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Auparavant~
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Cette fois-ci, c'est Talia qui répond à mes questions. À l'origine, les Pâles sont donc bien un peuple forestier relativement dispersé, et je ne peux qu'être surpris d'entendre qu'en plus de Treeof, la forêt est ponctuée de hameaux. Les arbres forment une belle protection, au final. Les cités d'Andel'Ys et d'Arothiir sont venues plus tard, afin d'exploiter la ressource en poisson ou la dangereuse drogue des mines. Cela amène mon interlocutrice à enchainer sur les traditions et fêtes développées par les localités. Je ne retiens pas le petit sourire qui me vient en voyant son enthousiasme à me narrer son savoir.
Treeof fête l'Esba à la première lune annuelle, considérée par certains comme une parade nuptiale. Les femmes pâles s'envolent dans la nuit, tournant dans les airs jusqu'à ce que la fatigue les saisisse. Là, elles rejoignent les bras de celui qui va les raccompagner chez elles. Je tente d'imaginer ces silhouettes de harpie sur fond de ciel étoilé puis tend l'oreille à la suite. Andel'Ys a la Fête des lumières, un événement nocturne où les habitants rallient le lac et lâchent des lanternes en papier. Une tradition destinée à appeler les lueurs de l'aube et porter chance à la pêche. Vues les lueurs ambiantes de la fête actuelle, il n'est pas difficile d'imaginer à quel point la vue doit être magique lors de cet événement.
Talia poursuit sur une fête controversée, dite la Purge, qui prend place à Arothiir lors de l'épuisement d'une mine. Les matriarches répandent la Poudre de Thiir sur la cité, causant un état dans lequel nul ne semble totalement maître de ses faits et gestes. Violence et actes... Intimes... Sans punition possible, se produisent dans la cité, laissant les participants sans mémoire de leur agissements le lendemain. Pourtant, si la chose se sait, c'est que quelqu'un a du en parler. Le Trio lui-même peut-être ? C'est là une fête sans doute libératrice des pulsions refoulées, mais tout de même, j'espère qu'ils prennent quelques précautions. Comme la mise à l'abri des plus fragiles...
Je suis tiré de mes pensées par quelques questions de la jeune femme, qui souhaite savoir quelles fêtes des miens me tiennent à coeur et si... Si j'ai une femme dans ma vie. La question me fait écarquiller les yeux et détourner prestement la tête.
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Nos fêtes... Oui... Nous en avons quelques-unes, mais la situation tendue de l'Ynorie les rend assez irrégulières. Toutefois, le Conseil semble savoir lorsque mon peuple en a besoin. Nous avons des célébrations destinées à rappeler des événements majeurs des ynoriens. La prise d'indépendance de mon peuple ou son unification sous la bannière de la République par exemple. J'ai un faible pour la première. Elle met en avant nos spécificités aussi bien culinaires, artisanales, poétiques que martiales dans différents étals. La Fête de l'Identité, en quelque sorte. Certains moines nous ont même fait l'honneur de nous montrer leur art du combat en quittant leur monastère isolé, il y a quelques années."
Un sourire me vient ensuite quand je songe à ma fête préférée.
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Aussi régulièrement que possible, et de préférence l'été, nous célébrons... Je ne pense pas que la langue commune ait un terme pour cela, mais disons que nous faisons une fête dédiée à... L'Espoir... Oui, je pense que ce terme se rapproche le plus de l'idée. Un festival a lieu, pendant lequel nos enfants pas encore en âge de prendre les armes se produisent en spectacle. Ils jouent des scènes qui leur tiennent à cœur, invitent les adultes à danser avec eux tandis que d'autres jouent plus ou moins adroitement d'instruments."
Un souvenir me revient, et un léger rire m'échappe.
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L'un de nos Conseillers, quelqu'un de respectable et d'impressionnant pourtant, n'arrivait pas à lancer ses anneaux de bois autour d'un piquet. Une petite fille responsable du jeu lui a alors pris le poignet en disant... 'Non, fais comme ça', et il l'a écoutée... Lors de ce festival, les enfants ont l'attention de tous. Cela, afin que les adultes n'oublient pas qui ils protègent, et que ces petits êtres aussi ont une voix... L'artificier Uzuki attend la nuit pour que l'extérieur d'Oranan s'illumine ensuite de mille feux colorés. C'est vraiment ma fête préférée..."
Un brin nostalgique en y pensant, je marque une pause. La dernière fois que j'ai assisté à cette fête, oncle Masaya vivait encore, et était le seul à se tenir à côté de moi, en retrait. Est-ce que maintenant les choses seraient différentes ? Mon sourire se fait un peu plus distant quand je songe à l'autre interrogation de la jeune femme. C'est un sujet privé, mais je me sens assez maître de moi-même pour l'aborder.
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Quant à votre autre question..."
Du regard, je cherche le Capitaine Atsuhiko, et conserve les yeux dans sa direction.
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Voyez-vous cette personne là-bas ? C'est à cela qu'un homme d'Ynorie est censé ressembler..."
Mes prunelles violettes retournent sur les visages de mes amis. Mon sourire se fait un peu plus peiné quand je pense qu'ils ont compris mon insinuation. Hormis la couleur de ma chevelure et la forme de mes yeux, je n'ai pas de point commun avec lui. Je préfère me montrer honnête.
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Pas à un bâtard, et dont le peuple de la moitié elfique est dit du côté de l'ennemi. Je vais donc vous faire la même réponse qu'à l'un de mes amis, Talia. 'Aux yeux de notre peuple, je n'ai rien de l'époux, gendre ou père idéal'."
Je vide mon godet sur cette phrase. Toutefois, même si mes propos semblent tendre une perche en ce sens, je refuse d'être pris en pitié.
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Mais ne vous méprenez pas. Je suis fier de Père dont je porte le nom avec honneur, et qui a contribué à m'élever comme un ynorien. J'ai choisi de me consacrer à la protection de mon peuple. Et je me suis fait des amis en Ynorie, auxquels je confierais volontiers ma vie."
Serein, confiant, moins attristé que je l'aurais cru. Je n'ai peut-être personne dans ma vie, mais je ne me sens pas seul pour autant. Finalement, j'ai de la chance.