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Ce n'est que le lendemain matin à l'aube que je m'éveille, avec l'impression d'un étau sur le crâne. J'ai été remontée dans la tour et recouché dans mon lit de plume, j'ignore par qui et à vrai dire peu m'importe. Assise sur le matelas, mon regard se perd dans les limbes brunes du fluide spatial. Pour la première fois de ma vie, Yuimen me manque, pas la divinité, mais bien mon monde.
Une année complète a passé, mais ce sont les quelques jours qui précèdent qui me hantent et qui ont envahis mon sommeil éthylique, m'empêchant de me reposer correctement. J'ai commis des erreurs, bien trop d'erreurs et si la fin est heureuse, ce n'est que grâce à Naral Shaam, pas grâce à moi en tout cas. Je n'ai été qu'un instrument ignorant tout de son usage. Certes, mon action a peut-être été décisive pour que ce destin puisse avoir lieu, mais à aucun moment elle n'a été guidée vers ce destin. J'ai fait une promesse à Ejude, et je la tiendrais; mais pour se faire, il me faut rentrer.
Je regarde mes grandes paluches vertes et fond en larmes... Je suis une Garzok, je n'ignore pas ce qui va m'arriver si je me rends dans n'importe quel endroit que je crois être ma maison. Kendra Kâr la blanche ? J'y serais sans doute fléché à vue, avant même d'atteindre les portes. Le Naora ? Vu leur récente expérience de ceux de ma race, je serais tuée, sans sommation. Nyr 'tel Ermansi ? Et je le trouverais comment l'aynore ? Puis ai-je vraiment ma place parmi les elfes dorés et les Dieux ? L'Ermitage ? J'ai ordonné moi-même de combattre tout ce qui avait une peau verte, puis comment expliquerais-je cela à Nuilë. Même quitter Oranan sous cette apparence, je ne vais pas pouvoir le faire.
Non, je ne vais rien pouvoir faire de cela. Oui, il me faut retourner sur Yuimen et y vivre où vivrait une peau verte : à Omyre... Cette simple pensée me dégoûte et me fait peur, aller vivre à Omyre, la ville d'ombre. J'ai promis d'apprendre, c'est une occasion unique d'apprendre de mes ennemis. Puis Naral a raison, si je veux savoir réellement qui est Oaxaca, il me faut me rendre auprès d'elle. C'est donc à Omyre que je trouverais une réponse.
Je sèche mes larmes et me lève, arrachant mon regard à la porte spatiale pour descendre de la tour vers le lieu de la fête. Si j'ai bien compris, nous avons chacun un coffre qui nous attend, avec nos affaires, en bas près des statues aperçues au loin. Je refais le trajet de la veille, dans le calme. Il n'y a que peu de monde et on se contente de me saluer poliment. Parvenue à l'extérieur, je passe le pont, profitant de la douce sensation du vent ma peau épaisse, moins sensible que celle d'elfe.
(Il te faudra un nom chez les Garzoks !) "Lisha, ce sera mon nom."
Saluant le garde, je m'approche des statues. Je constate avec une légère pointe de regrets que j'ai connu bien peu les autres aventuriers. Je reconnais la statue d'Azuha, l'émissaire que j'ai laissé à Andél'Ys; Therion, le liykor noir, l'ancien esclave que j'ai libéré; Kiyoheiki et Karz bien sûr; ainsi que le marin d'eau douce dont j'apprends seulement son nom : Gavin. Ainsi que le squelette, Azra, un personnage bien étrange que j'espère rencontrer à nouveau, dans des circonstances moins bizarres. La dernière statue est la mienne et je ne peux m'empêcher de trouver la pose totalement ridicule, accroupie au sol, une main à plat et l'autre levée. Le sculpteur a fait un travail splendide, représentant la moindre de mes cicatrices, mes branches et feuilles avec une précision surprenante. Trop précise, bien trop précise par rapport aux autres d'ailleurs. Par Yuimen, quelle est cette blague ? En regardant de près, il ne fait pas le moindre doute que cette statue est un moulage, un moulage de mon propre corps. Je contemple un moulage de mon cadavre conservé dans l'or ! J'éclate de rire, songeant que la prochaine fois que je crève, il me faudra trouver une pause plus classieuse que celle-là, parce que je suis vraiment ridicule.
Ouvrant mon coffre, je récupère mes affaires, mêlées à d'autres plus récentes. J'enfile tout cela, appréciant le confort d'une armure elfique complète toute neuve, faite dans un métal que je ne connais pas, sans doute un cadeau d'Ejude et Kithra. Sans être une armure de plate, trop lourde et bruyante, ce mélange de mailles et d'écailles me protègera mieux que mon vieux plastron de cuir et que mes autres pièces améliorées tant bien que mal par Argaïe. J'enfile au-dessus ma cape à épaulières et y trouve l'orbe de Yuimen, intact, et dans mon sac le livre de Leona.
(Que vas-tu en faire de ces deux liens entre la Lothindil de la statue et Yuimen ?) (J'en sais rien, les prendre, je suppose, ils sont à moi.) (Lisha la Garzok aurait-elle pris ces trophées ?)
La Garzok, il me faut devenir une Garzok, il me faut penser comme penserait Lisha la Garzok, Lisha celle qui a vaincu Lothindil la guerrière de Yuimen. Cette simple pensée me rend mal à l'aise, pourtant, au fond de moi, je ne me doute que trop bien que c'est ainsi que je serais vue. Je vais devoir jouer, mieux incarner, devenir même celle qui m'a tué. Je vais devoir m'inventer une histoire, une vie, un passé... Je vais devoir être celle qui a détruit mon passé tout en me créant un avenir nouveau.
"Non. Elle aura pris les armes, les armures, les bijoux puissants. Pas le reste. Je vais laisser ici ce que je viendrais chercher plus tard."
Il s'agit de faire le tri une bonne fois dans mon sac, prendre juste ce que Lisha aurait pris, rien de plus, à savoir : le baume paralysant, les runes, l'arcane, mon briquet d'amadou, mes fluides de terre, ma gourde, les potions, champignons, sacoche d'herbe ainsi que la boucle de nombril et le bracelet déposé à mon attention; et bien sûr toutes mes armes, y compris la dague d'argent de Vraithel'Ar; ainsi que les bijoux qui vont avec.
(Bon, on fait quoi maintenant ?) pensé-je en refermant mon coffre, y laissant mon ancienne vie. (T'avais dit Omyre.) (Et sur place ? On fait quoi ?) (On verra en route...)
Le sac plus léger, mais l'esprit plus tourmenté, je tourne le dos aux statues des héros et quitte la place, laissant Astinor prendre possession du corps, n'imaginant que trop bien quelle sera la réaction des Ynoriens s'ils voyaient un Garzok sortir d'un fluide au coeur de leur milice. D'une patte plus assurée que mon coeur, Astinor touche le fluide, laissant Anouar s'occuper du trajet...
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Je suis aussi GM14, Hailindra, Gwylin, Naya et Syletha
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