Une fois l’elfe sorti des eaux boueuses, cela aurait dû bien se passer directement. Mais non. Lindeniel avait pris le temps d’ajuster son tir, mais celui-ci manqua sa cible, une fois de plus. Intérieurement, il pesta contre cette maudite machinerie naine, incapable de former des armes dignes de ce nom. Seuls les elfes étaient maîtres dans cette fabrication. Des esclaves travaillant les métaux les plus nobles et chers. Ils n’avaient pas sa considération pour autant. Ils n’étaient que des pions maladroits sur un échiquier où il était le roi, la dame et le fou à la fois.
Il pinça les lèvres, vexé de ces défaillances matérielles à répétition. Puis, il décida de retenter sa chance. Par les grâces de Zewen, sans plus accorder la moindre confiance en sonarbalète, il ajusta son tir suivant de sorte que le divin du destin projeta le carreau avec force dans le genou du shaman, qui s’effondra sous le choc. Krochar n’a plus qu’à lui planter ses armes dans le corps pour en finir avec cet ennemi à terre. Joli tir, en réalité, surtout vu le vent qui venait de se lever, faisant sécher à une vitesse surprenante la boue de la ravine, et l’emmenant au loin sous la forme de petites particules de poussière. Sous la terre séchée, les cadavres des orques. Ils stagnaient là, dans l’état létal qui serait désormais le leur.
Alors que Glaya « l’inutile » se libère de sa gangue de glaise, Qualha annonça que le rituel pouvait enfin commencer. Le rituel qui libérerait l’âme de l’elfe pur de l’esprit vengeur de son paternel. Le rituel qui annihilerait la dernière peur de l’Hinion face au monde sans valeur qu’il s’apprêtait à dominer. Qu’il dominait déjà, en réalité, mais dans l’ombre, pour le moment. Il était temps…
« Hâtez-vous, alors. »
D’autant que la liseuse de rêve annonça qu’elle avait un mauvais pressentiment. Ce n’était jamais bon, lorsqu’une oracle annonçait ça. Mais Lindeniel ne s’en inquiéta pas. Il n’avait cure de ce qu’elle pouvait penser. Il s’avança dans la ravine pour contempler les cadavres, bien mieux morts que vivants. D’une main gantée, il fouilla chacun d’eux, époussetant à la manière d’un archéologue leurs corps déchus pour mettre la main sur les trésors qu’ils abritaient. Il laissa sur place les armes lourdes, les armures disgracieuses et autres grossièretés sans nom. En revanche, il fit la razzia sur les bijoux de ces êtres hideux. Ainsi, sur la brute qu’il avait lui-même tuée, il ne prit rien. Ce Garzok ne valait même pas la peine qu’on le pille, tant son équipement était grossier.
La victime de l’enchanteur, en revanche, fut une mine de trésors. Son armure, un plastron de cuir doté d’armoiries d’une cité humaine de Nirtim, Oranan, semblait en nettement meilleur état que sa propre cuirasse. Il en débarrassa le cadavre, plutôt fluet pour un orque, et la revêtit après avoir roulé la sienne pour la glisser dans son sac encombré. Elle lui allait comme un gant. Et s’assortissait d’ailleurs pas mal avec les gants qu’il avait aux mains. Le cuir fauve était presque identique. Il prit aussi au cadavre des bracelets de cuir, qu’il revêtit aussitôt également. Et il termina par la javeline de l’être. Il avait vu, pendant le combat, quelle était sa caractéristique majeure : sitôt lancée contre un ennemi, elle revenait dans son fourreau ouvragé. Un bel objet enchanté… Qui valait sûrement plus que la grossièreté des ouvrages nains. La finesse des décorations exprimait clairement un travail elfique. Il n’en douta pas un seul instant.
Repus de ce cadavre, il se dirigea vers le premier qui était tombé sous les coups de Krochar. Sur lui, il ne trouva d’intéressant qu’un petit médaillon dont le pendentif en cristal semblait empli d’un sombre brouillard. Il le passa autour de son cou, sans se soucier de ce que ses compagnons diraient d’un tel dépouillement de morts. Et enfin, sur le shaman, Lindeniel se servit d’une bague. Les doigts du Garzok étaient larges, et cet anneau orné d’un crâne de rat, initialement glissée à l’annuaire du Garzok alla parfaitement s’insérer au pouce gauche de l’elfe blanc.
Il profita de ces nouvelles acquisitions pour faire un petit tri dans ses affaires : Il jeta négligemment au sol son ancienne bague, et les deux ceintures qu’il avait trouvées sur l’Aynore de l’aller. Il piétina le pendentif de sa famille, marquant désormais très clairement la rupture avec ses parents défunts. Et puis, le poignard qu’il avait utilisé pour assassiner son paternel, il le planta dans la gorge du shaman mort. Qu’il s’abreuve constamment d’un sang impur et sale, se mêlant à celui, sec désormais, de son père. L’ultime déshonneur pour un Il Thirnasael. Et le début d’un rituel plus personnel…
_________________ Lindeniel Il Thirnasael, noble Hinïon dans la tourmente d'une quête onirique.
Tous méprisables...
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