L'ambiance n'y était pas, ce devait certainement être un peu tôt pour déjeuner, mais qu'importait le temps aux yeux de la Beauté, elle agissait sous les ordres de son corps qui n'en pouvait plus. Un peu de calme ne lui ferait certainement de mal, Amarante était toujours troublée par la manière dont cet homme ne lui avait même pas jeté le moindre regard alors qu'elle monopolisait l'attention lorsqu'elle se trouvait au beau milieu des plus belles plantes du monde. Cependant, une idée lui vint, traversant son esprit comme un éclair luminescent qui éblouissait sa sombre ignorance. Cette homme n'avait peut-être pas les penchants ordinaires, préférant peut-être des personnes du même sexe... Bouleversée par ce trait de génie, Amarante se rendit alors compte qu'une partie de la population resterait à jamais insensible à ses charmes et cela la traumatisait. Comment jouer avec ces hommes alors que ses atouts ne fonctionneraient pas ? Il ne lui restait plus qu'une solution : la force. D'où la nécessité d'apprendre des sortilèges toujours plus puissants et de se protéger ainsi des appétissantes créatures.
Mais, avant toute chose, l'heure était au repas ! S'asseyant à une table, allongeant ses jambes pour que ses muscles se détendent un tout petit peu avant de commencer l'entraînement, la jeune fille regarda tout autour d'elle s'imprégnant de ce lieux miteux. Ces pauvres tenanciers ne devaient pas gagner énormément d'argent pour garder leur auberge aussi laide... Les murs peints à la chaux semblaient avoir une centaine d'années tant ils étaient jaunies par le temps et noircies par la suie. Le sol sale couvert par de la paille et de la poussière devait être le refuge préféré des rats et des cafards... Toutefois, sa bourse vide, elle allait bien devoir jouer de son corps pour être accepté en ce lieux. Rapidement, un homme plutôt charmant apparut, ses cheveux blonds coupés courts cachés un crâne un peu dégarni. Mais, ce n'était pas ça qui rebuterait la jeune femme habituée aux gardes puants et aux miliciens. Non, ça ne la gênerait en rien si elle devait en arriver là, mais, si elle pouvait s'en passer elle n'hésiterait aucune seconde.
«Vous désirez ?- Hé bien, j'aimerais déjeuner et une chambre. Mais, voyez-vous, un larron m'a dérobé ma bourse dans la rue, je suis une voyageuse et je n'ai pas pensé à faire plus attention. Je ne sais pas comment je vais faire, ni comment je vais manger.»Son ton était d'une déconcertante tristesse, feinte bien entendu, tout comme son histoire à dormir debout qui n'avait que pour seul but d'hypnotiser son locuteur, de le rendre à sa merci. Ses yeux débordaient de chagrin, d'une incroyable mélancolie de celle qui ignorait tout de sa destiné, pensant peut-être finir ses jours à boire dans un ruisseau et à manger le moindre petit insecte. Sa bouche frémissante avait dépeint cette histoire terrible, enfermant l'aubergiste dans une cage de cristal, paralysé dans ses griffes acérées. Une nouvelle fois, la jolie jeune fille avait atteint sa cible, le faisant tomber comme tous les autres hommes. Ses dons naturels l'inondaient de plaisir, comment les autres jeunes filles pouvaient vivre en étant si normale ? Ah ! Elle s'en moquait ardemment, l'unique chose qui l'intéressait c'était elle, sa vie, sa force, tout ce qui avait un lien avec son histoire. Face à son visage déconcerté, l'Aubergiste réagit :
«Je me présente, je suis Sam Timùn et je ne laisserai pas une aussi jolie demoiselle dormir dans la rue ! Allons bon ! Je vais vous chercher quelque chose à manger et les clefs d'une chambre. Ces temps-ci, nous n'avons pas beaucoup de clients alors ça ne posera aucun problème de vous offrir l'hospitalité.- Oh ! Autant de bonté me touche, je vous remercie.»Comme si la bonté y avait à voir quelque là-dedans... Enfin ! La douce et cruelle Amarante se félicitait de ce nouveau traquenard fantastique qui on pouvait le dire, l'avait sortie d'un sale pétrin ! Comment aurait-elle fait si jamais elle n'était qu'une pauvre mendiante, laide et bossue ? Hé bien elle aurait crevé de faim dans la rue ! Le monde était injuste et cette idée appréciée d'Amarante la fit réfléchir un long moment sur le pourquoi des événements. La Plantureuse jeune fille avait une sacrée chance, ne cherchant à le nier, elle s'amusait avec, bouleversant les vies d'innocents juste pour se divertir. Rapidement Sam Timùn débarqua avec une clef minuscule où pendait un ruban bleu et une assiette qui ne présageait rien de bon... Une espèce de mélasse entourée de légumes incertains gisait au beau milieu d'un liquide jaunâtre inconnu de tous... La jolie jeune femme habituée des plats de la prison n'attendit pas et se jeta sur l'assiette, la finissant en un rien de temps. Elle fit abstraction du goût douteux, ressemblant parfois à de l'orange et à d'autres moments à des œufs pourris... Quel met raffiné ! Malgré une moue délicate qu'elle fit à l'Aubergiste en dévorant le repas, ce dernier ne lui en tint pas compte et continua de la regarder sans jamais la lâcher de ses prunelles. Cette attitude gênait la jeune femme qui aurait bien aimé le remettre à sa place, pourtant, il lui avait offert un repas et une chambre alors qu'elle ne possédait pas la moindre piécette... Non, Amarante n'avait pas le choix, elle devait attendre et rester stoïque et de bonne humeur. Néanmoins, l'arrivée d'une grosse femme vêtue d'un tablier taché mit fin à cette mascarade une bonne fois pour toute. Apparemment, ce devait être la maîtresse de maison, l'épouse de l'aubergiste qui n'avait pas l'air d'apprécier le regard doucereux et coquin qu'il posait sur Amarante.
Le spectacle se termina rapidement, la Sulfureuse femme riait aux éclats devant cette comédie somme toute innocente. C'était merveilleux, sans le vouloir elle venait de créer une charmante discorde dont elle était actrice. Tout ce passait comme elle l'avait toujours rêvé, à part peut-être la bousculade dans la rue où cet homme n'avait osé la regarder. Mais, cela ne l'inquiétait plus, bientôt, elle allait accroître ses dons de domination et elle viendrait à bout de n'importe qui. Elle se leva donc et monta un escalier en colimaçon qui l'emmena directement dans un long corridor cerné de portes. Amarante avança, chaque poignée possédait un ruban d'une couleur différente, elle comprit qu'il fallait chercher le ruban bleu qui correspondait à sa clef. Observant chaque porte, Amarante finit enfin par trouver sa couche dans laquelle elle pénétra et déposa son sac au près du lit. Sentant l'aube d'un repos bien mérité, elle regarda un peu les alentours : le confort était sommaire, une armoire se dressait dans un coin de la pièce et de la paille éparpillée sur un sommier faisait office de lit... Cette nouvelle vie n'allait pas être de tout repos, mais, cela l'importait peu, tout ce qu'elle demandait c'était la paix !
Apprentissage du sort Vents infernaux
Amarante se dirigea vers son sac, ayant pour unique but d'apprendre enfin son sortilège aux pouvoirs évolutifs qui lui permettrait d'accroître sa volonté et son immensité. Elle était prête, depuis le temps qu'elle attendait ça, bientôt elle pourrait contrôler le vent d'une manière encore jamais vue auparavant. La Plantureuse femme sortit de son sac le parchemin enroulé d'un ruban blanc d'une pureté céleste. Amarante aurait bien préféré un tissu plus sombre, plus noir, plus ténébreux qui aurait mieux correspondu à sa personnalité, malheureusement l'idiote Rana l'avait choisie comme disciple et elle allait devoir s'en faire une raison. La Beauté aurait préféré avoir le soutien de Thimoros, mais cela n'avait pas été le cas, alors elle prendrait son mal en patience et se débrouillerait pour contrôler la force des airs.
Amarante retira le ruban et déroula le parchemin afin de voir ce qu'il lui faudrait entreprendre pour la maîtrise de ce nouveau sortilège. Un petit paragraphe écrit avec des lettres manuscrites révélaient à la jeune fille comment contrôler la puissance des vents infernaux, elle lut à haute voix pour tâcher de comprendre ce qui lui restait à faire :
«Disciple de Rana, pour maîtriser les vents infernaux, il te faut tout d'abord te concentrer, chercher en toi les fluides pour qu'ils viennent t'aider dans ta quête. Grâce à eux tu pourras ordonner à l'air qui t'entoure de se déchaîner. Tout est une question de volonté, tu dois parler au vent et lui jeter ton ordre.»Tout était donc une question de volonté ? La personne qui avait écrit ça ne devait pas se douter qu'une lectrice excitée par la domination tenterait d'apprendre ce sort... Amarante n'utiliserait pas simplement son esprit, mais elle soumettrait la magie et la mettrait à sa merci ! La Plantureuse se plaça au centre de la pièce, prête à en découdre avec ses propres dons. Elle suivit les indications du parchemin, se concentrant, cherchant au fond d'elle la magie de l'air qui faisait tout son possible pour lui échapper. À chaque fois qu'elle pensait les avoir trouvés, les fluides fuyaient Amarante se mettant à l'abri de sa violence qu'ils connaissaient sans faille. Pourtant, elle persistait, une folle course poursuite commença au fond d'elle, une guerre s'apprêtait à se déchaîner entre son esprit enragé et la force des vents infernaux. Puisant dans son cœur l'endroit caché où se situait sa magie, elle courrait, s'efforçait de ne pas perdre la trace ce qui l'obligerait à recommencer depuis le début. Cette tâche était complexe, déroutante, Amarante n'avait plus aucune notion du temps, cela faisait peut-être une, deux, voire trois heures ? Non ! Elle ne savait plus, elle ne savait pas, le monde continuait sa route tout autour d'elle, la procession incessante des habitants de Kendra Kâr, les mendiants demandant des pièces, Sam Timùn servait des repas sous ses pieds... Amarante l'avait ! La jeune fille dominait enfin ses fluides, elle les avait capturés comme elle aurait capturé un homme. Sa magie se trouvait dans ses mains qui semblaient luire d'une lumière argentée, étincelante, vivifiante.
À présent qu'elle possédait tout ce qui lui était nécessaire pour invoquer les vents infernaux, Amarante allait devoir utiliser son esprit, sa volonté comme cela était dit dans le parchemin. Il ne lui restait plus qu'à dominer la magie et ça, elle en était une championne. Fleurissant en elle, ses fluides persistaient dans le désir de s'échapper et sans cesse la jeune fille devait se concentrer de nouveau pour garder le contrôle. Tout ceci était épuisant, lancinant, au fond, elle menait un véritable combat et bien entendu, elle comptait bien en sortir victorieuse. Rapidement, Amarante sentit un répit dans sa main, ses fluides devaient sûrement se fatiguer, elle saisit donc l'occasion et ordonna à l'air de se matérialiser en des vents infernaux :
«Toi qui m'entoures, je te demande de suivre mes ordres, te soumettant à ma volonté. Change-toi en un vent d'une force infernale.»Amarante sentit un léger frissonnement à la fois dans ses mains et dans l'air. Mais, rien d'autre ne se produisit, elle recommença donc, toujours plus fort, ce n'était pas de l'air qui allait lui résister :
«Je suis ta maîtresse !» lança-t-elle.
Rien... Toujours le même frisson fébrile qui se manifesta... Amarante recommença, mais cette fois-ci elle déchaîna sa force, chacune de ses paroles chargées d'une hargne terrible sonnait comme un défi :
«Je désire que tu te changes en un vent infernal ! Obéis-moi !»Telle une sentence, sa dernière injonction réalisa ses souhaits les plus chers, cette fois-ci ce n'était plus simplement un frisson qu'elle sentit dans la trame de l'air, mais des rafales fabuleuses vinrent caresser sa chevelure qui battait tout autour d'elle. Amarante touchait le but, plus aucun obstacle ne l'ennuierait, sa joie était telle qu'elle déchaîna les vents infernaux contre l'armoire qui tomba sur le côté, étalant des moutons de poussière sur le sol. Amarante avait réussi, elle était si heureuse de maîtriser son sortilège, les vents infernaux étaient sous sa domination et dans quelques temps, personne ne pourrait plus lui résister. La Sulfureuse beauté jouissait intérieurement de son acte inconsidéré contre l'armoire qui gisait par terre, sombre victime de la cruelle jeune fille. Elle regardait ce qu'elle venait de faire et se rendit compte qu'elle était épuisée. Amarante se dirigea vers sa couche et s'effondra dans un silence de mort après le vacarme qu'elle venait de produire.