Tout était bel et bien terminé. Cette sombre expédition qui avait commencé bien innocemment sous la forme d’un inopiné voyage de plaisance et puis qui avait soudainement tourné au cauchemar venait enfin de prendre fin. Je ne regrettais rien. Si d’aventures, une petite fée se présentait à moi, m’offrant un billet gratuit pour une excursion en aynore, c’est sans hésitation que j’accepterais cette séduisante invitation.
Ma grand-mère avait des dictons pour toutes les occasions, et pour la situation qui nous préoccupe elle aurait sûrement décrété : « À quelque chose, malheur est bon. » Et elle aurait eu encore une fois raison. J’étais certes en piteuse état et j’avais frôlé la mort à plusieurs reprises, mais j’avais aussi vécu des péripéties inoubliables, vu des paysages incroyables et connu des gens particuliers, singuliers, mais formidables. Je me souviendrai toujours du nain nommé Araksis qui ne faisait que rechigner au moindre petit incident, qui ne pensait qu’à jouer de vilains tours, mais dont je m’étais attachée et déplorais sa disparition. Je garderai aussi dans mes souvenirs une place toute spéciale pour Lilo, la belle, grande et fière elfe bleue, avec qui j’avais partagé, combats, souffrances et confidences. Je me refusais de croire à sa mort. Elle était disparue une première fois et nous était miraculeusement revenue, salie, vêtements déchirés, mais en un seul morceau. Je savais, ou du moins j’espérais, qu’une fois encore, elle s’en était sortie indemne ou à peu près et qu’au moment où je m’en attendrais le moins, je la verrais réapparaître.
Pendant ces quelques jours passés sur cette mystérieuse île flottante, je m’étais faits de nombreux amis et heureusement, je ne les avais pas tous perdus, il me restait Aenaria, Ezak, Karz, Eliss, mais aussi le plus précieux de tous, Sirat, mon grand ami humoran aux manières un peu trop cavalières, mais dont le cœur et le courage n’avaient pas de limites.
C’est effectivement dans les bras de ce dernier que je me laissai porter, sans aucune crainte, ni appréhension.Terriblement affaiblie par le dernier combat que nous avions livré, je me sentais en sécurité, bien à l’abri dans le creux de cette grosse main poilue et orangée.
Tout en me portant délicatement, d’une voix douce, Sirat me présentait, avec une fierté non-dissimulée, sa ville, la grande cité blanche. Je l’écoutais attentivement les yeux clos, m’abreuvant du moindre de ses mots comme d’une douce berceuse, étant trop épuisée pour observer par moi-même. Je lui esquissai tout de même un petit sourire pour lui faire comprendre que j’étais, malgré tout, attentive à ses propos.
Il était fier de sa ville et avec raison et je savais de quoi il parlait puisque j’y avais séjourné quelques jours avant notre départ. J’avais même eu l’opportunité de visiter la bise d’Ynorie à dos de caméléon et en compagnie d’un vieux lutin nommé Gwerz Porsal.
Rendu à destination, mon ami me fit part de son intention de me trouver repas et gite avant de m’exposer ses plans pour le lendemain. J’étais heureuse à l’idée que j’en faisais partie. Les yeux fermés, un sourire toujours affiché à mes lèvres, je lui répondis :
« Un bon lit sera suffisant, je t’en remercie. Pour le repas, je le prendrai à mon réveil et en ta compagnie, si tu es revenu. »Je me permis un petit moment de repos avant de rajouter :
« Et profites-bien de ta soirée, demain, je me ferai une joie de t’accompagner au marché. »J’avais dit ces paroles sans trop y croire, non pas que je ne désirais pas l’accompagner, au contraire, j’étais heureuse juste à y penser. C’est plutôt que je me sentais si faible que je doutais pouvoir me rétablir aussi rapidement. Je m’étais cependant bien gardée de lui en faire part, je ne voulais absolument pas l’inquiéter sur mon état de santé. Et qui sait, ce que le lendemain me réservait.
J’entendis ensuite une porte s’ouvrir, nous étions sûrement arrivés à destination.
-->
Auberge de la Tortue guerrière