<Auberge de la TG>A peine eus-je franchi la porte de sortie que je laissais mon estomac s'exprimer, brûlant ma gorge en éjectant une vague acide et malodorante. Une première fois, puis une seconde. Quoi de plus efficace que de vider un poids pesant sur l'estomac pour se sentir mieux ensuite? Malgré qu'un peu tremblante, fatiguée et écœurée, je me sentais déjà mieux.
Je joignis mes mains en forme de coupelle de manière à récupérer de l'eau dans une flaque, et m'en aspergeais le visage, tant pour me rafraîchir que pour débarrasser mes lèvres de cette matière répugnante.
Je m'assis alors en tailleur, adossée à un mur, et soupirai plusieurs fois pour tenter de détendre mon corps crispé. Plaçant les paumes de main distinctes d'une dizaine de centimètres, je matérialisais un petit morceau de glace que je posais sur ma bosse, dans l'espoir d'atténuer un peu la douleur.
Je fermais finalement un peu les yeux, et pris le temps de me reposer de ce réveil difficile, laissant l'air frais emplir mes poumons. Je tressaillis lorsque je me sentis observée, et ouvrit les paupières. Une jeune femme me faisait face. Une elfe, d'une beauté rare mais propre à la race elfque, dont les longs cheveux noirs, presque bleus foncé encadraient le visage fin et clair. Ses yeux étaient presque transparents, d'un bleu plus transperçant encore que celui de mes fluides de glace. Ce fut la première chose qui ma marqua chez elle, en plus de sa tenue surprenante: une longue jupe voilée noire, bordée de petits motifs blancs, et un corset noir aux manches immaculées. Ses manches étaient sur-dimensionnées et le léger tissu vaporeux évoquait les tenues des nobles elfes.
- Qu'est ce que vous avez à tous m'observer pendant que je me repose? C'est pas vrai ça! Lui assenais-je agacée par son air volontairement mystérieux et inquiétant.
- Quel joli ruban tu-as là... Répondit simplement l'elfe, désignant du doigt le ruban doré qui tenait mes cheveux, cadeau d'Elina.
Je ne pus m'empêcher de rougir de gêne lorsque son index frôla mes cheveux. Cette personne dégageait une aura particulièrement étrange, et je m'en voulais désormais de m'être ainsi adressée à elle quelques secondes au part avant.
- Je t'ai vu faire de la magie. On ne penserait pas qu'une kender soit capable de cela.
Je tentais de masquer mon malaise, et ne répondit pas, attendant d'en savoir un peu plus sur elle avant de me risquer.
- Que dirait tu de me suivre? Proposa t-elle sur un ton suave mais autoritaire, plaçant sa main glaciale sur mon bras. L'espace d'une seconde, je songeais que si elle la posait sur ma bosse, cela me soulagerait surement, mais j'ôtais rapidement cette idée superficielle de ma tête, je savais que la situation était inhabituelle, et que je devais rester sur mes gardes.
- Non merci. Lui glissais-je, un sourire ironique sur le bord des lèvres.
- C'est ce qu'on verra.
Elle esquissa un signe de la main, et mon corps se leva de lui même et la suivit, sans aucune volonté de ma part. Inutile de lutter, je le savais : elle contrôlait mon corps, mais je ne pus m'empêcher d'essayer de me débattre tout de même, ce qui n'eut absolument aucun effet.
Je -ou plutôt mes jambes- la suivit jusqu'au renfoncement d'une rue calme, et, alors que je ne m'y attendais pas, un capuchon noir s'abattit sur moi et me plongea dans l'obscurité. De toutes mes forces, je tentais de m'échapper mais mon corps ne répondait toujours pas. A travers le tissu du sac qui m'englobait la tête, je saisissais des voix, et ralentis ma respiration pour pouvoir les discerner.
- J'ai trouvé celle-là, pas énormément de potentiel mais ça fera l'affaire.
- Quelle magie?
- Glace.
- Tu veux dire que ce petit truc là fait de la magie?
- Évite de te plaindre, ou la prochaine fois tu chassera toi même. Ce n'était même pas amusant en plus, elle est trop docile.
- Bon allons voir ça de plus près.
J'entendis alors des pas se rapprocher de moi, les uns aériens et légers, les autres plus lourds et déterminés. Bien que je ne puisse rien voir, étant enfermée dans ce sac en tissu, je sentais au fond de mon ventre que les deux personnes étaient désormais très proches de moi, bien trop proches à mon goût. J'essayais une énième fois de me libérer, mais mon corps subissait encore cet envoutement ankylosant.
Non ! Non, je ne pouvais me résoudre à rester là sans rien faire, j'avais encore trop de choses a vivre, je le savais. J'ouvris les yeux, que j'avais jusqu'à présent fermés de toutes mes forces, et il me sembla alors voir une silhouette. Rien de réel puisque j'étais toujours encapuchonnée, mais cette image était tellement palpable que je doutais de moi. Un homme. Un elfe plutôt. Qui me tournait le dos. Aux longs cheveux couleur neige. Sa peau était sombre, lisse, ses muscles étaient épais et imposants. Je fus irrésistiblement attirée par cette illusion, jusqu'à ce que je voie des gouttes de sangs perler sur la peau ébène, puis des jets, comme des blessures invisibles. Toute la silhouette se liquéfia alors en une marrée sanguinolente, et je ne pus retenir un hoquet de peur.
Je revins alors à la réalité : j'étais enfermée dans un sac, complètement paralysée, alors qu'une folle et un fou discutaient de mes compétences magiques.
C'est alors que j'entendis la femme, celle qui m'avait forcée à la suivre, pousser un gémissement de douleur. A ce moment précis, je sentis que mon corps me répondait désormais à nouveau, d'un bond je sautais sur mes jambes et ôtais le capuchon.
Elle se tenait le flanc, courbée de douleur, tandis que son compagnon, en position de défense, cherchait quelque chose du regard autour de lui.
Une jeune femme à la rapidité troublante surgit de nulle part, frôla l'homme, et disparut à nouveau au milieu de l'obscurité. Et tandis que j'observais l'homme et sa cuisse sanglante, l'elfe se préparait à se jeter sur moi. M'en rendant compte au dernier moment, je bondis en arrière tout en saisissant mon arc et une flèche, que je décrochais en direction de la cheville de cette sorcière aux yeux azurs. Pendant ce même temps, la jeune femme éclair s'était à nouveau ruée sur l'homme et lui avait entaillé le cou, pas suffisamment pour lui trancher la gorge, mais assez pour lui faire comprendre qu'il valait mieux s'enfuir. Ce qu'il fit, à toutes jambes, laissant sur place sa compagne l'elfe. Cette distraction me permit de décrocher une seconde flèche à l'attention de l'elfe, qui, plus précise que jamais, lui arracha le lobe de l'oreille.
Dans un déchirement de douleur, l'elfe se laissa tomber au sol, cheville transpercée et oreille mutilée.
- Allons-y !
Sans réfléchir une seconde de plus, je suivis la jeune femme qui m'avait sauvée de ce guet-apens. Tout en courant, elle m'annonça :
- Je t'emmène dans un lieu ou nous serons plus en sécurité. Je t'expliquerai tout ensuite.
Le ventre encore tordu de peur et de stress tant les événements s'étaient déroulés rapidement, je ne répondis pas et me contentait de courir le plus vite possible. De temps en temps, je jetais un coup d'œil en arrière pour m'assurer que la sorcière ou son compagnon ne me suivaient pas, et je serais les mâchoires à m'en faire mal au visage pour ne pas pleurer.
Enfin, après un temps de course effrénée dans les ruelles sombres de Kendra-Kâr, nous fumes face à une vielle battisse modeste, au semblant d'abandon. Volets cassés et fermés, façade sale, vielle enseigne à moitié décrochée et illisible. Jamais je n'aurais cru que quelqu'un puisse siéger ici, et pourtant! La jeune femme ouvrit la porte après s'être assurée qu'il n'y avait personne aux alentours – ce fut rapide, Kendra-Kâr était déjà endormie depuis longtemps- et m'invita à entrer à sa suite.
<Les habitations>