Le marché était bien plus rempli qu’il ne l’était lors de mon dernier passage. Les marchands, paysans ou commerçants, se trouvaient collés contre leurs étals pour que puisse circuler une foule fourmillante. Femmes faisant leurs provisions, enfants jouant entre les jambes des gens, nobliaux en quête d’objets originaux ou encore badauds curieux, tous formant un ensemble cosmopolite qui se bousculait, criait, bougeait. C’était assez impressionnant de voir tous ces gens en un lieu si restreint. Cela me rappelait la foule lors du lancement de l’expédition pour Verloa sur les quais. C’était plutôt des mauvais souvenirs…
Après avoir arrêté la petite charrette et pris les affaires dedans, nous nous engouffrions dans le marché si dense. L’air sûr d’elle, Milanne s’engouffra dans la foule et il me fallut jouer des coudes pour ne pas la perdre de vue. Elle se dirigea d’office vers un espace dans la rangée de marchands près de la fontaine, entre un vendeur de pommes de terre et un fermier vendant des œufs et du beurre baraté. Ce devait être l’emplacement qu’elle possède pour le marché de ce jour de la semaine. Nous installâmes les paniers de récoltes devant une tablette qui se trouvait aussi dans la charrette. Pour couronner l’étal, j’apportai les restes du sanglier que Fortescue avait fait fumés durant la nuit pour pouvoir les conserver.
Curieux, j’assistais Milanne dans sa vente, admirant son culot pour héler plus fort que les autres le prix de ses produits et son talent pour marchander le cuissot du sanglier en vantant la tendresse de la viande pour en tirer un bon prix. Au bout de quelques heures, une bonne partie de son stock était parti et la foule diminuait. Le marché tirait sur sa fin, devenant enfin un peu plus calme. J’en profitai pour complimenter Milanne pour ses capacités de commerçante et elle en fut ravi, jusqu’à ce qu’elle aperçoive quelque chose à un stand plus loin. Voyant mon air interloqué, elle soupira et m’expliqua en tirant la moue et montrant deux marchands au loin. L’un d’eux était un sinari, moins bedonnant que j’imaginais pour cette race, vêtu de riches atours, avec un air sérieux qui sied aux transactions importantes. L’autre était un humain, au visage usé par les années. Son long nez allié à ses longs cheveux noirs lui donne un air de corneille. Il sortait de son ensemble brun usé une bourse arrondie par son contenu, bien coincée entre ses doigts crochus.
« Le marchand qui vend les terres dont je t’ai parlé est le sinari. Il s’appelle Arim Haibon. L’autre doit être le marchand qui va prendre les terres qu’on devait acheter… »
Je laissai une main compatissante sur son épaule, regardant les champs tant espérés lui passer sous le nez. Pour elle, voir ça était la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
« Rahhh, c’est pas juste. Tout le monde ne peut pas sortir 200 yus par hectare de sa poche ! Et ce marchand, je suis sûr qu’il va juste revendre ça après, comme une marchandise… »
Interloqué, je m’arrête sur la somme qu’elle cite. Elle me semble si réduite.
« Attend ? 200 yus ? Combien d’hectares font les terrains ? »
« Euh, eh bien oui, 200… C’est deux jardins d’un hectare chacun, pourq… »
Laissant une Milanne complètement désarçonnée, je quittais la place du marché brusquement, sans la moindre explication. Courant dans les rues, je traçais droit vers le temple des plaisirs.
(Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? La récompense du roi devait être énorme. J’ai juste acheté des objets magiques, logique qu’ils coûtaient un bras. En fait, je suis riche. Et je peux bien faire un petit geste envers Fortescue et Milanne.)
Arrivant dans le temple, je fonçais dans la partie la plus reculée pour accéder à l’antichambre de Pulinn et au coffre où j’y ai rangé mes affaires. Après un rapide échange avec l’un des gardes pour lui expliquer la situation, il me laissa retirer ma bourse au contenu visiblement faramineux. A peine l’argent en main, je repartais de plus belle vers le marché, arrivant à l’étal de Milanne haletant.
« Qu’est-ce que tu faisais ? Pourquoi tu es parti ? »
« Laisse-moi juste 5 minutes… et tu comprendras tout. »
Une fois mon souffle revenu à la normale, je me dirigeais le port altier vers les deux compères penchés sur une table, rédigeant sûrement l’ordre de vente. Me postant derrière eux, l’air goguenard, je les apostrophai sans gêne.
« Hola, marchands ! Est-il trop tard pour devenir acquéreur des 2 jardins ? »
L’humain se retourna brusquement et vira au rouge. Le sinari, curieux, ne se laissa pas emporter par la même colère. Il ouvrit la bouche sans qu’un son en sorte, puis se repris vite, un peu gêné.
« Je suis désolé, mais nous concluons justement l’affaire. Vous arrivez trop tard. »
« Oui, ces champs sont à moi. Je débourse assez pour m’en assurer. »
Pour illustrer son propos, il remua sa bourse devant mon nez. Milanne arriva au même moment, intriguée mais silencieuse, attendant de voir ce que j’allais faire. Pas décontenancé pour un sou, j’avais l’assurance subite de ceux qui ont le pouvoir.
« Ah, c’est dommage… J’avais cru comprendre que la meilleure offre était validée. Et mon petit doigt m’a dit que Maître Haibon avait un faible pour les sommes doublées. »
Sortant ma lourde bourse, je pris plaisir à voir le visage de l’humain se décontenancer tandis que celui de Milanne prenait des couleurs. Le sinari, quant à lui, semblait posséder des yeux extensibles tant ils étaient ronds. Je comptais lentement et à voix haute pour faire mon petit effet.
« Alors… 200 yus par jardin, c’est bien le prix en cours. Donc 400yus la transaction… Qu’est-ce que vous dites de 800yus ? »
Visiblement, Haibon avait le cœur plus enclin à l’amour de l’or qu’à celui de la loyauté, car son air intéressé trahissait déjà un nouveau revirement pour sa transaction. L’humain, secouant la tête, commençait à s’arracher ses cheveux d’encre d’un air ahuri.
« Quoi ! Mais… Vous n’allez pas accepter ! Vous avez déjà signé. »
« Bon, d’accord, un millier de yus. »
Détruisant les derniers remords du vendeur par cette somme astronomique, je pu sourire en voyant celui-ci prendre brutalement le contrat sur lequel l’humain s’empressait d’apposer sa signature pour finir la transaction. Haibon déchira le parchemin pour annuler l’acte de vente et dès lors ignora royalement le marchand doublé. Il avait désormais toute son attention pour moi.
Après un esclandre de la part du marchand bredouille vite réglé, nous avons procédé à la vente, plaçant les deux champs sous le nom de Fortescue. Le sinari partit fort ravi d’avoir vu sa vente ainsi mise aux enchères et passant des maigres 200 yus d’un paysan aux 1000 yus d’un mystérieux étranger.
Milanne avait du mal à y croire. Elle ne cessait de cligner des yeux, se les frotter vigoureusement ou commencer une phrase d’un « Nonnn » dont je n’ai jamais pu avoir la suite. Alors qu’on mangeait silencieusement dans une taverne proche du marché, elle retrouva finalement la parole.
« Je ne pensais pas que tu avais autant d’argent. »
Goguenard, j’étais encore grisé par la sensation de pouvoir que j’avais eue dans cette transaction.
« Je ne pensais pas avoir autant d’argent ! »
« En tout cas merci. C’est tellement… c’est trop ! Je… Un millier de mercis ne suffirait pas. »
Un peu gêné, je gardais le silence. Finalement, c’est délicat d’avoir quelqu’un qui est si content de moi pour une chose en somme dérisoire. J’ai gagné une richesse incroyable, plus que je ne le méritais je pense…
« Je te serais éternellement redevable. Comment je pourrais un jour te rendre la pareille… »
Une idée germa alors. Un moyen qu’elle me rende service effaçant sa dette envers moi. Tout simplement brillante cette idée ! Je fouillais dans mon sac, cherchant le bon parchemin.
« Tu le pourrais aujourd’hui même ! J’ai juste besoin d’un peu d’aide, et après nous serons quittes... Qu’en penses-tu ? »
« Comment ça ? Quel genre d’aide ? »
« Tu vois ce parchemin ? C’est un sortilège de soin que je dois apprendre. Mais j’ai du mal à maîtriser mes nouveaux sorts qui sont trop éloignés de mon don originel. Tes conseils me seraient grandement utiles ! »
Son teint s’empourpra et son visage se ferma. Elle n’aimait pas la magie. Mais c’était inoffensif, un sort de soin quand même ! Ne sachant que répondre, elle plongea son regard dans son soupe. Après deux gorgées, elle prit enfin la parole, d’une voix peu assurée.
« Mais je n’y connais rien à la magie. »
« Moi je connais la magie. Par contre, je suis complètement inculte dans le domaine de la médecine. Et là, tu es une chef… Avec ton savoir, je pourrais mieux concevoir le fonctionnement du sort et comprendre comment soigner les blessures. »
Visiblement, elle espérait faire face à des raisons moins argumentées. Elle réfléchit quelques secondes puis, repoussant ses appréhensions, soupira et accepta à mi-mot. Ravi, je laissai exploser ma bonne humeur. Je commandai deux bières pour que l’on trinque à cette collaboration et que naisse une nouvelle amitié.
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* Lillith, humain, Aurion et Cryomancien nv23 * En mission pour les Amants de la Rose SombreFeu Ellana : morte dans les flammes du Purgatoir, hantant les lieux à jamais et arborant ses tendancieux 6969 messages dans les archives de Yuimen
Dernière édition par Lillith le Ven 22 Jan 2010 16:06, édité 3 fois.
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