Arrivé devant l'auberge de la tortue guerrière où j'avais logé pas plus d'un jour avant de m'en aller à la recherche de ce maudit trésor, j'examinai les lieux où tout semblait être resté identique. Rien n'avait changé, même pas l'enseigne qui commençait pourtant à tomber en décrépitude. Il n'y avait pas à dire, ces humains n'avaient aucun sens de l'esthétique et cela me réconfortait dans mes idées... Enfin, de toute manière, je n'allais pas camper sur le devant de la porte, il y faisait frais et toute cette aventure m'avait éreinté, je devais me reposer un peu avant de partir explorer cette ville que je n'avais pu visiter pour l'instant. Pénétrant dans l'auberge, un air chaud gorgé d'effluves de boissons alcoolisées et de nourriture étrange vint me chatouiller les narines. Mon sens aigu de l'odorat n'appréciait guère ce changement radical avec l'extérieur et j'ignorais encore s'il allait s'habituer à ces étranges parfums... Bref ! Je n'avais pas trop le choix, partir à la recherche d'une autre auberge ne me disait vraiment rien, il fallait que je médite sur toute cette histoire afin de retrouver la paix intérieure...
(Bien ! Allons récupérer une clef.)Je me dirigeai vers le comptoir où l'épouse du gérant attendait les clients comme l'aurait fait une aguicheuse dans une petite ruelle sombre. Cela me fit sourire même s'il était clair que ce n'était pas son rôle et qu'elle avait une certaine notoriété à tenir. Dans tous les cas, le monde enchanté dans lequel je m'étais trouvé, il y avait quelques heures venait de fondre comme neige au soleil, ne laissant qu'une vulgaire trace dans mon esprit. Ce voyage était enfin terminé, ces morts enfin enterrés et ma vie enfin regagnée ! En revanche, je ne savais pas encore ce que j'allais faire, il était clair que pendant quelques jours je n'irai pas bien loin, mais bon je n'avais aucune idée de la manière dont j'allais pouvoir m'occuper... En attendant la femme forte me demanda ce que je désirais sur un ton un peu campagnard :
«Je voudrais simplement une chambre et je rajouterais bien une chambre calme.- Ben ouai, elles sont to'tes ca'mes nos chamb'es !»J'avais oublié qu'un elfe bleu était aussi bien servi dans le monde des humains... Je ne savais pas ce qui m'empêchait de lui mettre une bonne paire de claques et de la couvrir de honte devant tous les autres clients, mais une chose était certaine, mon regard dut lui lacérer le corps ! Toutefois, après tout ce que je venais de vivre, je ne me sentais pas l'âme d'un guerrier et je devais bien avouer au monde entier que je n'étais pas dans mon assiette. En effet, les personnes qui avaient succombé devant moi étaient toujours dans mon esprit et je commençais à douter qu'ils ne disparaissent un jour... Dans tous les cas, je n'étais pas ici pour ressasser mes malheurs, je voulais me reposer un peu ! Je récupérai alors la clef qu'avait déposé la patronne sur le comptoir sans doute pour ne pas m'approcher de trop près, puis, je gravis les escaliers afin de me rendre à l'étage où se trouvaient les chambres. Je me rappelais encore le chemin, en même temps, je n'étais pas parti pendant des lustres...
(Attention ! Peut-être ont-ils fait des travaux de rénovation...)Hé bien non ! Comme quoi cela ne me surprit pas du tout... Tout était si vieux, l'odeur de la poussière et du temps régnait en maître dans l'entrée... Je ne préférais pas m'allonger pour l'instant, toutes ces senteurs déplorables commençaient à me donner la migraine ! Il était clair que la houle marine avait une autre odeur et je me demandais si ces petits espaces réussiraient à me satisfaire... Peut-être devrais-je partir à l'aventure dans les forêt de Yuimen dans le but d'y découvrir les merveilles qui y habitaient, tout comme l'aurait fait Eleth... Une chose était certaine, je n'allais pas rester des journées entières dans cette cité, je ne m'y sentais pas à l'aise, les gens étaient si pressés, si tourmentés par leurs besoins quotidiens alors que de mon côté, j'étais prêt à vivre au jour le jour et de me contenter du peu de ma condition. Je déposais le sac sur le sol qui manquait apparemment d'un bon coup de balaie et déposai Santias sur le lit. Il ne s'était toujours pas réveillé et cela me peinait horriblement... Il n'était pas mort certes, mais, son âme avait l'air de l'avoir quitté, ce n'était plus qu'une simple peluche inanimée... Dès que j'aurais rendu visite aux prêtres du temple de Yuimen, je m'occuperais de son cas. À moins que les disciples disposaient de certaines facultés curatives qui remettraient sur pieds -ou plutôt sur pattes- Santias.
«Pourquoi ai-je donc quitté la Cité... Depuis l'instant où j'ai mis un pied en dehors de cette foutue ville, je n'ai eu que des ennuis... Que va-t-il encore m'arriver ?»En attendant un signe du destin, je voulus me détendre un peu. C'est pourquoi, je retirai une partie de mes vêtements, sans pour autant me déshabiller complètement. Puis, je fis quelques étirements pour ne pas avoir de courbatures dès que les muscles seraient froids, enfin, je devrais plutôt écrire «limiter les courbatures» car pour l'instant, dès que je marchais je devais avoir l'air raide comme un piquet... Il n'y avait pas à dire, l'aventure était vraiment une chose éprouvante, mais cela n'importait peu à présent que toute cette mascarade était terminée. En attendant de prendre mon destin en main je devais faire un somme, tout au moins essayer car mes songes allaient sans aucun doute être hantés par tous ces événements macabres... Avec un peu de chance j'arriverai quand même à reprendre quelques forces... Je m'allongeai donc sur le lit ou plutôt la paillasse à l'agonie qui avait dû voir passer plus d'un millier de personnes... Bref ! C'était toujours mieux que de dormir dans la rue aux côtés des pouilleux. J'avais le pressentiment que mon dos me ferait souffrir, mais que pouvais-je bien y faire après tout ?
(Allez, tâchons d'oublier tous ces crimes...)Je fermai les yeux repensant à tout ce que je venais de vivre... Rien que l'arrivée sur le port de Kendra Kâr avait été entachée d'une rixe étrange, puis ce fut le navire des nains qui faillit nous écraser contre le port. Non ! Tout ceci était presque inconcevable et pourtant ça s'était produit ! J'allais devoir faire le point et j'espérais profondément que les prêtres du temple de Yuimen m'aideraient à retrouver la paix intérieure si tant est qu'elle n'ait jamais existé... Mais, les images, ces souvenirs si tortueux commençaient à se mélanger dans mon esprit, disparaissant dans un brouillard évanescent, une sorte de voile magique qui allait et venait devant mon visage. Était-ce l'esprit de Valor qui revenait me hanter, voulant me faire payer pour l'avoir fait passer pour le traître du Vaisseau-lune alors qu'en fin de compte il n'avait rien fait ? Non, son âme avait déjà dû rejoindre le temple de Phaïtos où il allait devenir le protagoniste d'une nouvelle vie... Néanmoins, les nuages se précisaient, se renforçaient, oui, je devais être en train de sombrer dans mes rêves les plus fous... Pourquoi résister ? La peur peut-être ? Oui la peur de revoir les gens de l'équipage, le Marionnettiste et pourquoi pas Ergoth ? Non, je ne voulais pas, je n'avais pas la force de les affronter une nouvelle fois, de voir leurs visages chargés de douleur et de mélancolie, de cette tristesse issue des nombreux regrets, des remords qui devaient les écraser depuis si longtemps... Pourtant, je ne pus résister et le sommeil eut raison de mes pensées, il était l'heure de s'en aller...
* * * * * * *
Toc... Toc... Toc... Toc...
Un son venu tout droit de la porte me sortit de ce sommeil pesant qui m'avait si effrayé... Pourtant, j'étais tellement fatigué que je n'avais rencontré personne de ma connaissance, aucun mort, aucune âme en peine venue pour me hanter... Rien... Seulement le néant, une absence, un flou apaisant, réparateur. Toutefois, quelqu'un avait l'air de vouloir me parler et en plus il insistait... De nouveaux coups retentirent, puis une voix d'adolescent m'appela;comme cela était étrange :
«J'arrive...» lançai-je de ma voix grave des lendemains difficiles.
Je me levai et me dirigeai vers la porte que j'ouvris aussitôt pour voir comme prévu un jeune humain qui me tendit un parchemin. Je lus rapidement la dépêche pour découvrir à ma grande surprise que j'avais oublié de récupérer la récompense qui m'était due pour avoir participé à cette étrange aventure...
(Une récompense !!! C'est la meilleure ça ! Et on n'a pas été prévenu avant ?)Choqué par cette nouvelle, je restais planté devant le jeune garçon sans pouvoir réagir, comme figé par une puissante magie. Puis, après avoir réalisé qu'il était évidemment normal que l'on soit récompensé pour avoir risqué nos vies pour un trésor fantoche, je demandais à mon interlocuteur où devais-je me diriger pour récupérer ce qui m'attendait.
«Au port de Kendra Kâr, d'ailleurs c'est écrit sur le parchemin...»J'allais une nouvelle fois me rendre vers cet océan de malheur... Avec la chance que j'avais, je tomberai certainement sur des mercenaires en cours de route, ou pire encore sur ce sale marchand qui m'avait accompagnait jusqu'à la cité humaine ! Il ne manquerait plus que ça ! Toutefois, la ville était suffisamment étendue pour que nous puissions y vivre sans se croiser et puis avec un peu de chance il avait déjà quitté l'enceinte de la cité pour arnaquer des honnêtes gens ! Pourtant, quelque chose me disait qu'il devait encore vagabonder dans les parages de peur que je ne dévoile son satané plan à de parfaits inconnus... Mais, je n'étais pas comme ça, d'ailleurs une fabuleuse récompense devait sans doute m'attendre sur le port de la cité, alors pourquoi attendre, ce n'était pas tous les jours que j'allais être récompensé pour mes aventures... Soit ! Je fis signe au jeune homme de descendre car je devais me rhabiller avant de sortir de cette auberge sordide... En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, je sautai dans mes frusques de basse facture et récupérai Santias que je mis dans mon sac avec douceur.
(Qu'allait-on me donner ? S'ils ont un tant soit peu de maîtrise de l'ironie, ils m'offriront une croisière...)Ah ! Si cela devait arriver, ils allaient se garder bien gentiment leur voyage en mer, je n'étais pas prêt de recommencer l'aventure ! J'étais tellement bien sur le plancher des vaches, cette terre me portait sans rechigner alors pourquoi vouloir se déplacer sur l'eau ? Une chasse au trésor ? Il était vrai que cette idée m'avait tenté, mais, dans le futur je ne me laisserai plus berné de la sorte, foi de Dôraliës ! Prêt pour recevoir cette fabuleuse récompense, je sortis de la pièce et rejoignis le jeune humain qui m'attendait près de l'entrée.
«Voilà, je vous suis.»