Araknor a écrit:
Mes yeux étaient fixés sur l’orque, cette créature si répugnante, je m’interrogeais toujours sur le pourquoi Yuimen m’avait forcé à l’épargner. Il était si laid, si désobligeant et agressant – quoique pour ce dernier, l’agressivité venait de moi. Je n’arrivais pas à trouver en lui la moindre trace de gentillesse, d’amabilité, de sociabilité, qu’est-ce que cette chose faisait ici finalement ?
Tant de questions qui resteraient sûrement sans réponses, il était hors de question de l’approcher, hors de question de dialoguer, et surtout hors de question de combattre à ses côtés. Un tel déchet des mondes, de toute forme de vie ne méritait rien d’autre que la mort. La mort par la lame, sans pitié, sans d’autre but que de le pourfendre.
Je n’arrivais pas à détacher mes yeux de ce misérable, sa couleur verte attirait mes sens, me contraignait à la méfiance et peut être même à la peur. C’était à cause d’eux, c’était à cause de sa misérable race que toute mon ancienne vie avait été balayée. A cause de ces pourritures qu’Octélia était cendre, à cause de ces enflures que mon peuple était quasiment exterminé, à cause de lui… que mon père était mort.
Mes sourcils se froncèrent, la haine me submergeait de nouveau, juste la mort… juste ce qu’il méritait. Ma main était crispée sur la poignet de ma dague, je serrais de plus en plus fort cherchant à me retenir, à me contenir. Puis peu à peu, je me calmais. Mes pensés s’évadèrent, mon père prenait la place de la rage, un doux sentiment de paix et de protection. Il était toujours là, plus physiquement et je ne croyais pas non plus spirituellement, mais dans mon cœur… il y résidait toujours, il vivait en moi, dans ma tête, dans mon être. Puis les souvenirs revinrent, souvenirs d’un passé oublié, d’un passé renié trop longtemps…
C’était le jour de mes douze ans, j’étais à ma fenêtre un soir perdu dans mes douces pensées, scrutant l’horizon. Il entra sans bruit, tel un voleur plus silencieux que le silence, il vint à mes côtés me faisant sursauter. Mon regard s’illumina, mon héro était là, mon modèle, mon père. Mes sentiments s’emballèrent et d’un instinct remplit d’amour je me jetais dans ses bras. Ses robustes mains, sa poigne de fer se referma sur mes épaules, la douleur ne faisait rien, rien hormis l’amour pour un père figurait dans mon cœur.
Il se campa à la fenêtre, les yeux loin se perdant dans l’obscurité illuminée d’étoiles. Son regard baissa, et son sourire heureux se dissipa. Quelque chose le tracassais, quelque chose l’inquiétait. Il se tourna vers moi en me fixant tristement, il se baissa ensuite à ma hauteur et me confia :
« Un jour… proche ou peut être pas, je devrais disparaître… Il est possible que ce jour, notre peuple disparaisse… Et, il s’interrompit pour chercher ses mots. Il est possible que notre monde… soit détruit. »
« Détruit »… « Détruit. » Il le savait, il l’avait toujours su qu’un jour ça arriverait. Il savait que la maîtresse noire s’intéressait à Thrédéliane, il le savait. Ce jour là, il avait tenté de me préparer, il avait tenté de me faire devenir fort, de me préparer à l’inévitable. J’avais ri, il avait ri ensuite… Je comprends aujourd’hui le sens de ses mots, le sens qu’il a voulu donner à son discours… Ce discours que six ans auparavant je n’avais pas compris, que je n’aurais jamais cru vrai.
Je m’écroulais à terre, le dos contre la pierre, les jambes en vrac. Mon regard était perdu, autant perdu que mon sens pour la vie. Une larme scintilla au coin de mon œil, puis une autre… Le désespoir m’envahissait, la tristesse me rongeait, elle rongeait cette mélancolie… mélancolie des temps glorieux, mélancolie de Thrédéliane.
C’était sa faute à lui, c’était sa faute à ce peau verte, c’était à cause de lui tout ce qu’il se passait. Tout au moins, c’est ce que je voulais entendre, il était coupable et ne méritait que la mort. Chose que j’étais incapable de lui donner, faute d’un dieu injuste… Injuste dans ses dogmes, injuste dans tout.
(Yuimen n’y est pour rien… Artiel. Si tout est arrivé, c’est parce qu’il le fallait. C’était écrit, tout comme toi tu dois vivre. Acceptes ce fait, ne soit pas emplit de cette haine envers cet orque, il n’y est pour rien.)
(C’est de sa race, c’est de sa misérable race que tout cela est arrivé ! Rien n’est écrit, nous sommes maître de nos destins, rien n’est écrit !)
(Crois-tu vraiment cela ? Ce que tu choisis est un obligatoirement une route qui t’es tracé, tu as le libre arbitre. Tu fais ce qu’il te plait, mais tout est déjà écrit.)
(Non ! Est-ce écrit que je dois tuer ce monstre ?!)
(Calme toi ! Crois-tu sincèrement qu’il a demandé à être ce qu’il est ? As-t-il eu le choix de naître orque ? T’es tu posé la question ?!)
Je fis silence, les yeux dans le vague, le souffle lent et monotone… Rien ne me perturbait, je n’étais tout simplement plus là…