elfe n’était pas réellement une totale étrangère. En effet, ses traits revinrent avec aisance à l’esprit éclairé de l’elfe blanc, qui était évidemment doté d’une mémoire prodigieusement efficace dans tous types de situations. Et ces traits lui évoquèrent clairement une personne. Il ne l’avait jamais réellement rencontrée, physiquement, mais cette apparence, et surtout ces intenses yeux verts ne reflétaient que la personnalité de celle qui, depuis le tout début, le contactait en songes. Celle qui les avait menés jusqu’ici, embarqué dans toute cette histoire. Celle qui les avait aidés, aussi, à surmonter quelques dangers en les prévenant au groupe d’incompétents qui accompagnait Lindeniel, et dont il ne restait que guenilles.

Ainsi, cette guide inter-dimensionnelle se présenta. Qualha Odhäar. Une princesse fille de roi. Une elfe de noble lignée, et de noble apparence. Elle valait peut-être un peu plus qu’elle ne le laissait paraître dans son accoutrement. Cependant, Lindeniel ne se laissa pas impressionner par ces titres ronflants. Et il faillit lui préciser qu’il n’était nullement ici pour régler des choses qui pourraient la concerner elle. Il voulait juste se défaire de l’emprise gênante, traumatisante et accablante de l’esprit vengeur de son paternel défunt. Il n’en eut pas l’occasion : Netare se présenta brièvement, et il décida d’en faire de même. Enfin. Il l’aurait fait, si cette princesse fantoche ne s’était pas permis d’interrompre la liseuse de rêves pour les presser de sortir de cet endroit maléfique.

Ainsi, toute la petite troupe quitta ce temple finalement pas si paisible qu’il n’y paraissait d’un premier abord, à la suite de cette guide onirique. Même si Lindeniel n’avait pas vraiment confiance en cette inconnue, il ne tenait pas à rester plus longtemps dans cet endroit souillé de sang impur et antique. Il ne se préoccupa ni de Kerkan qui délirait, ni de Krochar ou de Glaya. Logique, donc, il ne se préoccupa que de lui-même. Et lorsqu’ils furent sortis, il put enfin approcher Qualha pour se présenter :

« Lindeniel Il Thirnasael, noble Hinion. Où nous menez-vous ainsi ? Et comment les…choses peuvent-elles être réglées ? »

Il discutait tout en faisant de grandes et souples enjambées félines…