Ma tirade ne semblait pas avoir d’effet sur l’hôte menaçant qui, toujours dissimulé sous le couvert des épais ramages du labyrinthe feuillu, se murait dans un silence inquiétant. La peur enflait sans cesse, affluait comme un raz-de-marée qui dévastait tout sur son passage. J’en venais à regretter cette vaine tentative de donner un sens à ma vie… Quel sot j’avais été de croire que je pouvais peser dans la balance. Moi l’humble et replet Sinari, fils de bonne famille n’ayant jamais connu de réelle épreuve j’ai eu la bêtise de croire en un potentiel inexistant… Je ne pouvais déjà pas ma sauver moi-même, alors sauver un monde tout entier ? Les larmes perlaient au creux de mes yeux, brouillaient ma vision tandis que mes genoux fléchissaient au fur et à mesure que je comprenais que tout ceci n’était qu’une erreur…
(Je n’ai rien à faire ici, je ne puis être utile… être le poids-lourd semble être inné chez-moi.)La voix tonna une nouvelle fois, lourde de menaces elle nous ordonnait de décliner nos identités et nos réelles motivations. L’homme s’approcha alors, passant devant moi et se posta au milieu de la clairière. Il se présenta, argua le fait qu’il était un allié des Golems et que le drainage qui tirait le monde vers une fin certaine emporterait tout, sans distinction.
Il s’arrêta là, un peu pantelant, la peur suintait de lui mais il avait pris les devants, s’était surpassé malgré tout… Voilà en quoi consistait le véritable courage. L’homme qui de la peur n’entend jamais la rumeur au plus profond de son être n’est qu’un sot quand il brave le danger. Seul celui qui, en connaissance de cause, décide d’agir peut réellement se targuer d’être courageux, valeureux…
Méraxès se glissa à côté de Kalas et lui chuchota quelques mots quand une nouvelle injonction brisa le silence. Un instant de flottement et tout failli basculer dans un registre sanguinolent. Une pic de quelques centimètres vola à un cheveu du visage de l’elfe avant que la voix ne résonne de nouveau, elle défiait l’elfe de recommencer ses messes-basses, que le cas échéant elle lui ficherait une pic, dans son œil.
Je regardais les frondaisons avec appréhension, une lueur de panique dans les yeux. Cette menace qui planait sur nous, invisible et pourtant bien réelle me laissait craindre le pire. Le vent soufflait et laissait entendre ses murmures. J’essayais de me calmer, d’écouter la voix de Rana qui était apportée par son souffle qui balayait la surface de monde. Je fermais mes yeux et projetais de reprendre la parole, convaincu que le discours du jeune homme n’aura pas suffi quand la voix sonna une nouvelle fois. Elle loua Kalas pour son honnêteté et le convia à la suivre avant de rajouter on sans une pointe d’hostilité que Méraxès et moi pouvions nous joindre à eux.
Je ressentais alors un sentiment nouveau, il foulait pour la première moi mes pensées et comme sa consœur la peur, me susurrait de sombres paroles… J’enviais Kalas qui avait su, par l’art des mots, convaincre l’hostile hôte qui nous menaçait… Cet art était mon domaine et voilà que j’étais surpassé par un jeune freluquet… Mon regard se faisait plus dur quand je regardais l’homme qui semblait dorénavant soulagé. Je me savais reconnaissant envers lui, une dette de sang nous liait car ce fut par sa verbe que ma vie se prolongerait, ne serait-ce qu’un peu et pourtant… Lui qui de la vie n’avait connu qu’une infime partie… Lui qui pour l’heure n’était encore qu’une jeune pousse… avait su retourner à notre avantage la situation qui promettait d’être désastreuse, mieux, il avait su amadouer la mystérieuse hôte qui s’apprêtait à nous mener à notre destination.
(Ce devait être moi et non pas lui… Est-ce là une punition Rana ? Un signe que mon ère est révolu ? Que je ne suis plus qu’un rebut inutile ? Un poids-mort… ?)J’étais plongé dans mes pensées, de sombres idées fusaient en moi, me murmurait que j’étais inutile, que je n’avais pas ma place ici, ni nulle part sur ce monde étranger… Ma place était auprès de Talic, en sécurité à l’auberge du pied-levé… Je n’étais d’aucune sorte d’utilité ici, pire je ralentissais mes camarades, comme pour la traversée du gué… Je portais une main au précieux don que m’avait donné la reine d’Ilmatar et songeais à partir… A regagner cette ville pour trouver ensuite un convoi pour retourner en le monde qui était le mien.
Ce fut à ce moment que la femme se dévoila, sortant du couvert des arbres et braquant sur nous un regard dur et froid. Je reconnaissais en elle une lutine, bien que je ne fusse pas habitué à voir plus petit que moi, cette femme ne devait excéder les cinquante centimètres. Ses cheveux étaient de feu et s’accordaient à merveille au pelage de sa monture. Elle était juchée sur un regard au corps constellé de cicatrices. Il était plus imposant que la moyenne et de lui comme de sa maîtresse émanait une aura de combattants aguerris, rompu aux arts du combat.
L’elfe présenta ses plus plates excuses tandis que la lutine nous ordonna de la suivre d’un bref cri et commença de partir sans regarder en arrière. Kalas nous invita à le suivre alors, comme le ferait tout chef de groupe. Je n’avais jamais vraiment planché sur la question mais cela ne me plaisait guère… Certes il semblait être un bon combattant, et son discours venait de nous sauver la mise mais… je ne pouvais me faire à l’idée que ce juvénile damoiseau prenne ainsi les rennes…
La jalousie me soufflait à l’oreille d’agir, de faire en sorte de se débarrasser de la source de tous mes maux… Qu’il serait plus aisé de sauvé le monde sans cet obstacle qui osait agir en chef… La peur quant à elle me conseillait la prudence, il allait se révéler un adversaire de taille et je ne devais agir sans préparation. Une dernière voix perça la brume qui engourdissait mon esprit, elle me sommait de renoncer à ses sombres pensées, de devenir celui que j’avais toujours voulu devenir, un être entier, fier de lui et non plus rongé par ces sentiments destructeurs. Je devais me fier à Rana, à ses enseignements, n’écouter qu’Elle, ne croire qu’en Elle…
Mon cœur se comprimait tandis que ces sentiments aux buts divergents s’affrontaient avec acharnement… Je ne savais plus que penser, que croire ou que faire… J’étais balloté par des émotions qui cherchaient à faire prévaloir leur avis au détriment des autres. Devais-je succomber aux affres de la jalousie et de la peur ou m’appuyer sur cette foi aveugle qui m’avait amené à risquer ma vie pour un monde que je ne connaissais pas… Ces gens n’étaient rien pour moi, ils ne le seraient jamais.
Résonnait en moi plusieurs sons de cloches mais l’un d’eux finissait par se démarquer, son timbre était pur comme le cristal, immaculé tel la neige. L’un des enseignements les plus précieux de Rana était qu’il n’y avait pas de véritable foi sans doute, pas de véritable courage sans peur. Les voies de la Déesse pouvaient se révéler impénétrables mais douter était le signe de la réflexion. Continuer à croire en Elle était donc une volonté personnelle qui puisait son origine en ma propre conviction. Je n’étais pas obligé de suivre cette voie, à aucun moment je ne fus véritablement forcé de partir pour Elysian… Tout cela découlait donc de mon moi le plus profond, ce n’était pas un simple concours de circonstance et Rana n’était peut-être pas derrière moi à chaque instant. D’Elle j’avais beaucoup appris mais je devais pouvoir vivre par mes propres moyens, voler seul comme l’oisillon qui un jour quitte son nid pour découvrir de nouveaux horizon…
Je savais que je continuerais à vivre selon Ses préceptes mais j’avais maintenant acquis cette certitude que c’étaient mes choix qui m’avaient conduit ici, mon destin m’appartenait et je n’étais pas le jouet de la volonté de Rana. Je me sentais à la fois libéré et plus serein. Ma foi en Elle s’en trouvait renforcée et j’étais alors envahi d’un sentiment de plénitude. Mon esprit n’était plus assailli par ces émotions nocives et je ne nourrissais plus le moindre sentiment d’animosité à l’encontre de Kalas.
Je me rapprochai alors et le remerciais tandis que Méraxès questionnait notre guide sur la présence d’elfes dans les bois. Il semblait inquiet qu’ils n’aient quitter leur territoire et avant qu’elle ne réponde, je lui faisais également part d’une interrogation :
« Les bêtes que nous avons rencontré dans la forêt étaient maléfiques, anormales… L’atmosphère elle-même est malfaisante, néfaste… Je ne sais pas pour mes compagnons mais j’ai été pour ma part le jouet de pensées tout aussi sombre que les ramages de ce bois et je me demande si un sortilège n’aurait pas été lancé sur la forêt. Dans mon monde, un cas similaire s’est opéré suite à un conflit entre des elfes sylvains et des elfes noirs nommés Shaakts. Les Shaakts sont parvenus à corrompre une grande partie de la forêt de Khonfas qui est maintenant le théâtre d’horreurs sans noms… Comme les cervidés viciés que nous avons combattus. Car peut-être pourrions-nous trouver un quelconque indice sur le drainage, peut-être ces évènements sont-ils liés. »Il était presque certain pour moi que c’était le cas mais je préférais obtenir l’avis d’une résidente permanente de ces bois, elle serait plus en mesure de nous informer de ce qui se tramait ici.
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