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Il était temps ! C'est ce que se disait Dicyn. Huit ans d'attente, déjà. C'était la finalité de longues heures d'entraînements. Pensant moins à lui qu'à sa famille et tandis qu''il marchait tranquillement dans les rues ensoleillées de Kendra Kâr, il résuma mentalement les positions de sa famille sur sa vie. Son frère, depuis une semaine l'évitait et lorsque Dicyn était à la maison familiale lui n'y était plus. Preuve de son opposition à l'admission de Dicyn dans la milice. La raison échappait totalement au guerrier, c'était peut-être de la jalousie ou de la peur. Alors que sa sœur restait silencieuse à ce sujet et ne laissait rien paraître comme à son habitude. Sa mère, elle, morte d'inquiétude priait sûrement chaque jour les dieux, les suppliants de forcer son fils à revenir à la raison. Finalement c'est son père qui a le mieux accepté le choix de notre jeune protagoniste, n'est-ce pas ironique ? Son impatience à voir son garçon devenir capitaine ne faisait aucun doute.
Beaucoup de vies fourmillaient dans les rues de Kendra kâr, vraiment. Notre protagoniste se trouvait entre le port et une auberge bien connu. Quelques épaules le bousculèrent dont une plus particulièrement, d'un coup d’œil la main calleuse de l'importun lui apparu, sûrement un marin empoté qui, de plus, sentait fortement un alcool exotique, mais il avança tout de même. Certains le racolèrent, mais il avança tout de même. Un homme apparut soudainement face à lui, en tentant de l'éviter, il percuta une autre personne et tomba au pied de l'inconnue. À quatre pattes, ni Dicyn ni l'autre ne bougeaient. Cet être humain portait un pantalon d'un blanc éclatant tout en étant pied nu. Ces pieds ne lui étaient pas méconnus, Rhor se redressa lentement. Un froid mystique lui glaça le corps. Au fur et à mesure qu'il se relevait l'inquiétude prit de l'amplitude. L'homme était torse nu. Ces mains, Ce ventre, ce torse, ces épaules et ce menton. Cette personne lui ressemblait grandement. Dicyn cligna des yeux. L'homme fuyait déjà ! Il avait une crinière couleur neige. Dicyn la bouche mi-close tenta de le poursuivre. En essayant vainement d'éviter les corps vivants qui composaient la foule, son jumeau, lui, s'éloignait de plus en plus. Le fuyard bifurqua finalement dans une ruelle à sa droite.
Dicyn rentra dans cette même ruelle et s'arrêta net. Sa proie était immobilisée par un mur qui lui faisait front, ils étaient dans un cul de sac. La « crinière blanche » était en train de tâtonner avec tristesse l'objet de son désarroi ; ce mur incontournable. La lumière avait du mal à éclairer ce chemin qui ne laissait le passage que pour un seul homme tant elle était étroite. Rhor sera le poing tandis que l'autre continua à toucher, gratter et taper le mur cruel qui ne voulait pas le laisser passer. Le guerrier avança de trois pas et cria :
-Qui es-tu ?!
Il ne pouvait contenir l'inquiétude qui résonna dans ses mots. L'homme prit son visage entre ses mains et sanglota. Notre héros fronça les sourcils et avança à demi-sûr de lui. À chaque pas sa raison lui disait de faire demi-tour, la peur lui cerna l'estomac et son courage fila implacablement. Le mur égratignait ses bras. À chaque pas les sanglots se firent plus fort, un affreux mal de tête l'assomma un instant comme si son corps ne voulait pas qu'il approche de son jumeau. Les vacillements lui imposèrent une progression plus lente. À chaque pas le monde, autour de lui, semblait se diluer dans l'ombre. Il continua tout de même à marcher, ignorant ce qu'il n'aurait jamais ignoré dans d'autre situation. Une fois proche de l'inconnue Rhor tenta de lui attraper l'épaule, sa main brassa de l'air puisque l'homme traversa littéralement le mur.
Dicyn resta un moment immobile, avait-il rêvé ? Non, investi d'une féroce certitude il entreprit alors de résoudre cette énigme tâtant ainsi à son tour le même mur, en vain il n'y avait pas de mécanisme. Débité, une idée lui vain, il devait contourner se bâtiment, il se retourna alors et fut frappé par la terreur. Kendra Kâr avait disparu ! Tous s'écartèrent de lui, il gesticulait, posait des questions à tout va sans attendre les réponses puis tira sa lame hors de son fourreau, la foule fit un petit sursaut en arrière. Le jeune guerrier semblait menacer un courant d'air. Son visage transpirait la colère. Un marin perclus de cicatrice dit à la populace que c'était une autre victime des psychoses et qu'il courrait chercher un religieux pour prêter main forte avant de s'exécuter. Tous regardèrent le fou, à la fois terrifié et curieux. Perverti par la sécurité de la ville ils prenaient plaisir à cette terreur. Ce dire « moi-aussi je peux rentrer dans cette folie, ne plus être victime de ce quotidien » les séduisait. Ils voulaient tous être pris dans une histoire extraordinaire, sans faire d'effort. La folie semblait être un bon compromis, mais personne ne l'aurait avoué. Le jeune homme commença à grimacer, sa main plaqua son torse, se crispa et des larmes coulèrent sur ses joues il était en prise avec une grande tristesse et on aurait eu l'impression qu'on venait de le poignarder. Finalement non, leur vie leurs convenait. Réaction normal devant la souffrance. Le dément tomba à genoux sur les dalles en granit blanc et scruta le ciel. Il lâcha son arme. Le religieux arriva tout essoufflé de la course à pied. Il dut bousculer la populace en leur priant de le laisser passer.
Le prêtre se trouva enfin devant le fou, c'était un jeune homme éperdue face à la beauté du ciel, qui semblait par ailleurs désespéré. Oui, cela ne faisait aucun doute c'était un malade. À la vue de la richesse de ses vêtements, se fut simple de conclure qu'il s'agissait là d'un noble. Des bottes d'un cuir d'une rare qualité, un pantalon noir et une tunique d'un violet sombre, tout cela en soie. L'homme attrapa son collier en tissus et ferma les yeux. Le vieillard s'approcha de lui, et entendit le noble adresser une supplique aux cieux:
-Aide-moi. Murmura le fou.
Le prêtre lui répondit de ne pas s'inquiéter, qui allait l'aider, il le prit dans ses bras et le coucha délicatement. Le malade se laissa faire. Le prêtre continua sa manœuvre étonné par la diligence du souffrant. La tristesse qu'il affichait, s'effaça peu à peu avant que le jeune homme ne s'endorme avec quiétude.
Tout était différent ! Les herbes émeraudes avaient remplacé les dalles blanches, elles s'étalaient jusqu'à l'horizon, les bâtiments avaient disparue et le mur c'était métamorphosé en un arbre millénaire. Le ciel était étoilé et pourtant le jour était là. On voyait le soleil en train de se coucher, mais les cieux étaient emplis de ténèbres. On pouvait sentir la rosée du matin et de la jeunesse, mais pas seulement. On pouvait aussi flairer des parfums de femmes et chacun de ces arômes se battirent les un contre les autres pour être ressentit une nouvelle fois ou une dernière fois. Ensuite, des mets dont Rhor avait oublié le goût vint chacun leur tour. Dicyn saliva malgré lui. Sa langue réagissait à ce monde. C'était impossible. Il discerna des repas pris étant enfant et d'autre dégusté très récemment ou encore certains n'ayant étaient encore jamais expérimenté. Ce monde n'était pas réel, ce n'était définitivement pas possible. Son corps était étrangement influencé, mais ces sensations lui confirma la véracité de tout cela. Sa preuve était son cœur, l'ennemie de la raison. Le vent frappa sa peau, il y perçut tantôt la violence d'un coup, d'une chute ou d'une griffure et tantôt la douceur d'une caresse ainsi que de tendres lèvres qui lui embrassèrent la joue. Des frissons parcoururent son corps. Des bruits de pas se firent entendre. Dicyn se tourna alors à sa droite. Face à lui, avec un air pitoyable, se trouvait « crinière blanche ». Il resta d'abords sans voix tant il fut étonné puis il s'affola. Le guerrier était complètement dépassé par la situation.
-Où suis-je ? Quel est donc cette magie ? Répond moi ! Sort moi de là ! Cria Dicyn
L'inconnue recula penaud. C'est alors que le jeune guerrier remarqua les yeux dorés et les quatre cornes couleur crème qui se trouvaient sur le front de « crinière blanche ». Prit de panique, il tira sa lame ! le menaçant de la pointe de son épée ! L'inconnue s'affaissa sur lui-même. Aucune idée lui vain à propos de la race de cette horreur, mais malgré ses airs pitoyables un risque subsistait. Après tout, le seul qui aurait pu l'amener dans un lieu aussi étrange, c'est ce mauvais double de lui-même.
-Que veux-tu monstre?! Intima-t-il à celui qui lui ressemblait.
-Sauve-moi. S'il te plaît.
-Qui es-tu ? Il avait irrémédiablement perdu patience, tu vas répondre à la fin ?!
-Tu m'a oublié ?
Une profonde mélancolie apparue sur le visage de « crinière blanche ». Ce même chagrin empoigna le cœur du guerrier qui agrippa son torse, ses doigts pénétrèrent sa chaire et les traits de son visage se déformèrent par la douleur. Comment cela était possible ? Comment pouvait-il sentir la douleur de ce monstre ? Comment ?! Il pleurait, cela faisait tellement longtemps qu'aucun chagrin ne l'avait fait larmoyer, il en avait oublié le goût. Il pleurait pour rien d'ailleurs. Il pleurait s'en savoir pourquoi. Ces larmes étaient pourtant si douce, si pur. La tendre impression d'être purifier par ces perles comme la pluie purifie la terre, le vivifiait. Pourquoi ces larmes le réconfortaient tant ? Pourquoi son fardeau lui semblait moins triste ? Il tomba à genoux et regarda le ciel noir. Ses yeux rouges sang épièrent avec amertume ces étoiles qui semblaient lui murmurer à demi-mot des promesses de liberté. En sentant une main amicale lui caresser la joue, il fut un instant apaisé et ses questions disparurent. Dicyn se rendit compte que c'était celle de « crinière blanche », une nouvelle haine naquit dans ses yeux.
-Éloigne-toi de moi ! Gronda Dicyn
L'homme aux cornes recula rapidement, le visage abattue. Il n'avait aucune raison de le traiter si mal. Et pourtant, sa présence lui était insupportable. C'était plus par devoir qu'autre chose. Il le craignait et le haïssait. Il ne pouvait pas l'accepter, sans même en connaître la raison. Néanmoins, l'impression de s'arracher un bras en donnant cet ordre était, elle, bien présente. Quelle folie que ce sentiment de perte. Quelle folie que cette haine. Quelle folie que cet homme. Quelle folie que ce monde. Suis-je donc fou ?
-Ce ciel je crois que c'est l'avenir, ta mort. Murmura le jeune inconnue. Et les étoiles représentent la vie, je crois. Se sont d'infime lumière, mais elles sont là. Je crois que c'est ce qui compte qu'elles existent. S'il te plaît Dicyn, sauve moi !
Après avoir fermé les yeux, il pris entre ses mains le cadeau de sa sœur, ce collier qu'il portait au cou. Le bijou serrait ainsi un peu plus son cou et il sentait le battement de son cœur. Peu importe le lieux, la vie était toujours là, toujours encré en lui. Il pourra retrouver cette terre, sa ville et sa famille. Sa victoire est certaine.
-Aide-moi. Supplia Dicyn
Sans raison, il se coucha. Les herbes lui chatouillèrent le cou. Il entendit l'autre s'effondrait par terre, sanglotant une nouvelle fois. Cette fois-ci, ces complaintes ne s'intensifièrent pas, au contraire. Elles se firent de plus en plus lointaines, de plus en plus désespérées.
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