DANS LA GRAND-RUELa journée touchait à sa fin lorsque j'arrivai sur la place du marché. L'excitation était quelque peu retombée, et la fatigue commençait à se faire sentir.
Guidée par mon estomac qui commençait à gargouiller, je me dirigeai vers l'échoppe d'un marchand de légumes. Celui-ci affichait une mine avenante et à la vue de son étalage presque vide on pouvait se douter que la journée avait été bonne. Je l'avais justement choisi pour cette raison: ses affaires ayant été fructueuses, il serait moins tatillon sur les prix. De plus, il ne restait sur son stand que les légume tordus ou un peu petits, tous parfaitement comestibles, mais moins facile à écouler. Il me serait donc plus aisé de négocier.
"Bonsoir. Je vois que la journée a été bonne.""Comme vous dites ma petite demoiselle. J'ai pas chômé. Alors, dites-moi, qu'est-ce qui vous ferait plaisir?""Je voudrais quatre carottes, quatre poireaux, quatre pommes de terre et un chou fleur s'il vous plaît.""On a l'intention de se faire un bon petit pot au feu apparemment. Avec un temps pareille c'est pas une mauvaise idée. J'vais demander à la Georgette de m'en faire un aussi. Ça réchauffera mes vieux os. C'est votre homme qui va être content avec tout ça." dit-il tout en me remplissant un sac.
"Ah non, c'est juste pour moi.""Quoi? Z'êtes pas mariée? C'est bien dommage, un joli petit brun de fille comme vous."Nous continuâmes notre conversation tandis qu'il me servait et je n'eus même pas à marchander. J'obtins un rabais
"pour le joli sourire", mais le regard de l'homme qui s'était plus souvent attardé sur mon décolleté que sur mon visage, me disait autre chose.
Ça ne me dérangeais pas. Depuis que je vivais seule j'avais vite appris que mon physique pouvais me valoir certains avantages et il m'avait parfois sorti de situations délicates. Et puis on a bien le droit de se rincer l'œil. Ça m'arrive de temps en temps à moi aussi. Alors temps qu'on ne me regarde pas comme un morceau de viande sur l'étalage d'un boucher, je fais semblant de ne rien voir.
D'ailleurs en parlant de viande... Je repérais un boucher dont la marchandise avait encore l'air à peu près fraîche. Enfin... heureusement que j'avais l'intention de la faire cuir pendant plusieurs heures...
Je retentai avec lui le petit numéro dont je m'étais servie avec le maraîcher. Cette fois l'homme était de bien moins bonne humeur et il me fallu user de tout mon talent pour faire baisser le prix de mon kilo de bœuf. Je n'y réussis que médiocrement, mais on ne peut pas gagner à chaque fois. Comme ma journée à moi aussi avait été fructueuse, je décidais de ne pas laisser ce petit échec entamer ma bonne humeur.
Ceci fait, je m'en retournais chez moi pour y savourer un repas et un repos bien mérités.
RETOUR AU BERCAIL