Lindeniel a écrit:
La journée était déjà bien avancée, et le début de soirée s’annonçait frisquet dans cette forêt montagnarde. L’air froid faisait se lever sous les pieds des aventuriers un léger voile de brume alors qu’au dessus de leurs têtes, le ciel à peine visible se colorait de teintes pastel tirant sur le orange, couleur qui se reprenait sur le sentier qu’ils empruntaient, marqué à la fois d’ombres et de lumière crépusculaire.
Mais Lindeniel s’était arrêté sous les paroles de Kerkan, et lorsqu’il lui répondit, bien que calmé, dans sa seconde réplique, il ne réengagea pas pour autant la marche, et attendit que le mage se retourne vers lui pour s’expliquer, ce qu’il fit aussitôt. L’humain donna à l’elfe un discours qui se voulait convaincant, mais qui n’eut pas le moindre effet sur l’elfe blanc. L’homme plaidait la liberté de culte, la toute puissance de tous les dieux, et les préférences de chacun, mais à chaque argument, Lindeniel pouvait trouver un contre-argument.
Certes les peuples de cette planète avaient oublié le puissant Dieu du temps, c’était un fait avéré, et il n’était plus vénéré que dans de lointaines contrées, où la civilisation bien que nécrosée comme chacune, se devait d’être un peu plus élevée. Ces humains étaient aveugles. Ils n’étaient pas aptes à comprendre que s’ils étaient si misérables et miséreux, sans cesse poursuivis par la menace de la guerre, du meurtre, du vol, c’était parce que justement, ils avaient oublié cette grande divinité.
Mais il ne se voyait pas l’expliquer à ce jeune prétentieux issus de la race humaine, qui mettait sa confiance en des divinités sans intérêt. Oui, Lindeniel était un parjure, car pour lui ni Gaïa, ni Moura, ni les autres ne valaient qu’on les nomme dieux. Seul le créateur devait être considéré comme tel, et mettre en doute sa puissance ne révélait que la folie. Le temps et le destin n’étaient pas les meilleurs alliés de Kerkan ? Qu’à cela ne tienne. Il n’était pas apte à se rendre compte que c’était uniquement de sa faute.
Dans un geste discret, Lindeniel plongea la main dans son sac et caressa sa statuette de chat, celle qui lui apportait tant de réconfort. Il parla à son dieu, via elle. Intérieurement, comme il le faisait à chaque fois que le besoin de communier avec Zewen se faisait ressentir, bien que ça ne soit une conversation à sens unique. L’elfe savait que son dieu l’entendait, où qu’il soit.
(Mon frère, pardonne à ces ignorants leur incapacité à reconnaître ta toute puissance. Accorde leur un peu de la lumière de ton être pour que cette compagnie me paraisse moins bête…)
Puis, le jeune humain se mit à parler du serment que Lindeniel lui avait proposé à demi-mot. Il le dénia, ou pas tout à fait, mais en demanda les motivations… Ne faisaient-ils pas partie d’une compagnie. Certes l’orque avait été facile à engager comme allié, mais ce mage se révélait plus intelligent qu’il n’y paraissait au premier abord. Oui, il fallait se méfier avant d’accorder sa confiance à n’importe qui, même si dans le cas présent, refuser une amitié, ou plutôt un partenariat avec Lindeniel relevait de la folie. Se mettant à marcher à nouveau, Lindeniel répondit à l’homme, clôturant définitivement le débat sur Zewen. Kerkan n’était pas prêt à connaître la vérité.
« Jeune homme, ce n’est pas un contrat que je vous propose, pas un pacte signé, et si j’ai utilisé le terme de serment, c’est parce que c’est ainsi que nous avons appelé notre parole donnée, Krochar et moi-même. Ce n’était qu’une promesse d’entraide. Ses muscles mis au service de mon cerveau, et mon intelligence au service de sa force. Soyez assuré que je ne veux pas vous berner. Ce n’est qu’une parole, qui peut se rompre à tout instant. Nous y trouvons tous les deux notre intérêt, et donc n’avons aucun intérêt à la bafouer. C’est tout ce que je vous demande, jeune mage. Votre magie et mes connaissances comme armes contre ce destin que vous voyez si noir… Rien de plus, rien de moins. »
Et il poursuivit sa route alors que devant lui, le pseudo-chef de l’expédition se faisait renflouer de partout, des drow, de l’orque et même de l’homme bizarre. Vraiment, il n’avait rien d’une tête de troupe, et son obstination le faisait plutôt passer pour une tête de con… Lindeniel n’intervint cependant pas, le regardant juste d’un air froid lorsqu’ils arrivèrent, Kerkan et l’elfe, à proximité.
Derrière eux, la rousse semblait fébrile, apeurée, et tout le temps sur ses gardes. Lindeniel s’en rendit compte et plaça sa main droite sur la garde de son poignard, à l’intérieur de sa cape volée au marché de Tulorim. Il fallait être vigilant, maintenant que la nuit allait tomber…