<Des rues de KK>La rue Châtillon n’avait rien de particulier, pas d’accès plus rapide qu’ailleurs vers l’extérieur ni de chemin plus aisé vers les places des marchés. Il n’en restait pas moins que c’était la rue qui accueillait le plus d’enseigne de boucher et de charcutier.
La viande provenait de l’abattoir situé dans le quartier des docks, ce qui n’était pas vraiment la porte à côté. Mais c’était là où l’odeur de viande fraiche passait inaperçu à côté de l’odeur de poisson mort donc, même si l’emplacement n’était pas optimisé, au moins la nuisance odorante était minimisée, se disait Svengar.
Le nain fixa à nouveau son attention sur son objectif et considéra la rue qui s’ouvrait devant lui. De nombreuses charrettes la parcouraient, chargées d’énormes pièces de viandes recouvertes de sel, et s’arrêtaient devant les boucheries. D’autres en partaient, sortant des rues arrières, chargées de pièces de viandes découpées mais toujours recouvertes de sel.
Entre ces charrettes pullulaient de très nombreux passants, clients particuliers des artisans de cette rue. Bien plus nombreux encore étaient les enfants, crasseux ou pas, qui courraient partout les bras encombrés de paniers pleins de viande. Enfin, au plus près du sol se trouvaient ce qui intéressaient Svengar.
Non ce n’était pas d’autres nains même s’ils étaient effectivement plus près du sol.
Plus près du sol donc se trouvait toute une pléiade de chiens errants qui courraient plus ou moins en meute autour des charrettes et des enfants.
Svengar se demandait si le chien qu’il cherchait était parmi ceux là. Ou s’il valait mieux pour lui de commencer à chercher un jeune chien errant solitaire. Mais comme courir après des groupes de chiens affamés n’était pas l’idée qui séduisait le plus le nain, il se décida à chercher dans les ruelles attenantes.
La matinée passa à courir après de trop nombreux chiots qui erraient plus ou moins seuls dans toutes ces rues, mais cela sans grand succès. Les commerçants qui, au début, ne prêtèrent pas attention à ce nain qui galopait un peu partout, finirent par comprendre sa recherche et s’enquirent de lui petit à petit.
Après un court repas dans une auberge, Svengar reprit ses recherches jusqu’à un cul de sac sombre entre un boucher et un charcutier. Le sol non dallés était légèrement boueux et Izakimak murmura un glauque sous-entendu sur la couleur cramoisie de la terre. Une bande de chiot se trouvait à mi-chemin du fond, sautant et jappant après une vieille femme qui venait de déposer une large écuelle qui semblait pleine de restes de viande.
Un coup d’œil suffit à Svengar pour trouver dans la mini-meute le jeune chiot qu’il recherchait, surtout grâce à son collier. Le nain s’avança vers les canidés mais le lutin lui chuchota d’attendre qu’ils aient fini de déjeuner et cette remarque lui sembla très sensée. Déranger plusieurs chiens en train de manger n’était effectivement pas la meilleure des idées.
Il n’eut pas longtemps à attendre, les chiots étaient voraces et l’écuelle fut rapidement vide. Il n’eut ensuite qu’à commencer à distribuer des caresses pour captiver leur attention. Ceci fait, il attrapa le chiot recherché et s’en retourna.
Soudain, un frisson le parcouru à la base du coup et l’emplit d’appréhension. Il avait la sourde impression que quelqu’un ou quelque chose de mauvais le regardait. Il sentait la colère et la haine peser sur lui et il se retourna brusquement, la peur au ventre. Il serrait le chiot un peu plus fort d’un bras et saisit sa hache de l’autre mais ce qu’il aperçut le paralysa de terreur.
Ce semblait être un géant, énorme et imposant avec des mains titanesques qui se serraient et desserraient presque convulsivement. A contre-jour comme il était, il paraissait entièrement vêtu d’ombres, seuls ses deux petits yeux brillaient légèrement d’une lueur malsaine dans cet océan de ténèbres.
La petite meute de chiots qui s’étaient régalés quelques instants auparavant et qui avaient commencé à gratter la porte de la vieille dame l’aperçurent aussi et s’enfuirent en désordre. Ils glapissaient comme si la seule présence de cet homme leur infligeait une douleur insoutenable.
Dans ses bras, le jeune chiot commença à se tortiller en couinant faiblement. Mais ces petits appels au repli stratégique n’arrivèrent pas à sortir le nain de sa tétanisation. Le lourd regard du géant, qui était perché sur des caisses au fond de la ruelle, tombait sur Svengar comme une chape de plomb. Il était comme hypnotisé par cette attention malicieuse, mauvaise et sa présence emplissait d’effroi toute la petite rue.
Un peu moins de peur aurait permis à Svengar de faire le vide et de se maîtriser, et un peu plus de courir à toutes jambes. C’est ce dernier point qui le sauva, car il se rendit compte que les mains du monstre suintaient étrangement. Des gouttes rougeâtres tombaient une à une de ces doigts et il ne lui en fallut pas plus. La peur pour sa vie fit brusquement son apparition. Il tourna les talons et s’enfuit à toutes jambes.
C’est seulement après être retourné dans la rue du Châtillon qu’il s’arrêta, essoufflé. Il prit alors conscience que son casque vibrait. Surmontant son anxiété et reprenant confiance après cette peur irrationnelle, il se domina à nouveau et retrouva la voix.
« Izakimak…lâche mon casque ou arrête de trembler…ça me chatouille la tête. »« Oh pardon ! »Et le casque s’arrêta de vibrer.
« Mmmmmbon…Nous n’allons pas communiquer sur cet acte de bravoure hin ?»« Excellente initiative maitre nain…Et puis après tout, nous avons sauvé le chien non ? »Le petit chiot se débattait encore dans les bras de Svengar mais sa poigne ne lui laissait que peu de marge.
« C’est vrai…allons faire une bonne action et puis on s’en va de cette ville de fou !!! »Svengar se dirigea alors vers la boulangerie où il avait vu la fillette pleurer et lui rendit le chiot. Il fut promptement mit en laisse après que le père eut détaché le chiot de sa fillette éclatante de joie. Après de nombreux remerciements, Svengar s’en alla avec une belle miche de pain fraiche.
Alors qu’il se dirigeait à nouveau vers la grande porte, Izakimak commença à danser sur l’épaule de Svengar tout en fredonnant un air sur le mode du récit épique.
« Svengareeeeeu le Paaaaladiiiiin,
Accoure auprès de tout leees enfaaaaants,
Epaulééééé par son booon lutiiin »Svengar avait commencé à pouffer de rire dès la première phrase mais coupa le ménestrel en herbe à la troisième.
« Ce n’est pas le réalisme qui t’étouffes toi !? »« Depuis quant les récits de ménestrels collent à la réalité ? »« Grmblbl, j'ai horreeeeeeeeur des ménestrels !!! »Ils passèrent la grande porte sans vraiment s’en rendre compte et prirent la direction de la forêt.
<Vers les terres cultivés de KK>