Lindeniel a écrit:
Alors que Lindeniel baissait le bras qui avait indiqué à l’orque l’entrée de Mertar, celui-ci répondit en récitant l’histoire de son village comme s’il l’avait apprise par cœur. Des orques, qui avaient tous rejoints Oaxaca pour supprimer les humains de ce continent déchu et en prendre possession. Tous s’étaient engagés, sauf lui, qui s’était refusé à le faire. Lindeniel imagina avec un sadique amusement ce que ses anciens compagnons de sa race lui ont fait subir lorsqu’il leur a appris ce choix qui pour eux était certainement celui de la déraison. Mais il était passé du côté des ‘gentils’, ou plutôt de celui des humains, étant désormais aussi farouchement opposé à sa race que les orques semblaient l’être par rapport aux humains. Il n’avait fait que changer de camp, entre ces deux nations, ces deux peuples indignes de vivre, qui passaient leur temps à se taper dessus pour l’honneur, comme ils appelaient ça. Ha l’honneur, c’était vraiment une chose mise à toutes les sauces, et Krochar n’hésita pas à y ajouter son grain de sel pour épicer un peu les choses. L’honneur de leur race… Mais que croyait-il ? C’était lui le déshonneur de cette race sans honneur. Et peut-être était-ce un honneur de lui octroyer ce déshonneur, finalement, puisqu’honorablement, ils avaient fui, lui et sa lâcheté.
Il se perdit alors dans une explication tordue sur les défenses du pays des nains, élaborant des théories étranges et se plaignant à l’avance de devoir pénétrer sous la montagne. Lindeniel mit fin à ses remarque d’un ton non dépourvu d’ironie…
« Des gardes devant la porte, cher Krochar… Et vous avez trouvé ça tout seul ! Maintenant regardez autour de vous, ces imbéciles guerriers et aventureux, qui tous ont soif de batailles et de sang sale… à votre avis, à quoi servent-il ? »
Car c’était bien pour ça que toute la clique des débiles en boite de conserve avait fait le déplacement depuis Kendra Kâr, et plus loin encore. C’était pour se battre, assouvir leur soif de tuerie, se conforter dans l’espoir d’avoir un jour servi à quelque chose. Et bien sûr l’immense fierté des nains leur aurait accordé ce droit, ce plaisir, celui de mourir au combat, en les plaçant en première ligne, là où il n’y avait aucune chance de survivre. Ah quels empotés, tous. Il les détestait, tous autant qu’ils étaient. Et en particulier ce freluquet blondinet qui sous réserve d’avoir une plaque dorée en plus que les autres sur son équipement se prenait le droit de leur servir de meneur. Ah ils verraient, ces incapables, que ce petit chef sans importance les mènerait droit à une mort sans honneur, qui décidément était le thème du jour. Peut-être était-ce l’air imposant soufflé par les écrasantes montagnes de roc.
Enfin, le troupeau se mit en mouvement et commença à descendre en masse de l’aynore, comme si tous ces pantins belliqueux agissaient d’un même chef, sans se concerter, suivant aveuglément le petit milicien qui ne valait certainement pas plus que le suggérait son apparence, ainsi que son comportement pour le moins indigne sur le pont, que tous semblaient avoir oublié.
Cette fois, Lindeniel n’eut pas le temps de se projeter à l’avant de la foule pour ne pas y être mêlé, et se débrouilla pour s’éloigner le plus possible de cette marée humaine pour ne pas se faire toucher par ces poisseux virulents. Il donna d’ailleurs à son partenaire un conseil autoritaire pour ne pas qu’il ait à le retrouver dans toute cette masse écœurante.
« Restez près de moi, inutile de se perdre parmi tout ce monde ! »
Et il avait attendu que tous soient descendus pour à son tour prendre la rampe qui le mena en bas de l’embarcation qu’il était heureux d’enfin pouvoir quitter, même si l’annonce d’un sol terreux et rocailleux n’était pas pour l’enchanter. Il maugréa avant de poser son pied sur le sol, laissant entre lui et le groupe une distance de deux ou trois mètres, qui encore n’était pas suffisante pour lui, mais qu’il fallait bien se borner à adopter.
Ils avancèrent sur le sentier qui s’étendait devant eux, et Lindeniel jeta des regards méprisants, aussi hautains que ceux des elfes de l’Aynore, sur la piétaille qui s’éparpillait devant lui. C’est alors, lorsque le groupe s’arrêta au croisement de trois voies, qu’il remarqua à l’arrière du groupe le Griffon qui avait sauvé l’humain aux cheveux bleus, l’homme en question ainsi que la rousse, celle qu’il croyait toujours être l’envoyée de Zewen.
(Que fait-elle avec ce minable ? Ah moins qu’il ne soit lui aussi un envoyé de Zewen. Mais oui, c’est évident, comment pourrait-il en être autrement, il a échappé à une mort inévitable sous mes yeux, signe de son destin épargné. Comment n’ais-je pas pu voir ton signe, mon frère, alors qu’il est évident au possible. Pardonne-moi cet acte manqué, la présence de ces imbéciles m’altère l’esprit.)
Il avança et remarqua alors seulement la présence de l’importante troupe de nabots qui venait à leur rencontre, tous plus moches et petits les uns que les autres, armés de haches ridiculement grande comparé à leur taille réduite, certainement à l’image de leur esprit qui devait être lui aussi très réducteur. Leur chef, un prétentieux de première instance, qui se la jouait barbare classieux et bourgeois dans son armure toute d’or, avec sa barbe grise ignoble et si drue qu’un troll aurait dédaigné se torcher le cul avec de peur d’être irrité. Parmi eux, un humain barbu, signe que la moutonnerie des hommes allaient jusqu’à se croire capable de ressembler à un autre peuple en en portant les symboles, si ridicules soient-ils. Cet homme portait comme le jeunot qui menait la troupe l’insigne de la milice, et ils conversèrent ensemble comme si les autres n’étaient pas aptes à participer à cette réunion au sommet.
Au sommet, certes, mais aucun sommet, même de la plus haute montagne, ne pouvait atteindre les cieux de la perfection desquels Lindeniel les regardait sardoniquement.
« Krochar, regarde ces crétins qui vont se faire massacrer par les tiens… Vas-tu les rejoindre ou m’accompagneras-tu vers un chemin plus malin, moins dangereux et plus efficace ? »
Et sans attendre la réponse de l’orque, il s’approcha de l’humain aux cheveux bleus et de la folle rousse.
« Mademoiselle, je crains que nous n’ayons été séparés par mégarde sur l’Aynore. Me revoici, puisque nous sommes à Mertar. Où se trouve désormais la porte des Rêves sensée nous délivrer de tous ces maux ? Où est la porte dont parlait cette femme aux yeux verts dans mes songes maudits ? »
Il n’avait pas parlé de ces yeux verts qui avaient perverti ses rêves dernièrement. Il n’en avait pas encore dévoilé le contenu, mais se sentait en de bonnes mains, face à ces deux envoyés de Zewen. Il se tourna alors vers l’homme aux cheveux bleus.
« Monsieur, Je suis Lindeniel Il Thirnisael. Vous avez eu de la chance, avec le dragon… Votre Destin est maintenu entre les puissantes mains du grand Zewen, et c’est tout à votre honneur… »
Et oui, encore l’honneur… Il ne disparaissait donc jamais, celui-là…