<Les rues de Kendra Kar>Une fois que nous étions sortis de la ville, Alex s'écarta du chemin et plongea dans un immense champ de fleurs variées. Je le suivis. Nous restâmes longtemps, allongés au milieux des fleurs, reprenant notre souffle, essoufflés par cette course effrénée.
(C'est donc ça les champs de calices... C'est magnifique... Moi qui ne suis jamais sortie de Kendra Kar...)Alex se mit à rire doucement, puis de plus en plus fort, jusqu'à éclater de rire en se tenant les côtes. Sans savoir pourquoi je me joignis à lui et nos rires se mêlèrent, joyeux, au milieux des fleurs multicolores. Il se redressa, baissa les yeux sur moi, et essuyant la larme qui perlait au coin de son œil il murmura :
« C'était fantastique! »Je me redressai, et me laissai tomber à nouveau, inspirant avec délice les parfums mêlés des fleurs.
« Dis moi... Tu sais tirer à l'arc ? » me demanda-t-il en observant mon arme.
« Eh bien... Pas vraiment à vrai dire. Toi si ? »« Tiens suis moi, je vais te montrer quelque chose... »Il se dirigea vers un arbre, et intriguée, je le suivis.
« Tu vois cette pomme ? » demanda-t-il en la désignant du doigt.
« Oui... Pourquoi ? »« Je voudrai la manger. Tu pourrai me l'attraper? »« Je ne peux pas. »« Tu es sûre? »« Bien sur, tu vois bien que je suis beaucoup trop petite... »« Tu as un arc, non ? »Je compris enfin où il en venait. Je saisi mon arc, tirai une flèche de mon carquois et la plaçais.
« Je dois... Placer les doigts comme ceci ? »« Peu importe, tu dois fermer les yeux et sentir ton arc. Ouvre les yeux et vise. Tu n'as pas besoin de théorie. Décide de viser cette pomme, et fais le. »
Je m'exécutai. Tendis mon bras droit. Détendis mon épaule. Posai la flèche sur mes doigts, et de la main gauche la tirais en même temps que la corde. Lorsque j'obtins une tension convenable, j'ouvris les yeux et visai la pomme. Je détendis mes doigts et lâchais la corde, qui vibra dans ce son qui allait me devenir si familier.
Je ratai la pomme, bien entendu. J'avais encore eu l'espoir de réussir du premier coup. Je persévérai, et réessayai avec application, toujours sans succès. Je ramassai les flèches misérablement tombées autour de l'arbre, et réitérais inlassablement mes essais. Cela m'agaçait, je m'énervais, tirais encore une fois, ratais, et laissais tomber mon arc au sol. Je lançais un regard de désespoir à Alex, qui couché à la romaine au milieu des fleurs, attendait patiemment sa pomme.
« Je ne m'y connais pas beaucoup au tir à l'arc, expliqua-t-il, mais je crois que c'est un peu comme à l'épée. La précipitation ne mène à rien. Il faut allier instinct... Concentration... Précision. »Alex se leva, me prit les flèches des mains, et se rassit en tailleur un peu plus loin. Il m'en avait laissé trois.
« Vas-y. Concentre toi. »Bon. J'inspirai calmement, me mis en position, plaçais correctement mes doigts déjà rouges et irrités suite à mes nombreux essais. Je pris le temps de ralentir ma respiration pour bouger le moins possible, détendis tout mes muscles, et lorsque je me sentis totalement prête, je tirai. Ma flèche rata sa cible, mais de près : la pomme vibrait encore d'avoir été frôlée.
Je recommençais encore, redoublant de concentration, a tel point que j'en arrêtais presque de respirer. Lorsque je lâchais la corde, la flèche se dirigea tout droit vers la pomme tant convoitée, et s'y planta en plein cœur. Je laissais s'échapper un petit cri de victoire en voyant la pomme se balancer d'avant en arrière, transpercée par une de mes flèches. Il ne me restai plus qu'à la faire tomber, de ma dernière flèche. Une fois de plus, je concentrais toute mon attention, et tirai. La pomme tomba enfin, se détachant par la force de mon projectile qui la traversait.
Avec une satisfaction que je ne masquai pas, je récupérai les flèches plantées dans la pomme, et lançais le fameux fruit à Alex.
L'attrapant au vol, il s'exclama :
« Enfin! J'aurai pu mourir de faim trois fois » Il croqua enfin le fruit avec régal, et mâcha la chair juteuse.
« Il ne te reste plus qu'a t'entrainer pour ne plus jamais rater ta cible. »Puis, baissant les yeux sur mes mains, dont les doigts étaient brulés par les tentatives répétées, il ajouta :
« Mais... Je pense que c'est suffisant pour aujourd'hui. »J'acquiesçais et croquais à mon tour dans la pomme qu'il me tendait : mon trophée.
Assise aux milieu des hautes fleurs, je massai les doigts de ma main droite, douloureux et irrités à cause du frottement répété des flèches. Ils avaient saigné un peu, mais ça n'avait pas duré longtemps. Alex pendant ce temps là, fendait l'air de son épée.
« Alors ma belle, explique moi ce que tu fais à Kendra kâr, seule ainsi? » demanda-t-il, tout en continuant son mime, les yeux rivés sur un adversaire invisible.
Je l'observais dans son combat contre l'air : il était plutôt agile, et semblait posséder la dextérité d'un bon combattant. La position de ses jambes légèrement fléchies amortissait ses déplacements, sa main gauche enserrait l'épée avec force et son bras souple effectuait des mouvements techniques. Son bras droit bougeait au même rythme, équilibrant sa posture offensive. Des petites rides du lion, marquées par la concentration, se formaient au dessus du nez, son visage et son cou étaient déjà luisants de sueur.
« Eh bien... Depuis toute petite je rêve d'aventure, mais mes parents n'ont jamais apprécié cette idée. J'ai enfoui ce rêve pendant plusieurs années jusqu'à il y a quelques jours. Je me suis enfuie à l'aube... Ce n'est pas plus compliqué que cela... » La voix essoufflée, il ajouta sur un ton un peu méprisant :
« Tu n'as pas de but alors ? »L'espace de quelques secondes me suffit pour saisir un bâton, me mettre debout sur les talons et lui lancer une attaque qu'il para avec facilité. Nous échangeâmes quelques coups lents, pendant je que lui répliquais :
« En quoi la soif d'aventure n'est-elle pas un but suffisant à tes yeux? Je veux voir les montagnes enneigées, les plaines verdoyantes, les forêts dorées...(J'esquivai de justesse son coup droit ) Mon seul but est de ne pas gâcher ma vie en restant isolée au même endroit comme l'ont fait mes parents. Je suis différente d'eux. (La cadence s'accélérait) Depuis que je suis petite ils me le répètent, je suis trop différente de mes frères et sœurs il n'aiment pas ça. (Je tombai dans sa feinte, sentis sa lame effleurer mon bras, commençait à perdre le fil de l'échange: il esquissait désormais des mouvements plus rapides) Tu oses me parler de but avec mépris mais tu ne sembles pas en avoir davantage que moi ! »
Sur ces derniers mots, il effectua un balestra, se rua vers moi et frappa verticalement mon bâton avec force, qui se rompit en deux sous l'impact. Il plaça son visage juste en face du mien, si près que nos nez se frôlaient presque, me regarda noir, droit dans les yeux.
« Ne dis pas des choses comme ça. Tu n'en sais rien. »Il rangea son épée dans son baudrier, recula son visage du mien. La colère qui avait enflammé sa figure quelques secondes plus tôt avait maintenant laissé place à la tristesse. Il s'assit au sol en tailleur et je m'allongeai à ses cotés, posant ma tête sur sa cuisse.
« Excuse moi. » murmurais-je.
Après plusieurs minutes de silence il m'expliqua :
«Mes parents sont de riches marchands. Mais, hélàs, ils ne tiennent pas leur fortune que de leurs ventes de textiles. Au début j'avais des doutes. Puis je me suis mis à les espionner. Je n'ai pas mis très longtemps à comprendre. »Machinalement, il attrapa une mèche de mes cheveux et l'enroula autour de son doigt, puis poursuivit :
« Il fait... Du commerce... D'humains. »Comme je frémissais, il posa sa main sur mon bras avant de continuer:
« Il est très influent. J'ai voulu le dénoncer, il m'a accusé de mensonge. Personne ne me croit, mais c'est vrai pourtant! Je ne ment pas...Mais ces idiots sont aveuglés par ses beaux vêtements et ses richesses. Ma mère ne se doute de rien. Elle le soutient. Je n'ai qu'un but, me venger. Me venger de ce qu'il fait, ce commerce honteux. Me venger de la honte qu'il a posée sur moi. Mais pour ça, je n'ai qu'une solution. Le défier à la loyale, et pour ça, j'ai besoin d'être un bon épéiste. »Je tripotais en silence les lanières de ses bottes. Le soir tombait, tout en gardant les jambes croisées, il s'allongea, puis sombra dans un sommeil profond dans lequel je ne tardais pas à le rejoindre.
Le lendemain, à l'aube, je m'éveillais lentement. Il faisait désormais plus frais, je frictionnais mes bras avec énergie pour les réchauffer un peu. Je levais délicatement la tête de la jambe du jeune kendran pour ne pas le réveiller.
Je passai la matinée à tirer à l'arc inlassablement. Me familiarisai avec la position et commençais à savoir doser la tension de la corde en fonction de l'inclinaison de ma visée. Bien qu'il m'arrivait encore souvent de rater ma cible, je m'estimais désormais capable de maitriser des tirs précis. Même si j'avais encore besoin de beaucoup d'entrainement pour devenir une bonne archère, les mouvements me devenaient plus naturels.
« Nom de Yuimen! » S'écria Alex, redressé et à peine réveillé.
Il se frotta vigoureusement les yeux avec les poing, bailla, s'étira, se leva.
« Le soleil est déjà presque à son zénith! » Constata-t-il
Il enroula ses bras autour de moi et murmura : « Bonjour toi »
Je souris en me libérant de son étreinte, et proposais d'aller à la taverne.
« Ça tombe bien, je meurs de faim! » affirma-t-il
<La taverne du paladin>