Tips était curieux de savoir ce qu’était cette invention étrange que Midori décrivait comme la meilleure qui soit, après le thé. Il n’avait pour rien au monde avait entendu parler de chocolat, dans ses montagnes gobelines, ni même durant son court séjour à la campagne. Ce devait être un met citadin, très certainement, et il opina vivement du chef à la proposition de la cuisinière sympathique.
Le petit être vert s’approcha de la casserole remplie d’eau bouillonnante, dans laquelle un autre récipient contenait une masse semi-liquide brunâtre émettant quelques bulles de chaleur. Regardant la vieille poêler ses crêpes, il se permit de s’emparer d’un des doigts de sa propre main droite. Enfin propre… tout était relatif. Il l’avait tout d’abord essuyé à sa gabardine usée, tout simplement. Et il introduisit ce doigt dans le chocolat fondu, avec curiosité. La sensation était étrange. Douce d’abord, et onctueuse, puis, directement après, beaucoup moins agréable : brulante. Il retira vivement sa main de la casserole, réprimant un petit cri. Son regard paniqué se dressa sur son index désormais recouvert de cette même substance brunâtre, qu’il porta à sa bouche.
Le goût était lui aussi surprenant. L’amer prenait le dessus, dans les premiers instants, avant de laisser place au sucré et à l’onctueux. C’était inattendu, et la grimace qu’il avait faite au premier abord se changea vite en mine réjouie. C’était plutôt bon, et surtout totalement nouveau. Tips surmonta tout de même son envie pressante de remettre son doigt échaudé dans le petit récipient bouillant pour écouter avec un intérêt non feint les explications de la vieille dame.
Elle affirmait qu’elle lisait les pouvoirs des gens dans d’étranges boules de thé. Elle lui proposait même de préparer un rituel pour confirmer ses hypothèses, rien que pour lui. Ça avait l’air drôlement dangereux, et passablement mortel. Il était terrifié par cette idée, et pourtant, d’une petite voix, il ne put s’empêcher de répondre :
« Oh ouiii ! Je veux bien ça ! »
Il la regarda ensuite servir les crêpes à table, et lui tendre le pot de chocolat recouvert d’une serviette pour ne pas qu’il se brûle à nouveau, et Tips s’empressa de s’en emparer pour l’amener sur la table. Il s’empara alors d’une des fameuses crêpes, et l’enduisit généreusement de ce succulent chocolat fondu, avant de la rouler sur elle-même. Aussitôt, il en engouffra un morceau, avant de gémir d’un plaisir non feint. C’était succulent. La pate chaude et souple au gout sucré attendrissait le côté amer du chocolat, tout en complétant sa douceur en l’accentuant avec délectation. Il n’avait jamais rien mangé de tel, et se promit un peu naïvement de ne plus manger autre chose jusqu’à la fin de ses jours. Mais il ne voulait pas faire attendre plus longtemps la vieille Lumbo, et le petit gobelin se leva de sa chaise en emportant avec lui sa crêpe dégoulinante de chocolat. La bouche encore pleine, il s’excusa :
« Che reviens tout de chuite ! »
Les postillons qu’il émit le convainquirent de se taire, et il fit volte-face pour se précipiter dans le couloir, prenant la direction qui lui avait été indiquée pour se rendre dans le bureau de la vieille ridée. Lorsqu’il fut devant l’imposante porte, qui le fit frémir de tout son être, ne fut-ce que par son statut de porte, il déglutit bruyamment avant de prendre son courage à deux mains, et de frapper trois petits coups secs sur le bois de celle-ci, espérant de toute son âme qu’elle ne se transformerait pas en monstre gigantesque et meurtrier. Sans même s’en rendre compte, il venait de l’éclabousser de quelques gouttes de chocolat, qui par ailleurs avait dégouliné sur tout son chemin, à l’intérieur de l’Horloge, laissant une trainée brunâtre odorante sur ses pas…
La crêpe à la main, il attendait la réponse qui lui permettrait d’entrer.
_________________
"Le coeur grossier de la prospérité ne peut comprendre les sentiments délicats de l'infortune..."
|