Vedd a écrit:
Les événements qui suivirent devaient m'ôter toute crainte quant au jeune milicien que j'avais vu en rêve. Alors que je marchais, transi et peu soucieux des affaires de nos compagnons de route, un éclat de leur part me força à lever la tête. Tout d'abord, les bruits de la chicane naissante entre Sirendor et la drow prirent une soudaine ampleur, si bien que n'écoutant point j'entendis tout. Le milicien chantait sa tendresse à la drow qui appréciait moyennement. Il ne semblait pas se rendre compte de la dangerosité de cette race et, aveugle à tout signe l'en ayant dissuadé, il persévérait dans ses approches câlines. Lors d'une réplique particulièrement enflammée, la drow saisit sa dague et frappa l'inconscient d'un coup tueur sur la nuque... fort heureusement administré avec le pommeau de l'arme, comme je le vis juste après. Les mots qui suivirent furent cinglants pour le jeune homme qui en une seule tirade s'était mis à dos les deux drows. Le milicien, pantelant et pitoyable, revint brusquement sur ses pas. Lui qui était tout devant et tout fier à l'instant d'avant arborait un air maussade et désespéré. Il remonta toute la file que nous formions, semblant faire demi-tour. Légèrement inquiété, je tournai la tête et le suivis des yeux. Je vis surgir de l'avant de la troupe un homme solitaire que je n'avais pas réellement remarqué jusque là. L'air furieux, il nous dépassa à son tour et saisit le fuyard par le bras et, se penchant vers lui, lui murmura des menaces que je ne pus qu'imaginer. J'eus un élan de pitié pour ce garçon en rapprochant sa situation de celle d'un jeune voleur se faisant brutaliser par des miliciens — mais n'oubliais-je qu'il en était un... Et sa réaction fut digne d'un voleur. Il se jeta à genoux, se mit à hurler, jouant une comédie sans pareille et versant maintes larmes de crocodile. « S’il vous plaît, lâchez moi ou tuez-moi ! » Ceci, je ne pouvais y croire; je connaissais trop bien ces tactiques que toute la canaille kendrane appliquait. Je retenais un franc sourire bien incongru qui voulait se glisser sur mes lèvres. Reprenant ma route, je cessai de tourner la tête pour éviter de me tordre la cheville — ou le cou. Bientôt, l'homme orageux nous doubla d'un pas sec pour retrouver la place qu'il occupait tout à l'heure, loin devant. Ainsi lavé de tout mauvais pressentiment quant à la présence du milicien dans le groupe, le jugeant absolument inoffensif et inexpérimenté, je pus nourrir d'autres pensées. Je songeai que je ne connaissais personne dans ce groupe. Les autres avaient tous déjà échangé des paroles et des présentations, je jouai l'invisible. Non que cela me dérangeasse — avais-je le choix ? —, mais le sentiment amer de solitude que la nuit amenait dans mon cœur s'en accrut soudainement.