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Au détour d’une ruelle, je me sens observé et suis quasiment certain d’être suivi. Je pose une de mes mains sur la garde d’une épée et l’autre sur le fourreau. Je me tiens prêt à faire volte-face et à trancher dans le vif du sujet. La nuit est tombée depuis bien longtemps dans les ruelles de Kendra Kar. Ce qui me surprend, c’est cette possible filature dans une ville comme la cité de lumière qui banni tous actes douteux.
(Si ce n’est pas un voleur, c’est obligatoirement la milice)
Je remarque grâce aux reflets de la lune qu’il y a quelques flaques d’eau sur les pavés. Je devrais pouvoir les utiliser afin d’éliminer toutes les incertitudes qui tourne autour de cette filature. Je concentre les fluides de la déesse Rana qui sont en moi pour pouvoir lever un léger vent. Ainsi je vais pouvoir soulever un peu de poussière pour dissimuler les flaches. Le moindre faux-pas lui sera fatal et je ne pense pas qu’il arrivera à les éviter, même avec de la chance. Il marchera dedans et ceci émettra un son qui me donnera raison ou non à mes doutes.
(Pourquoi tu ne te retournes pas pour foncer dans le tas ? C’est plus efficace et jouissif. C’est une réaction de pleutre que tu as. Franchement, arrête d’être comme l’autre vermisseau, le sale cul-béni, ce pauvre crapaud de bénitier,…
Tu sais ce que je te dis, je te merde et je suis encore poli avec toi. Ecoute moi Daio, tu as parfaitement raison de faire comme ça. Tu comprends maintenant que la réflexion et la stratégie avant un combat sont des actions clefs pour la réussite. Tu peux maintenant utiliser pleinement toutes tes capacités que ce soit physique ou intellectuelle. Tu as toujours délaissé l’aspect stratégie, il est pour toi le moment de changer ça. Maintenant que je suis là, je te guiderai vers la tactique.
Nia nia nia nia…)
La dispute entre Jack et Michel me décroche un petit sourire, on dirait des enfants se chamaillant. Je dois vite me ressaisir et me préparer. J’aperçois un recoin plongé dans les ténèbres, je m’y glisse et attends le moindre bruit suspect. Je prends de grandes inspirations puis j’utilise mes nouveaux pouvoirs pour déclencher une légère brise.
(Je t’en prie Rana, prête-moi ton pouvoir pour définir le danger qui me guette.)
Je ressens des frissons dans mon corps puis un vent se lève pour venir faire voler la poussière qu’il y a dans la ruelle. Le petit nuage opaque n’est pas très haut, mais suffisamment pour faire disparaître les traces de toutes les flaques d’eau présentes. Pour le moment, tout est silencieux, pas un seul bruit hormis celui des feuilles mortes se déplaçant avec la brise. Le calme est d’un reposant, je lève les yeux vers le ciel afin d’observer le ciel, car il se peut que ce soit la dernière fois de ma vie que je puisse le contempler. Les étoiles brillent de mille-feux, à chaque fois que je regarde la nuit sous sa plus belle forme, je repense à ma douce et tendre Flora. Les souvenirs heureux et douloureux se bousculent à chaque fois, elle me manque terriblement. Même si j’ai eu des aventures depuis elle, aucune n’a su la remplacer.
Soudain je suis arraché de ma douce rêverie par une ombre qui passe d’un toit à l’autre telle une panthère. J’étais donc suivi ; puis j’entends un bruit de pas dans une flaque. Je pousse la garde avec le pouce afin de la déboiter du fourreau. L’ennemi est tout proche d’un instant à l’autre, il sera face à moi. Je laisse glisser la lame dans le fourreau jusqu’à tendre le bras pour trancher les chairs adversaires. Au dernier moment, je vois qu’il s’agit d’une jeune femme humaine. J’arrête le mouvement en bloquant tous mes muscles. Une douleur se fait retentir en moi, car ce que je viens de faire est digne de l’inconscience. Je préfère ressentir la souffrance et la douleur que de tuer une pauvre innocente.
Elle tourne la tête vers moi, ses yeux sont vert pour l’un et marron pour l’autre. La peur se lit sur son visage, les muscles crispés, des gouttes de sueurs et des tremblements. Je plonge mon regard à l’intérieur du sien quelques secondes, je redescends ma lame pour lui montrer que je n’ai pas de mauvaise intention. Je sors des ténèbres pour montrer qui je suis, mais un guerrier en armure n’a jamais rassuré quelqu’un sauf dans le cas où ce dernier est déjà attaqué. Je passe ma main devant en elle en suivant les conseils de Michel. Apparemment, je peux enlever la peur de l’esprit d’une personne juste en le désirant. Un souffle me traverse, une sensation de bien-être et de confiance se propage en moi, jusqu’à atteindre ma main et en sortir. Je lui dis ensuite :
N’ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal. Je me croyais suivi par quelqu’un qui en voulait à ma vie. Je vous prie de m’excuser.
(J’aurais donc rêvé l’ombre que j’aurais aperçu tout à l’heure. Je dois quand même rester sur mes gardes, la fourberie d’un attaquant est toujours possible.)
Quand tout à coup, j’entends un bruit sourd comme un corps tombant sur le sol puis le déclic d’une arbalète relâchant son carreau meurtrier. Mon sang n’a même pas le temps de faire un tour que je saisis la jeune femme et me penche sur elle afin de transformer mon corps en un gigantesque bouclier. Mes yeux se ferment pour essayer de ne pas à avoir à ressentir la douleur. J’attends avec appréhension le choc, mais la seconde est très longue, c’est comme si le temps s’était stoppé. J’entends un bruit d’acier sur acier, je n’ai pas reçu d’impact sinon j’aurais éprouvé la douleur. Je relâche doucement mon étreinte et me retourne. Je vois Michel avec son bouclier, il se tient droit comme un gardien protégeant l’entrée d’un château ou d’une demeure. A ses côtés, Jack est dans la même position et il tend son arme comme pour défier l’ennemi qui se terre dans l’obscurité.
Je suis le gardien de la vie, nul ne pourra me tuer tant qu’il y aura de l’espoir dans ce monde. Tu cherches à relâcher un monstre sur cette terre, tu as choisi la mauvaise personne à attaquer. Nous sommes la folie, nous haïssons la mort des innocents,…
Nous adorons le combat, nous en avons percés l’essence même. Nous sommes devenus une machine de guerre impitoyable. Nous avons chacun notre spécialité, nous sommes complémentaire et tu vas découvrir ta souffrance.
Un souffle d’énergie semble émerger d’eux, il y a quelque chose d’effrayant la dedans. Ils sont peut-être ennemis dans leur conviction, mais ils sont de redoutables combattants et ensemble ils forment une escouade à eux seuls.
Michel, emmène la loin d’ici et protège la. Je ne veux pas qu’elle soit blessée.
Il ne me reproche pas de vouloir l’écarter. Il acquiesce simplement de la tête et attrape la main de la jeune femme en lui disant qu’il est là pour être son protecteur. Il explique qu’il serait préférable de déguerpir rapidement. En effet, le lieu risque de devenir rapidement le théâtre d’un combat, un champ de bataille où les dommages collatéraux risqueraient d’être élevés. Avec Jack, nous entendons des bruits de pas se rapprochant puis une voix glaciale s’élève dans la nuit.
Je t’ai enfin retrouvé traitre. Je suis venu t’exécuter sur l’ordre des prêtresses, tu prends trop d’importance. De plus, à cause toi, mon ami Nifit a été transformé en Rath'arghus. Je vais te faire souffrir pour que je puisse savourer ta mort.
Je suis estomaqué par ce que j’entends, Nifit, le grand général que j’ai dû affronter, est devenu par ma faute un Rath'arghus. Une créature mi-shaakt mi- araignée et surtout totalement asservi. Les prêtresses ne tolèrent aucun échec. J’éprouve de la peine pour lui, pourquoi n’a-t-il pas accepté ma requête de se joindre à la rébellion, il aurait été respecté et surtout il aurait eu sa liberté.
Ne te morfonds pas pour lui, il avait le choix et il a fait le mauvais tant pis. Nous avons un ennemi devant nous et je ne compte pas lui laisser une chance de nous vaincre.
Même si Jack n’a pas totalement tord dans ses paroles, j’éprouve quand même un profond regret pour le fier général. Nifit avait une grandeur d’âme que l’on ne rencontre pas partout. L’adversaire devient enfin visible, il porte une immense cape grise déchirée qui flotte librement dans l’air. Son armure se résume à quelques morceaux de cuir renforcés par des plaques aux endroits les plus sensibles. A sa ceinture est attaché une petite arbalète noire et il tient une épée plutôt longue, l’avantage de ce genre d’arme est que l’on peut tenir l’ennemi à distance par contre si ce dernier rentre dans le périmètre de sécurité, on s’expose à de gros dégâts. Ses yeux mauves sont remplit d’une rage extrême.
Nifit est un grand général, je suis attristé du sort qu’il a reçu. Je ne préfèrerai pas t’affronter, nous sommes deux alors que tu es tout seul…
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que Jack se dirige vers le Shaakt. Il lève sa faux près à l’abattre sur le corps de l’adversaire quand une créature humanoïde surgit de nulle part pour bloquer l’arme avec ce qui semblerait être un fouet. Il s’agit d’un Lykor, certainement un esclave asservi cherchant une méthode ou une autre pour regagner sa liberté.
Maintenant, nous sommes à égalités.
Avant que je fasse quoique ce soit l’ennemi se lance sur moi. J’ai juste le temps de dégainer mes lames pour parer une attaque verticale. Je suis obligé de croiser mes lames et de m’agenouiller pour amortir le choc. Caïx semble me considérer comme une véritable menace pour elle. J’ai en face de moi, un soldat faisant partie des troupes d’élites. Je ne sais pas si je serais assez fort pour le battre. Il tient maintenant son épée avec les deux mains pour augmenter la pression. Je n’ai qu’une seule solution pour le battre, ne pas jouer la force pure, mais la stratégie et des coups placés à des endroits où la plaie aura tendance à saigner abondamment.
Tous mes muscles se contractent jusqu’à trembler. Je tente de me relever pour me dégager de cette impasse. J’arrive seulement à décoller légèrement mon corps, mais cela suffit pour que fasse basculer son arme sur le côté. J’en profite lui donner un coup tranchant dans le bas ventre. Il contre mon attaque en exposant une plaque d’acier fixé à son tibia. Je donne une impulsion avec mes jambes pour sauter en arrière. Je profite du court instant de répit pour assembler mes lames.
(Ce n’est pas un combat que je vais gagner facilement)
Je dois parvenir à rentrer dans son périmètre de sécurité pour le blesser. Je regarde l’environnement, nous sommes dans une ruelle plutôt étroite. Ce genre de configuration se prête à mon avantage, il ne peut pas utiliser pleinement son arme. Je me suis donné un handicap plus léger que lui en assemblant mes lames, mais la puissance qu’elles me confèrent sous cette forme n’est pas négligeable. Il y a des petits rebords sur les murs, certainement les écoulements d’eau. Je pourrais les utiliser à mon avantage en effectuant du combat aérien.
J’aperçois Jack un peu plus loin qui combat, il vient de prendre un coup de fouet au visage. Au même instant, je ressens des picotements sur la joue et du sang qui coule le long de ma joue. Nos destins sont étroitement liés, je ne dois surtout pas l’oublier. Mon double pousse un hurlement bestial, l’ennemi fait à nouveau claquer le fouet, mais cette fois Jack le bloque avec le manche de son arme avant de fendre l’air avec sa faux et ainsi verser le premier sang adverse.
C’est à moi maintenant de suivre son exemple. Je coure vers un des murs et saute sur l’un des rebords afin de m’envoler tel un aigle qui se prépare à fondre sur sa proie. Je fais descendre ma lame vers le soldat qui voit le coup venir. Il place déjà son épée pour se défendre, quand ma lame entre en contact, le bruit de l’acier se fait entendre. Je peux voir ses yeux mauves brûler de colère et un sourire se dessine sur mon visage. Il vient de commettre sa première erreur. Quand mes pieds retouchent le sol, je déboite mes lames et la plante dans le flanc gauche. Il me donne un coup de pied dans le torse qui me fait reculer puis il abat sa lame sur moi. Je n’ai pas le temps de faire grand-chose, je ne peux même pas contrer.
Son épée frappe violemment mon torse. Je sens la douleur m’envahir, j’ai l’impression d’être passé sous les pieds d’un régiment. Je serre les dents afin de ne pas pousser un cri de douleur. Mon visage en est déformé. Je le vois se saisir d’une potion et l’avaler d’un seul trait.
Nos mages viennent de finir de mettre au point cette potion. Elle inhibe la douleur, dommage pour toi que tu n’en aies pas.
Certes la douleur est un handicap dans un combat, mais elle me permet de savoir que je suis encore en vie. Je m’élance à nouveau vers lui quand soudain ma jambe gauche s’affaisse à cause d’une nouvelle blessure. La douleur est soutenable, car elle est moins importe que celle que je viens de recevoir. Par chance, cela m’a permis d’éviter une attaque horizontale et par la même occasion d’entrer dans le périmètre. Je relève mes deux lames en direction de son thorax en espérant percer son armure.
Il évite le coup en pivotant, mais pas suffisamment pour ma lame gauche qui pénètre son armure par les points d’attaches. Je peux entendre le bruit de ses côtes se briser. Il ne réagit pas, pas un seul bronchement. Il dégaine son arbalète et décoche un carreau qui vient se ficher dans mon poumon droit. Je pousse un hurlement qui déchire le silence. Je lui donne un coup de pied pour l’éloigner de moi.
Je me relève en fichant une de mes lames dans le sol. Je pose mes doigts tremblant sur le carreau, si je le retire, je m’offre une belle hémorragie. J’éprouve des difficultés pour respirer, mon souffle est haletant. Je ne vais pas pouvoir encore combattre bien longtemps si je ne fais rien. Puis je me souviens que j’ai une potion de soin dans ma sacoche. J’arrache le carreau en serrant les dents pour ensuite me saisir de la potion, j’arrache le bouchon avec les dents et la vide d’une seule traite. Je sens mon corps se réchauffer, les picotements des blessures s’arrêtent aussitôt. Bientôt je n’ai plus de sang qui coule de mon torse. Je me saisis de ma lame plantée dans le sol et regarde mon adversaire. Le combat va commencer à partir de maintenant. Rends-toi ou pars, je n’ai pas envie de te tuer.
Il répond en me fonçant dessus. J’ai l’impression que la potion vient de me redonner une nouvelle fraicheur pour combattre. Je dévie son attaque avec ma lame gauche pour ensuite diriger la droite vers lui. Je suis trop court. Il me sourit comme fier de lui jusqu’à ce qu’il entende :
Toi ! Je ne t’aime pas. Brûle
Cramoisie ouvre la bouche pour laisser échapper un gigantesque brasier. A cette distance, il est impossible d’éviter une telle attaque. Son corps fulminant retombe sur le sol, je place une lame sur sa gorge et jette un œil à Jack.
(Ce Shaakt a oublié quelque chose quand on ne ressent plus la douleur, c’est que les blessures nous ralentissent.)
Il prend un malin plaisir à combattre. Il vient d’assommer sa cible avec le manche de son arme. Il lève sa faux pour donner un coup de grâce final. J’entends des bruits de pas nombreux, ils sont nombreux. Je regarde derrière moi et vois Michel arriver avec la milice. Il hurle :
Ne le tue pas. La milice est là.
L’instant d’après, il a disparu laissant un corps encore vivant sur le sol. J’explique ce qui vient de se passer. Le chef me remercie et me dit qu’ils vont être emprisonnés avant d’être jugé. Je demande juste qu’on lui excuse ses actions, qu’il est obligé d’obéir sinon sa famille mourra et que lui sera transformé en quelque chose d’horrible. Puis j’explique que je passerais à la prison pour pouvoir discuter avec le shaakt et le lykor. Je les vois repartir en portant les corps. Je tombe, sur les fesses, essoufflé par ce combat. Je pose la tête contre le mur et regarde à nouveau les étoiles.
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Trois êtres distincts pour une seule âme et une destinée
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