Trà Thù, juste avant de se présenter au groupe, m’assura son soutien dans cette sombre affaire. Cela faisait déjà un allié dans ce pays inconnu, peuplé de déprimés chroniques à la pelle ou à la pioche aussi humide ou froide que leur âme souillée d’une malédiction sans nom. L’encapé de sombre prédit même qu’il serait préférable, pour l’instant, de se séparer pour récupérer le plus d’informations possibles pour réaliser au mieux cette quête mystérieuse d’enquête séditieuse. L’inclinai la tête en guise d’assentiment, et reportai mon attention sur le mineur à qui j’avais adressé la parole. Il n’avait même pas daigné lever la tête pour me regarder, et je lui lançai un regard courroucé, avant de me détourner de lui et de son mutisme déplacé. Nous étions là pour les sauver, après tout. Bien sûr, j’imaginai qu’il était sourd, ou que ses oreilles étaient complètement bouchées de cire mielleuse nommée poétiquement cérumen.
Pestant intérieurement contre ce revers de fortune, ce vent malpoli, j’écoutai les autres ses présenter. L’homme masqué s’appelait Serpent, et affirmait sont but assez clairement : la prospérité et la renommée faisaient ses objectifs délibérés. Son masque n’était donc pas là pour cacher son identité, qu’il voulait réputée, mais servait plutôt à se faire distinguer. Peut-être. Sa compagne rouquine s’appelait Depheline. Je notai la curieuse façon qu’elle avait à parler pour ne pas dire grand-chose, citant le nom de son origine pour s’en prémunir aussitôt comme un avertissement aux rumeurs qui pourraient circuler sur son appartenance à la cité qu’elle avait dénommée. Darhàm. Un port pirate célèbre, ville déchue sous la coupe de la Reine Sombre. Je comprenais qu’elle veuille s’en discerner, mais pas qu’elle l’ait cité. Car si on ne choisit pas d’où on vient, on peut choisir de le révéler. Elle n’en avait pas l’air pour autant sympathique et ouverte. Et à son tour, imitant mon initiative vaine et sans résultat, elle apostropha un mineur pour lui soutirer des informations sur ce que nous allions pouvoir trouver ici, sous terre. Elle n’eut pas de réponse plus éloquente que celle que j’avais moi-même récoltée. Mais au moins avait-il daigné lever la tête vers elle. L’attrait du corsage coloré, à n’en pas douter. Ou de son contenu.
De son côté, l’autre rousse au cœur noir se disputait avec une petite demoiselle ailée, qui voletait difficilement contre les tourbillons violent d’un vent puissant. Les rafales l’obligeaient à s’accrocher à ce qu’elle pouvait, et soudainement, elle se présenta à tous comme l’envoyée de notre commanditaire, Sir Siltröm, qui s’excusait de son absence. Elle nous indiqua l’entrée de la mine sans plus tarder, avançant son impatience palpable d’y entrer pour régler le problème au plus vite. Ou cesser d’être battue par les éléments déchainés par la tempête, peut-être. Un mineur s’avança, le genre d’être plus assuré et imposant de charisme que les autres péquenauds qui pelletaient silencieusement. Un dirigeant de la mince, comme le confirma très vite Zacharov l’aldryde, non sans une pique acérée au bout de sa petite langue.
L’homme se rembrunit légèrement à cette remarque acerbe, mais n’en commença pas moins un discours qui m’intéressa au plus haut point. Après tout, c’était le premier mineur doté de parole que je rencontrais. Je m’avançai vers lui alors que notre déléguée-commanditaire se dirigeait vers l’entrée qu’elle avait pointée. L’humain déplora l’inexpérience ostensible de la fille-ailée, et proposa de montrer à tout un chacun ce qu’il avait découvert dans la mine. Curieux, et avide de prendre le plus de renseignements possible sur ce qui nous attendait avant de descendre dans ce trou obscur inondé de mystère morbide, je le suivis jusqu’à l’arrière de sa tente, alors que l’homme-tigre affirma être là pour des raisons personnelles et intimes, se moquant ouvertement du sort des mineurs du campement. Un égoïste individualiste sans aucune compassion. Un opportuniste ne cherchant que le profit personnel, au nom de sa divinité enflammée, qu’il venait de citer. Je tâchai de le noter quelque part dans mon esprit, afin de ne pas oublier, le moment venu. Ce semi-animal n’était pas une personne altruiste, qu’importe ce qu’il en dise.
La guerrière à l’arme imposante s’avança vers moi, et me demanda si mes souvenirs la concernant étaient présents. D’une manière qui me fit presque sourire, par ailleurs. J’opinai lentement du chef tout en la regardant fixement dans les yeux, en déclamant doucement :
« Je me souviens de vous, et je peux affirmer que ce n’est sûrement pas notre dernière nuit de folie… »
Le sous-entendu était palpable, bien sûr. Et pas très finaud, pour le coup. Je me parai d’un bref, très bref sourire narquois. Et afin de me soustraire aux présentations presque forcées, et afin de ne pas passer pour un sombre emmerdeur misanthrope, je déclamai à mon tour mon nom à l’assemblée.
« Je me nomme quant à moi Selen Adhenor. Et je préfère l’action préparée à réfléchie à celle hâtive que vous proposez, maître tigré. »
Imageant mes propos par la poursuite de mon avancée sur les traces du mineur, je laissai le fauve rejoindre la femme-ailée dans la grotte sombre. Il m’emmena jusqu’à une bande large de tissu posée à même le sol, sur laquelle étaient disposés cinq cadavres, dont quatre étaient emballés dans un tissu mortuaire. Le dernier offrait à la vue les stigmates horribles de sa mort. Le visage de l’être nécrosé était arraché dans son entièreté. Un trou béait à la place de sa mine, si bien que je ne sus en rien déterminer son sexe. Le cerveau de l’être avait été prélevé, dévoré, volé. Et l’intérieur de son crâne luisait comme s’il avait été nettoyé. Léché goulument par un fatal gourmand. Un frisson me parcourut l’échine, mais je n’en montrai rien, concentrant juste mon regard d’émeraude sur la cage thoracique défoncée de l’intérieur de l’être. Plusieurs solutions étaient dès lors envisageables. Après que le mineur ait exposé ses dernières explications sur l’incompréhension de cette mort, et affirmer l’état évident de choc de ceux qui avaient survécu à cette abomination, j’énonçai à voix haute, comme pour moi-même, les possibilités qui m’étaient venues en tête.
« Il ne s’agit sûrement pas d’une créature humanoïde. Elle est soit assez petite, mais costaude, pour entrer dans le corps de ses victimes pour les dévorer de l’intérieur, et en ressortir aléatoirement en déchirant chairs et os. Ou très grande, et munies de tentacules à crochets, permettant d’éviscérer ses victimes en y engouffrant ses membres souples et acérés. »
Aucune horreur dans ma voix, malgré le morbide effrayant de ma description. Que ceux qui n’avaient pas le courage d’affronter de tels monstres ne s’aventurent pas plus avant dans ces mines de l’horreur. Car ils n’en ressortiraient que sans cervelle, ou sans cœur.
Milyah, de son côté, ne sembla pas se préoccuper plus que ça des horreurs la scène, puisque s’approchant du cadavre, elle glissa sur la fange boueuse et s’écrasa de tout son poids sur le corps putréfié et abimé de ce mort mal embouché. Une odieuse odeur de mort se répandit autour d’elle. Je la regardai, écœuré.
« Relevez-vous, voyons. Vous aurez assez à étreindre la mort dans ces mines pour déjà le faire ici. »
Je me tournai alors vers le chef des mineurs, afin de le questionner à nouveau :
« Pourriez-vous nous fournir de quoi survivre dans un environnement minier ? Je parle de cordes, de lanternes, de pioches ou de vivres diversifiés. Les armes, nous en avons tous déjà en notre possession. »
Un camp de mineur devait certainement posséder ce que j’avais demandé…
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- Selen Adhenor -
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