Un silence de mort régnait dans l'arène, théâtre d'un tout récent affrontement entre une équipée improbable et une troupe de sektegs aux penchants sanguinaires, et cinq formes gisaient à présent sur le sol dans de grotesques positions. Les traces laissées sur ces corps meurtris éparpillés à travers la salle ainsi que la présence abondante de sang mêlé à la poussière témoignaient de la violence du combat. Des cadavres mutilés, voilà tout ce qui restait des créatures immondes, mais pourtant des vainqueurs nulle trace ne subsistait. Une tête, séparée du reste de son anatomie reposant à quelques mètres de là semblait porter un regard accusateur en direction de la grande porte située au fond de l'arène mais celle-ci restait désespérément hermétique, à douter qu'elle fut ouverte un jour. Un grouikkk vint soudain briser le calme mortuaire des lieux. Celui-ci provenait de l'un des corps d'une créature situé non loin de la porte scellée, et qui soudain se mit à s'agiter. C'était en réalité les derniers spasmes annonçant la mort du sujet, et cette observation aurait bien pu rester anodine, comme un point final à l'odieux carnage, mais c'était sans compter ce qui suivit.
L'homme retira sa lame du bas ventre du sekteg tout en repoussant le corps sur le côté, recevant par la même occasion une gerbe de sang poisseux en plein visage, tout droit sorti de la bouche de l'adversaire dans un ultime râle d'agonie. Il s'immobilisa. Étendu sur le sol dans une marre de sang, la respiration difficile et à demi conscient, Cornélius avait perdu de sa cohérence d'esprit. Toute notion de temps l'avait quitté, si bien qu'il ne savait pas si le combat qu'il venait de livrer avait duré seulement quelques minutes ou bien des heures. Ni même combien de temps il était resté allongé dans cette position inconfortable, sous le poids de son adversaire. Il avait d'ailleurs perdu la notion de bien des choses, car d'un œil hagard il chercha la vue de ses compagnons. Et n'y trouva que les résidus d'un combat bel et bien achevé. Il resta alors un long moment là sans bouger, d'une part car tout ses muscles était meurtris par une lutte cruelle avec le tenace petit monstre, le moindre geste lui faisait mal, et d'autre part il se sentait perdu, ne sachant pas trop ce qui venait de se passer. Mais peu à peu, laborieusement et malgré le fait que son crâne lui renvoyait une douleur sourde, le jeune enodien se remémora les faits qui s'étaient déroulés peu de temps auparavant, comme un lointain souvenir, et notamment l'épisode de la porte. La porte ! Comment avait-il pu oublier cela... A cette pensée il ferma les yeux et lâcha un soupir qui traduisit un sentiment mélangé de colère, de déception et de peur mais aussi de soulagement. Colère devant la mauvaise tournure qu'avaient pris les événements, déception de ne pas avoir pu surmonter l'épreuve qui s'était dressée devant lui, peur de ce qui allait lui arriver à présent et enfin soulagement que ses compagnons avaient pu eux, s'en sortir. Il ne sut déterminer quel ordre attribuer à toutes ces émotions contradictoires, mais avait-ce une quelconque importance ? Son esprit divagua un peu plus et il revit ce combat mémorable qu'il venait de mener. Jamais le jeune homme n'avait été pris d'une telle frénésie meurtrière, d'une telle soif de sang, d'une telle folie guerrière que seul le désespoir peut insuffler. Il avait tout tenté pour rejoindre ses compagnons de l'autre côté de la porte, redoublant d'efforts en essayant de frapper plus vite et plus violemment encore, contre un adversaire toujours plus acharné n'ayant en rien perdu de sa hargne malgré les coups qui lui étaient assenés. Cornélius ne pouvait malheureusement s'en défaire par la fuite, le gobelin étant placé tragiquement entre lui et la sortie, et seul l'option d'un combat à mort avait été envisageable. Hélas ! Déjà l'ouverture de la massive porte n'avait été plus qu'une étroite fente, et l'homme de Wiehl avait compris qu'il était condamné. Ce fut sans aucun doute à ce moment là, quand le faible espoir irrationnel de s'en sortir se fut envolé, qu'il entra dans une sorte de transe guerrière, déversant sa rage à travers le fil de son épée et décuplant sa force. Sans grâce ni panache. Mais il y avait un revers à ce type de comportement, le jeune humain s'étant dès lors beaucoup plus exposé aux coups de son adversaire car moins prudent dans sa furie. Le combat avait ainsi duré, Cornélius totalement absorbé par l'anéantissement du sekteg qui lui, avait soutenu tant bien que mal les assauts. Le jeune homme, ayant beau chercher dans sa mémoire, ne parvint pas à se rappeler clairement du combat proprement dit, des actions qu'il avait effectué ni des coups qu'il avait reçu. Il se souvint uniquement du moment ou l'ignoble créature lui avait sautée dessus, le déséquilibrant et provoquant leur chute. S'en était suivi une lutte au sol sans merci, où l'humain avait eu l'avantage grâce à sa carrure plus imposante. A ce propos il regarda ses mains griffées et dont les hématomes couvraient sa peau sale, et se dit que tout son corps devait être pareillement meurtri. Maladroitement, il tenta de se redresser un peu et y parvint non sans peine. Et maintenant quoi ? Se dit-il en observant la scène autour de lui d'un regard fatigué. Il se trouvait là, au plein milieu de nul part et sans aucune issue possible. Certes il n'avait pas eu le courage de se trainer jusqu'à la porte pour l'examiner, mais au fond ne connaissait-il pas déjà la réponse ?. Pourquoi bouger alors ? Tout semble si vain à présent. J'ai échoué, je n'aurai pas dû... Mais je suis si las à présent... Dormir, voilà ce à quoi aspirait Cornélius à présent, la lassitude emplissant chaque parcelle de son âme. Dormir, et qui sais, peut être pourrai-je rêver d'être quelqu'un d'autre...
Le renard s'arrêta un instant dans sa quête de nourriture. Il avait entendu des bruits inhabituels provenant du nord, plus loin sur l'étrange piste qui serpentait à travers la forêt. Celle-ci sortait d'ailleurs du cadre de la compréhension de l'animal, si bien que la plupart du temps il l'évitait, préférant évoluer au sein d'une végétation plus chaotique et...naturelle qui lui offrait un meilleur camouflage pour son pelage roux. Aux aguets, les oreilles pointées vers le ciel il attendit patiemment dans un fourré. La forêt était loin d'être un lieu paisible et calme d'un point de vue de goupil. Pour un petit être à l'ouïe très fine, une multitude de sons se projetaient de toute part, dont les origines étaient diverses que variées, entre le bruissement du vent dans les feuillages, le mouvement furtif d'un lapin entre les hautes herbes ou encore le chant, différent pour chaque espèce, des oiseaux... Tout ceci ne représentant qu'un infime échantillon accessible aux sens humains, car il en existait d'autres, plus nombreux encore, que seule une oreille exercée et une grande concentration permettaient de déceler. Et chacun de ces sons le renard avait appris à les reconnaître, les écouter afin de s'en servir pour chasser, se déplacer et pour finalement survivre. Mais jamais auparavant il n'avait entendu les bruits qui venaient de lui parvenir à ses oreilles. Son instinct de bête lui dictait que tout élément inconnu représentait un danger alors, toujours immobile, il resta ainsi dressé plusieurs minutes avant de finalement se décider à reprendre le cours de sa chasse. A présent les bruits étranges s'étaient tu. Le goupil trotta encore quelques minutes, s'arrêtant ici et là pour attraper un coléoptère malchanceux ou manger quelques mûres sauvages. Puis il arriva au bord d'un ruisseau, tout juste un fin écoulement d'eau ruisselant entre les rochers ou il put étancher sa soif. Ce faisant, un fumet familier vint titiller son odorat. Et quel délicieux fumet ! Le goupil ne le voyait pas encore, mais un lièvre se trouvait quelque part, derrière un arbre ou dans les herbes folles, sans doute attiré comme le présent renard par la présence de l'eau fraîche. Si le rusé animal eût été doté de l'intelligence, il se serait dit que c'était son jour de chance. Il fallait tout d'abord localiser sa proie. Cette tâche ne fut pas bien difficile pour le goupil aux sens aiguisés, fin prédateur. Le lièvre lui, ne se doutant de rien sautilla en direction du point d'eau et se mit tranquillement à laper. Notre renard pris grand soin de se tapir dans un touffe d'herbe le masquant de sa future victime, restant immobile tout en fixant le lièvre. Pas un instant il lâcha sa proie du regard, et il attendait à présent le moment propice pour attaquer. Le lièvre inconscient ne montra toujours aucun signe de nervosité, lançant tout de même un regard autour de lui de temps en temps, sans trop y croire. Certain de son coup, et se voyant déjà déguster un bon repas, le renard prépara son saut, ses muscles bandés et les babines à demie retroussées, prêtes à mordre. Mais soudain l'inattendu se produisit, et le lièvre qui était l'instant d'avant si paisible fit un brusque volte-face, et se mit à détaler dans la direction par laquelle il était venu. La réaction du goupil fut instantanée, car d'un bon éclair il fut à l'endroit ou quelques instants plus tôt s'était trouvée sa proie. Mais prit au dépourvu, il n'eut que de la terre et des feuilles mortes à déchiqueter. Notre animal étant cependant tenace et ne laissant pas un repas s'échapper aussi facilement, surtout lorsque celui-ci était son préféré, il s'élança donc à la poursuite du lièvre paniqué. Celui-ci avait déjà quelques mètres d'avance, et slalomait entre les arbres à un rythme effréné, tournant parfois la tête pour jeter un regard inquiet sur la position de son affamé poursuivant. Ce dernier n'avait pas prévu tant d'efforts pour ce bon repas, qu'il voyait à présent traverser à toute allure la forêt. Le renard est un animal qui sait être rapide, mais il n'est pas très endurant. S'il ne rattrapait pas vite sa proie, il la perdrait. Il accéléra donc encore un peu, au maximum de ce qu'il pouvait produire. Le décors alentour n'était plus que des tâches de couleur informes, l'air un sifflement permanent dans les oreilles de l'animal. Malgré la fatigue qui commença à se faire sentir il se rapprochait, petit à petit, jusqu'à distinguer nettement les détails de sa victime, son pelage marron-gris parsemé de tâches blanches, ses grandes oreilles battues par le vent et son corps gras appétissant... La course dura ainsi quelques minutes, mais arriva vite à son terme lorsqu'au loin se profila un ravin. Il n'y avait nulle autre option pour le pauvre lièvre que de foncer tout droit, au devant d'une mort certaine. C'est arrivé devant le précipice que le lièvre fit une chose surprenante. Il sauta. Emporté dans son élan le renard faillit le rejoindre mais réussit, tant bien que mal, à se stabilisé à l'aide de ses pattes arrières, qui laissèrent deux petits sillons derrière lui. Il vit la chute de ce qui ne sera désormais plus son repas, et comment ce dernier se brisa les os en contrebas. Une fin tragique pour le renard, qui aurait bien voulu être cause et non spectateur de la mort du petit animal.
Le renard n'eut le temps de glapir de dépit que les bruits étranges réapparurent. Plus près cette fois-ci. Oubliant vite feu son déjeuné, il tendit de nouveau l'oreille. Les bruits, rauques, provenaient d'un peu plus à l'ouest de sa position actuelle, et duraient plus longtemps cette fois, presque en continu. En temps normal, son instinct lui aurait dicté de s'enfuir, de s'en éloigner, mais curieusement il ressentait à présent une vive curiosité, presque irrésistible. « Quelque-chose » le poussait à se diriger vers ces ébruitements. Cédant à la tentation et oubliant toute prudence, il se dirigea en direction des murmures. Il n'eut pas à trottiner bien loin. Il en aperçu l'origine quelques fourrés plus loin, huit formes étrangement hautes, se tenant curieusement sur leurs pattes postérieures. Elles gesticulaient bizarrement, comme entretenant un quelconque rituel. Le roux animal se rapprocha un peu plus afin de mieux apprécier la scène qu'offrait les huit êtres. Chaque entité avait une odeur différente, très prononcée pour certaines, quasiment indétectable pour d'autres. Deux dégageaient même une odeur de cervidé, mais ce n'en était pas des représentants, du moins pas entièrement... Une étrange attirance liait notre renard à ces apparitions. Il ne voulait pas partir, ainsi resta-t-il là, assis sur son arrière-train observant une scène qu'il ne comprenait pas mais qui captait toute son attention, oubliant presque les potentiels dangers alentours. La suite des événements s'annonçait décisive.
_________________ Cornélius, Humain, Guerrier

"I must not fear. Fear is the mind-killer. Fear is the little-death that brings total obliteration. I will face my fear. I will permit it to pass over me and through me. And when it has gone past I will turn the inner eye to see its path. Where the fear has gone there will be nothing. Only I will remain."
The Fear Litany, F.H.
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