Rp pouvant choquer par son caractère violent
La nuit était froide.
Victoire s'était entrainée encore tout l'après-midi, avant de sortir lorsque le soleil avait disparu, sous le regard inquiet de Dame Odeline. Elle s'était vêtue d'une longue capeline de voyage brune que lui avait gracieusement fournie la magicienne. Elle avait entouré son arc et une demi douzaine de flèches d'un vieux chiffon, cachant ainsi la nature de l'arme. La capuche rabattue, elle avait commencé par aller voir du côté du port, à la recherche d'une fille de joie de son âge.
La tâche n'avait pas été aussi aisée qu'il n'y paraissait. La sœur du duc s'était faite une ou deux fois abordée par des hommes louches, ne les écartant qu'en les suppliant de lui donner de l'argent pour qu'elle soigne sa syphilis. L'effet avait été on ne peu plus rédhibitoire, même si elle ne s'était pas sentie en sécurité pour autant. Ceci dit, elle n'avait pas le choix, elle avait décidé de mener ce combat contre Tristan et elle savait que ce ne serait pas quelque chose d'agréable ni de sain. Cette simple promenade dans les quartiers sombres n'était qu'un vulgaire aperçu de la misère humaine qu'elle devrait rencontrer.
Elle trouva finalement une prostituée parfaite: jeune, aux cheveux de paille, plutôt maigre et visiblement éprouvée par la vie. Elle s'en approcha, toujours dissimulée sous la lourde cape de laine:
"Vous. Mon maître vous veut, pour lui. Vous irez au temple de Vallyus et vous ferez deux-cent quarante pas. Pas un de plus ni un de moins. Vous mettrez une capuche, qu'on ne vous voit pas. Maître tient à sa discrétion.
-Ola ma grande, répondit la prostituée, je fais pas ce genre de trucs moi. Trop bizarre, je
-Cent yus maintenant, trois-cent après."
La prostituée resta pantoise, alors que Tisis lui glissait une bourse pleine entre les doigts, l'acceptant en tremblant même un peu. C'était sûrement là la somme qu'elle gagnerait normalement en toute une nuit.
"Deux-cent quarante pas, onze heures, en capuche, et trois-cent yus de plus. Nous sommes d'accord?
-Très bien, dîtes à votre maître qu'il à son coup pour ce soir."
La jeune fille s'éloigna de la prostituée, espérant que celle-ci se présente bien à l'heure dite. Elle se dirigea vers le lieu du rendez-vous, pressant le pas. Les rues étaient de plus en plus vides, maintenant que l'heure s'était faite tardive. Elle souhaitait que ses précautions soient inutiles, mais au fond d'elle elle savait qu'il n'en était rien, qu'elle avait raison d'être inquiète et de se prémunir du danger.
En avance, elle vit où le rendez-vous était censé avoir lieu: devant une entrée des égouts, masquée uniquement par une grille imposante, l'odeur se répandant par à-coups dans l'obscurité. Il n'y avait personne en vue, aussi ne resta t-elle pas longtemps, continuant son chemin. Si son frère ou qui que ce soit l'attendait déjà, elle n'en vit rien.
Faisant rapidement le tour du quartier, elle chercha un toit auquel elle pourrait accéder, qui lui donnerait une vue dégagée sur les lieux. Elle était loin d'être une excellente archère, mais si les choses tournaient mal pour la prostituée, elle voulait être en mesure d'agir rapidement. Elle parvint à se hisser sur un muret de pierre, grimpant sur une maison assez basse. Celle-ci permettait de voir assez bien la ruelle et l'entrée des égouts.
Elle s'accouda à une petite cheminée pour, sans un bruit, défaire le chiffon qui entourait l'arme, accrochant ensuite la corde à l'arc. Elle espérait de tout son cœur se tromper, que ce soit vraiment son frère qui viendrait dans cette ruelle, lui expliquant comment il avait survécu aux assassins et aux orques, lui affirmant qu'il prendrait les choses en main et demanderait l'ordalie contre Tristan. Elle espérait.
Les minutes passèrent, tandis que Victoire, ou plutôt Tisis en cet instant, attendait. les mille et uns sons de la ruelle lui parvenaient, des échanges de voix provenant d'une maison au miaulement égaré d'un chat, en passant par le vent et le ploc reconnaissable de l'eau stagnante. Elle restait immobile, ne voulant en aucun cas attirer l'attention, dissimulée dans les ombres.
Au bout d'une longue attente elle entendit des pas, venant de l'opposé du temple. Elle ne bougea pas, ne vérifiant pas s'il s'agissait d'un simple passant ou de son frère. Son cœur tambourinait à présent dans sa poitrine, la pression montant peu à peu. Les pas se rapprochèrent, passèrent juste en-dessous d'elle, se dirigèrent vers les égouts avant de s'arrêter
Lentement, très lentement, la jeune fille regarda dans la direction de la ruelle, restant masquée par la cheminée. Il s'agissait d'un homme, à en juger par sa carrure, emmitouflé lui aussi dans un épais manteau de voyageur, le visage dissimulé. Tisis n'aurait su dire s'il s'agissait d'Anatole ou d'un simple bougre. Lentement elle se cala de nouveau contre la cheminée, se cachant.
Il fallut attendre encore pour que d'autres pas ne viennent cette fois-ci du temple. Tisis ne se mut pas d'avantage, se contentant d'écouter, la main gauche crispée sur son arme familiale depuis peu.
Une voix masculine, définitivement pas celle d'Anatole, se fit doucement entendre, obligeant la sœur du duc à tendre l'oreille pour tout percevoir:
"Vous êtes en retard. Votre frère vous attend.
-Mon frère? Je vois, c'est ce genre de type... Et les trois-cent yus? Hey, hola, bas les pattes! On m'avait pas dit que vous étiez plusieurs, je... Lâchez moi! Non! NON!"
Tisis se figea, tandis qu'elle entendit le son de la chair, un son qu'elle ne connaissait que trop depuis la fuite du château. D'une lenteur maladive, elle se tourna vers la ruelle, à moitié voilée par la cheminée. Il y avait en tout trois hommes, celui qu'elle avait déjà vu étant toujours au même endroit. Un autre était à l'opposé de la ruelle, la gardant, tandis que le dernier avait toujours une main sur la bouche de la prostituée, tenant dans l'autre un poignard à présent rougi.
Il laissa tomber la femme sur le sol dans un bruit mou, celle-ci se convulsant quelques peu, perdant sa vie par sa gorge à présent tranchée. Tisis retint la bile qui lui montait dans la gorge, les mains tremblant. Si elle n'avait pas été sur ce toit, c'est elle dont le cadavre joncherait à présent la rue, se vidant de son sang.
L'assassin fouilla rapidement le corps, y trouvant la bourse de cent yus et une petite dague, qu'il empocha négligemment. Il se retourna vers l'homme en cape, ses cheveux gras collant à son visage bien laid. Il parla d'une voix grasse:
"Pas de bague, pas de signe.
-Ce n'est pas grave, ça ne peut être qu'elle. Tranche lui la tête et jette le corps aux égouts.
-Oui, chef."
Il saisit la chevelure sale de la jeune fille, lui découpant la tête de sa lame aiguisée, le troisième homme lui soufflant de se dépêcher. Sa tâche sanglante finie, il rentra la tête dans un sac de jute que lui avait donné l'homme en cape, le fixant alors à sa ceinture. Il prit la dépouille sous les aisselles, la trainant mollement sur le sol, avant de simplement la faire glisser dans l'eau noirâtre des égouts, faisant apparaitre nombre d'yeux rouges affamés. Il ne resterait plus grand chose du corps au matin.
Enfin il prit une outre de vin qu'il vida là où le sang avait coulé, faisant disparaître les traces du sordide meurtre qui venait d'avoir lieu. Tisis se replia contre la cheminée, tandis que les trois hommes se dispersaient, chacun partant dans une direction différente. Elle était abasourdie, ne comprenant pas ce qui s'était passé. Était-ce vraiment son frère qui avait organisé cela? Elle n'osait y croire, le message avait du être intercepté, elle avait du être manipulée. Mais comment quelqu'un d'autre pouvait-il connaître le code qu'employait le duc de Blanchefort?
Elle vomit sur le toit, ne pouvant se retenir plus longtemps. Elle avait sur la conscience la mort d'une femme qui n'avait rien à voir dans cette affaire, qui n'existait plus. Certes c'était une fille de bas étage, mais peut-être avait-elle de la famille, un enfant, des gens qui malgré tout tenaient à elle. Et quand bien même, elle avait le droit de vivre, elle n'aurait pas du se faire égorger de la sorte, dans une sombre ruelle, pour rien.
Tisis resta un long moment là-haut, incapable de se mouvoir.